ASKYR *** I ***

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PIROS - COULOIR

La nuit avait été paisible pour certains, plus agitée pour d’autres. Zorth, Milo et la commissaire portaient encore les traces de leurs insomnies. Leurs cernes se mariaient bien à l’éclairage blafard des couloirs du Piros. Kybop était surprise de voir deux anciens prisonniers déambuler, libres comme l’air.

— Salut. Commissaire...

Elle se tourna ensuite vers son acolyte, et dans un ton plus bas :

— Officier Kal...

Le regard de Lofy Birland s'arrêta net sur elle. Elle la dévisageait, glaciale, son air débordant de rancune. Elle n’avait pas oublié leur dernière altercation.

— Ne faites pas la maline avec nous, Mlle Flokart, menaça-t-elle, chaque mot piquant comme une fléchette trouvant sa cible.

— Je ne fais pas la maline, je vous dis simplement bonjour, répondit Kybop, un sourire crispé aux lèvres.

— Épargnez-moi votre ton sarcastique. Je ne suis pas débile.

Son acolyte, Milo Kal, hocha la tête, prêt à bondir à la moindre provocation. Il ne cachait ni sa fatigue, ni son agacement.

Kybop soupira intérieurement. Ces deux-là la détestaient, c’était une évidence. Pourtant, dans ce vaisseau exigu, mieux valait éviter d’attiser les flammes. Elle adopta une voix plus posée :

— Alors ? Zorth vous a relâchés ?

Birland plissa les yeux.

— Relâchés ? Nous sommes des officiers des forces de l’ordre, pas des criminels. Personne n’a le droit de nous séquestrer.

Ses pupilles rougies et sa mâchoire serrée en disaient long sur sa nuit blanche. Kybop avait rarement eu de bons rapports avec la police, mais elle savait aussi qu’il serait sage d’éviter une guerre ouverte ici. Elle tendit la main, espérant calmer le jeu.

— Trêve de querelles, proposa-t-elle. On va devoir cohabiter. Pas besoin de se tirer dans les pattes.

Birland la fixa, méfiante. Milo recula légèrement, son expression oscillante entre défiance et surprise. Après un instant de réflexion, elle finit par saisir la main de l'Eltanienne. Mais au lieu de la serrer, elle la tira brusquement vers elle, son souffle chaud contre son visage.

— Que ce soit clair, je ne vous aime pas, murmura-t-elle, ses yeux brûlant d'une colère contenue.

Kybop tint bon, son regard planté dans le sien.

— Rassurez-vous, le sentiment est réciproque. Mais autant rester civilisés.

Avant qu’elle ne puisse répondre, une voix douce mais ferme résonna dans le couloir, tel un délicat rappel à la sérénité.

— Bonjour.

Saranthia apparut, digne et lumineuse malgré la grisaille ambiante. Son arrivée réorganisa la scène comme un coup de balai dans une pièce poussiéreuse. Birland lâcha la main de Kybop avec une rapidité presque comique, et Milo se redressa instinctivement.

— Je ne crois pas avoir été présentée, dit-elle, les mains jointes devant elle, un sourire poli flottant sur ses lèvres.

Son regard se posa tour à tour sur les deux officiers, qui semblaient instantanément rétrécir sous le poids de son aura.

— Commissaire Lofy Birland, de Terre II, se présenta-t-elle, une pointe de raideur dans la voix.

— Officier Milo Kal, ajouta son acolyte, avec une maladroite révérence.

— Enchantée, répondit Saranthia en inclinant légèrement la tête. Je connais bien votre planète. J'ai eu la chance de m’y rendre à trois reprises.

Milo arqua un sourcil, surpris.

— Pourquoi une Régente irait-elle sur Terre II ?

Saranthia rit doucement, un son presque musical.

— Je n'ai jamais été Régente. Tout du moins, pas avant hier soir.

Milo insista, intrigué.

— Oui, mais vous êtes de Sang Royal, n'est-ce pas ?

— C’est vrai, admit-elle avec une pointe de malice. Mais j'ai eu le privilège de ne pas être enchaînée à un trône. J'ai pu voyager librement, sans le poids d'une couronne.

— Et maintenant que vous êtes Régente ? Que ferez-vous ?

Saranthia esquissa un sourire taquin et, dans un ton léger, répondit simplement :

— Régner.

Puis elle s’éloigna, laissant les deux officiers abasourdis. Flokart ne put s’empêcher de rire doucement en la suivant, abandonnant Milo et Birland dans leur silence confus.

— Votre Altesse ! l’interpella-t-elle en la poursuivant à la hâte.

Saranthia s'arrêta, légèrement surprise, tandis que Kybop s’efforça de reprendre son souffle.

— Oui ? Pourquoi me courez-vous après, Mlle Flokart ?

Elle reprit doucement sa marche, tendant l'oreille à ses paroles, son port toujours aussi digne.

— Je voulais vous poser une question.

— Je vous écoute.

Elle s'arrêta de nouveau, pivotant légèrement pour faire face à Kybop, son regard empreint de curiosité et de patience.

— Pourquoi avoir accepté la Régence ? Toutes les personnes ayant occupé ce trône... sont mortes assassinées. Vous ne tenez pas à votre vie ?

Ses yeux vacillèrent, son souffle s’alourdit imperceptiblement. Elle baissa un instant le regard, contemplant le sol comme s’il contenait une réponse qu’elle seule pouvait déchiffrer.

— Zoldello est mon berceau. J'y ai grandi, j’y ai été éduquée. J'ai couru dans ses forêts, volé des pommes sur ses marchés... Et c’est aussi ici que j'ai perdu mes parents.

