ASKYR *** II ***

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— Cela semble récent, indiqua Kylburt d'un ton catégorique.

— Oui, ce message date d'il y a à peine un mois, confirma Kydine en scrutant les informations du fichier.

— Il a été enregistré à la hâte. Le roi agissait sous la menace, conclut Kylburt, validant ainsi la première hypothèse de Kybop.

Zorth prit la parole, avec une gravité religieuse.

— C'est une évidence. Dès le moment où le roi a accédé au pouvoir, il a été une cible.

Slikof intervint alors, visiblement perturbé par quelque chose.

— Oui, mais vous voyez bien que la situation est différente, Zorth. On ne parle plus de paysans en colère, mais d'une organisation bien structurée.

— Le roi a dû recevoir des lettres ou d'autres formes d'intimidation. Sinon, pourquoi prévoir un message post-mortem ? proposa Kylburt, appuyant son raisonnement.

Il poursuivit, réfléchissant à voix haute, comme une pièce de puzzle se mettant en place.

— Il devait certainement traiter des affaires secrètes, que nous ignorons.

— Peut-être a-t-il été menacé directement par les Golts ? imagina Fyguie, haussant les épaules, mais l'air peu convaincu.

Le maître des Oiseaux de Nuit acquiesça fermement.

— Kylburt et Fyguie ont raison. Le roi faisait partie d'une confrérie opposée aux Golts. Son savoir profond sur toute cette affaire devait le rendre vulnérable. Les Golts avaient forcément une rancune tenace contre lui... Après tout, sa famille a été anéantie au fil des siècles.

Soudain, les mots de la Régente revinrent en mémoire à Kybop, clairs comme de l'eau de roche.

— La disparition des parents de Saranthia. Cela s'est produit sur les hauteurs d'Askyr, n'est-ce pas ?

— Comment savez-vous cela ? demanda Zorth, visiblement surpris par l'information que Kybop détenait.

Elle lui adressa un sourire énigmatique, savourant le petit coup d'avance qu'elle avait pris.

— Disons que la Régente m'en a fait part, répondit-elle, haussant les sourcils avec une pointe de suffisance.

Zorth, visiblement agacé par son comportement enfantin, roula des yeux avant de reprendre la parole, ajoutant des détails à l'histoire.

— Jamais nous n'avons su ce que sont devenus ces illustres disparus. Aucun indice n'a daigné émerger pour éclairer notre incertitude. Les Ultyens, dans leur poétique éloquence, ont qualifié cet événement tragique de « l'Éclipse Royale ». Aucun corps, aucun vestige, nul objet. Rien, si ce n'est un mystère insondable.

— Cela pourrait-il être lié ? suggéra Fyguie, à haute voix, son regard scrutant les autres.

Les trois hommes prirent un instant pour réfléchir, pesant la question avec sérieux.

— Si tel est le cas, nous le découvrirons peut-être sur place, déclara Kydine, tout en levant l'index, une lueur de détermination dans le regard.

PIROS - SALLE PRINCIPALE

Après cette réunion en petit comité, Kybop se dirigea vers la salle principale du Piros. Elle se souvint que, lors du dîner à la maison des glaces, elle avait promis quelque chose à Fyguie. Au cours des échanges et de quelques franches rigolades, elle lui avait dit qu'ils boiraient un coup, rien que tous les deux. Elle lui avait donc proposé qu'ils s'y rejoignent. La porte s'ouvrit. Il était déjà assis au bar.

— Alors ? C'est le moment où je découvre qui est véritablement Kybop Flokart ?

— Au risque de te décevoir, il n'y a pas grand-chose à savoir.

Elle prit place sur l'une des chaises hautes du bar, celle qui se trouvait à sa gauche.

— On commence par quoi ? souffla-t-elle en s'asseyant.

— Eh bien, je ne sais pas, ton enfance ?

Kybop éclata de rire devant ce malentendu.

— Je parlais de l'alcool ! On commence par quoi ?

Il rit à son tour.

— Ho ! On va y aller tout doux, s'inquiéta-t-il soudainement.

Fyguie prit une bouteille d'un alcool délicat mais pas très fort. Il ne voulait pas que cela dégénère trop vite. Pendant qu'il les servait, une idée vint à l'esprit de Kybop.