Sa voix s’effrita légèrement à l'évocation, mais elle reprit aussitôt, plus ferme :

— Le prince Hyldon II du Sextant et la princesse Tyra d’Ultya, la sœur du roi Gotbryde.

Le silence entre elles sembla resserrer les murs, comme si le couloir tout entier conspirait à rétrécir l'espace qui les séparait.

— Je suis désolée de l'entendre... Que leur est-il arrivé ?

— Je ne sais pas. D'ailleurs, personne ne le sait vraiment. Ils étaient en déplacement loin du palais, en Askyr, sur les montagnes, pour des négociations concernant l'attribution de terres agricoles. Ils ne sont jamais rentrés. Aucune trace. Disparus. Les Ultyens ont appelé cet événement funeste l'éclipse royale : une manière poétique de nommer cette tragédie inexplicable, écho des mystères cataclysmiques qui, peu à peu, rongent l'espace où nous vivons depuis des siècles.

Elle marqua une pause, son regard fixé quelque part au-delà du couloir, comme si les souvenirs se rejouaient devant elle.

— Malgré tout, de nombreuses recherches ont été entreprises par le roi... Il était si proche de ma mère, sa sœur adorée. J'avais cinq ans à l'époque. Gotbryde s'est occupé de moi comme de sa propre fille. J'ai grandi aux côtés de Lilas, dans la sécurité de ce palais. Mais j'ai trop longtemps fui mes responsabilités. Il est temps, je pense, de rendre à Zoldello tout ce qu'elle m'a offert. Peu importe le risque. Il n'y a pas de responsabilités sans risque.

L'Eltanienne resta figée, saluant son courage d’un sourire un peu idiot. Saranthia sembla s’en amuser et, avant que Kybop ne puisse réagir, elle se pencha légèrement vers elle, la prenant par surprise.

— Cessez donc de regarder les demoiselles avec ses yeux de biche, Mlle Flokart. Je vais finir par croire qu'il y a un véritable cœur d'artichaut sous cette carapace de Californium.

Posant son index sur la poitrine de son interlocutrice, là où son cœur battait la chamade, Saranthia remarqua que ses joues bouillonnaient. Elle rit discrètement et s’évanouit dans les couloirs, laissant Kybop seule avec son embarras. L'ancienne mineuse secoua la tête en fermant les yeux pour reprendre ses esprits.

Il faut que je me tienne loin des reines et des princesses. Ce n’est pas bon pour ce que j’ai… tenta-t-elle de se convaincre.

PIROS - SALLE D'EXAMEN

Quelques heures après leur décollage, Zorth avait appelé une grosse partie de l'équipage dans la salle d'examen. Une fois à l'intérieur, Kybop constata la présence de Slikof, Kylburt et Fyguie.

— Nous vous attendions, Mlle Flokart !

Zorth l'invita d'un geste à prendre place. Sa chaise se trouvait juste à côté de celle de son frère. Un malaise persistait en elle, inexplicable, chaque fois qu'elle tentait de l'appeler ainsi. Ce terme lui semblait encore étranger, presque dénué de sens.

— Ne vous en faites pas, nous n'avons aucune intention de procéder à des auscultations, poursuivit-il. Je vous ai convoquée afin que nous puissions ensemble examiner le contenu de la puce que Gotbryde nous a laissée.

Mentionner le nom du roi demeurait une douleur vive pour nombre d'entre eux. Kybop perçut aisément les visages se fermer, les regards se détourner, chaque fois qu'on faisait allusion à Gotbryde.

— C'est ici, et seulement ici, que nous pouvons en prendre connaissance, précisa Zorth en insérant la puce dans un appareil conçu à cet effet.

— La princesse et la Régente ne devraient-elles pas être présentes ?

Fyguie souleva un point pertinent. Après tout, il s'agissait de leur père et de leur oncle.

— Non. Nous allons d'abord en prendre connaissance, et ensuite, selon ce que nous découvrirons, nous aviserons de ce qu'il convient de leur révéler. Ou de ce qu'il serait préférable de taire, clarifia Slikof avec un sérieux inébranlable.

Sans ajouter un mot de plus, Zorth activa la machine. L'image de Gotbryde apparut alors sur l'écran. Il s'était enregistré dans le Secrétoire du palais.

"Bonjour à ceux qui liront ce message. Si vous vous trouvez en possession de cette missive, c'est que je ne suis plus parmi vous. Et si tel est le cas, j'espère que Lilas, ma fille, princesse et héritière du trône de Zoldello, se trouve en sécurité. Je vous écris pour vous délivrer un avertissement que j'ai longtemps redouté. La prophétie des Sang Rouge nous poursuit depuis des siècles, et il semble qu'ils soient enfin prêts à accomplir leur dessein, menaçant notre disparition et celle de l'univers tout entier. Ces hérétiques, ces ignorants, ces Golts, se prétendant à tort être des Originels, se rapprochent inexorablement.

Ils ne doivent surtout pas être autorisés à activer le Portail. Et si, malheureusement, cela est déjà arrivé, il vous faudra rétablir l'équilibre sans délai, ou l'apocalypse sera inévitable. Pour trouver le Portail, vous devrez vous rendre sur les Hauteurs d'Akyr, à la lueur du coucher de la lune. N'oubliez pas d'apporter l'Œil. Que la Confrérie des Hématiens guide vos pas à travers cette épreuve."

Le message, de piètre qualité, s'arrêta brusquement, comme si quelque chose l'avait interrompu au dernier moment. Bien que son contenu restât audible et compréhensible, l'image elle-même demeurait floue. La manière précipitée dont il avait été enregistré suggérait que Gotbryde se trouvait en grand danger. Il l'avait fait dans le Secrétoire, seul, en toute discrétion, loin des regards et des oreilles indiscrètes. Comme si le mal était déjà en train de s'installer au sein même du palais.

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