— Je te propose un jeu. Ou plutôt plusieurs... Je vais t'expliquer les règles. Libre à toi de choisir lequel t'inspire le plus.

Il acquiesça en resserrant son verre entre ses doigts.

— Tu connais la Méduse ? Un personnage mythologique. Elle transformait en pierre ceux qui croisaient son regard.

— Vaguement, réfléchit-il en plissant les yeux.

— Pas grave !

— Alors voilà l'idée. On remplit nos verres.

— Déjà fait.

— Parfait ! On va baisser notre tête, de sorte à voir nos pieds. Je compterai jusqu'à trois, on la relève, et si on fixe le même objet dans la pièce, on boit. Sinon, celui qui aura posé ses yeux sur l'objet le plus loin devra raconter une anecdote foireuse.

— C'est débile, gloussa-t-il avec innocence.

— Exactement ! C'est le but ! Le deuxième jeu s'appelle : Le chat qui boit. Les règles sont très basiques. Chacun notre tour, nous poserons une question à l'autre.

— Sur n'importe quel sujet ?

— N'importe lequel ! Et si l'autre répond correctement, le poseur de question boit. Mais s'il donne sa langue au chat, c'est lui qui boit !

— D'où le chat qui boit... Ok. J'ai saisi ! Mais si je réponds faux ?

— Alors tu bois ton verre et celui du poseur de question ! Ok, maintenant, que tu as les règles, je te laisse choisir...

Fyguie feignit de réfléchir, puis répondit avec énergie.

— La Méduse !

Sans attendre, Kybop entama les hostilités en baissant sa tête en direction de ses pieds. Elle ne le voyait pas, mais elle sentait qu'il lançait également le jeu de son côté. Lorsque sa soeur releva la tête, son attention se porta directement sur une lampe. Cet objet de mauvais goût, qu'elle mettrait sa main à couper, avait été ramené par Zorth. Sans la lâcher des yeux, elle demanda à Fyguie ce qu'il regardait.

— La lampe moche de l'entrée.

Elle éclata de rire en posant sa main brutalement sur son bras. Le fait qu'il précise qu'elle était moche la conforta dans l'idée que Kydine en était à l'origine.

— Moi aussi ! avoua-t-elle dans un éclat de rire.

— Sérieux ?!

Il était choqué, et heureux qu'ils aient choisi la même chose.

— Alors on boit ?

— Cul-sec ! dit-elle en lui tendant son verre pour qu'il trinque avec elle. Allez, deuxième manche !

Juste avant de baisser la tête, elle repéra la bouteille vide qui jonchait le sol. Celle qu'ils avaient bue lors de leurs fameuses réunions d'équipage. Sans jeter de coup d'œil à Fyguie, elle devina qu'il regardait dans la même direction.

— Alors Fyg ? Sur quoi as-tu jeté ton dévolu cette fois-ci ?

— Je regarde la bouteille de vin, juste à côté de la poubelle.

— Tu rigoles ?!

Elle saisit son verre frénétiquement en renversant quelques gouttes.

— Alors là mon gars ! C'est vraiment fou ! Buvons !

Il leva son verre avec entrain et le but cul-sec. Fyguie s'essuya la bouche avec sa manche avant de relancer une troisième manche, visiblement touché par les premiers effets de l'alcool. Kybop leur resservit, puis pensa au prochain objet.

Elle était tellement crevée, qu'instinctivement, elle pensa au confort du canapé. En levant la tête, elle fit un tour sur elle-même pour pouvoir l'avoir dans son champ de vision. Fyguie, faisant le même mouvement, les fit tous deux tomber de leur perchoir. Une chute ridiculement lente, teintée de rires idiots. Reprenant difficilement son souffle à cause de son hilarité, elle finit par lui poser une question.

— Mais qu'est-ce que tu voulais regarder ?

— Le canapé !

— Merde alors ! Moi aussi !

Ils reprirent leur éclat de rire, sans même prendre la peine de se redresser. Après plusieurs tentatives infructueuses, Kybop ne pouvait que constater une chose : eux deux semblaient partager le même esprit. Choisissant, l'un après l'autre, les mêmes objets, ils finirent ivres plus vite que prévu.

Plus d'une heure et demie plus tard, les jeux étaient faits. Ils étaient toujours là, étendus sur le sol, tête-bêche, leurs crânes effleurant l'un l'autre. Les yeux rivés au plafond, l'état de sobriété aussi éloigné que la galaxie du Sextant, ils bavardaient sans fin. Une pensée effleura Kybop : elle se demanda s'il savait davantage qu'elle sur leurs parents biologiques.

— Et tes parents ? Tu sais quelque chose ?

— Non. Rien du tout. Et toi ? répondit-il, une lueur d'espoir dans la voix.

— Rien non plus... Tu as grandi où ?

— Dans ma famille adoptive. Sur Terre II. Des gens très sympas. Aimants.

— Tu les considères comme tes parents ?

— Oui, murmura-t-il, une pointe de culpabilité dans sa voix.

— Je suis contente qu'au moins l'un de nous ait eu cette chance.

— Tu n'as eu personne ?

— J'ai Guitry.

— C'est déjà ça. Il a l'air d'être quelqu'un de bien.

— Oui...

Il marqua une pause, l'hésitation perceptible dans l'air.

— Tu m'as moi maintenant. Je sais qu'on ne se connaît pas depuis longtemps, mais je sens qu'il y a quelque chose entre nous, un lien inexplicable. Je me sens toujours mieux quand tu es à mes côtés. Comme si, durant toute ma vie, une partie de moi m'avait manqué... et que je venais de la retrouver.

Il avait raison, c'était exactement ce que Kybop ressentait. Elle avait toujours eu ce vide en elle. Il était facile de croire qu'elle manquait d'un père ou d'une mère, mais maintenant qu'il était là, ce sentiment étrange de complétude l'envahissait. Et comme il l'avait dit, c'était inexplicable.

— Tu crois que je suis née la première ?

Il étouffa un rire, comme si elle venait de dire une absurdité, tout en se basculant sur le côté.

— Pourquoi tu serais née la première ?

— Je ne sais pas. J'ai l'impression que tu es mon petit frère.

— Pourquoi ça ? Mais maintenant que tu le dis, j'ai remarqué que t'avais déjà quelques rides sur le front...

Fier de sa taquinerie, il adopta aussitôt une posture défensive, comme s'il s'attendait à ce qu'elle lui lance une frappe. Mais elle décida de lui rendre la pareille, avec un ton espiègle.

— Non, je ne sais pas... tu me parais... bien plus fragile.

Elle lui donna un petit coup de coude, malicieuse.

— N'importe quoi ! Et même si c'était vrai, ça n'a absolument aucun rapport !

Il rit une dernière fois, puis se roula sur le côté, tentant de se mettre sur ses genoux avec une difficulté presque comique. Une fois debout, il chercha l'horloge, jetant un coup d'œil rapide pour vérifier l'heure. Lorsqu'il constata l'état dans lequel ils se trouvaient, il ferma les yeux, l'air coupable.

— Je crois qu'il serait temps d'aller se coucher. On arrive sur Zoldello dans quatre heures.

Kybop se releva à son tour, découvrant les effets de l'alcool sur sa motricité vacillante.

— Oui, allons-nous coucher... Puis, à voix basse : petit frère...

Il lui flanqua une pichenette sur l'oreille avant de détaler comme un lâche, sûrement en attendant une revanche. Sa soeur n'en demanda pas plus pour se lancer à sa poursuite. Tandis qu'elle courait dans les couloirs du vaisseau, le bruit de ses pas résonnait dans un silence oppressant, lui rappelant cruellement que le deuil avait déjà frappé une partie de l'équipage.

ZOLDELLO - CHAMBRE DE L'AUBERGE

À la lueur vacillante d'une bougie, Fiora coucha ses confessions sur le papier. Les créatures nocturnes chantaient dans la nuit froide et noire de la campagne de Zoldello. Son regard, froid et apathique, perça l'obscurité à travers la fenêtre. Puis, revenant à elle-même, elle abaissa de nouveau la pointe de sa plume sur la feuille.

— Gotbryde D’Ultya. Et voici, mon bon roi. Votre nom s'ajoute à ma longue liste de partisans de votre prophétie absurde. Tout comme votre mère, votre père, votre bien-aimée, votre sœur et votre beau-frère. Bientôt, je graverai celui de votre idiote de fille.

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