MONT D'OPALY *** I ***
PIROS - PONT
Zoldello était enfin en vue. La princesse Lilas était collée à la vitre du pont pour tenter de l'admirer au mieux. Les bras croisés, la tête haute et le regard lointain, elle affichait une certaine fierté devant ce spectacle verdoyant qu'offrait sa planète. Kybop la rejoignit, apposant son épaule contre la vitre.
— Tous ces allers-retours dans l'espace... Je n'ai jamais autant voyagé.
Lilas se tourna vers elle et lui adressa un sourire bienveillant.
— Dans d'autres circonstances, voyager est un plaisir, vous savez...
Son appréhension transparaissait dans le ton de sa voix. Leur départ avait été si précipité la dernière fois. Elles ne savaient même pas ce qu'elles avaient laissé derrière elles, tout avait été si soudain. Quelqu'un en aurait-il profité pour prendre les rênes du pouvoir en l’absence de la princesse ? s'interrogea Kybop... Et il semblait que Lilas partageait ses doutes.
— Le peuple, est-il seulement au courant que mon père, le roi Gotbryde, n'est plus ? Nous avons laissé un royaume sans souverain pendant plusieurs jours... Je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe là, en bas...
— Personne ne vous laissera tomber. Vous êtes bien entourée, princesse. Tout le monde est inquiet pour vous dans ce vaisseau.
Elle parut touchée par tant de sollicitude.
— Je sais. Je suis chanceuse, laissa-t-elle échapper dans un soupir.
— Zorth, Kylburt et Slikof ne vous lâcheront pas des yeux. Je pense que vous n'avez rien à craindre.
— Ce n'est pas tant le danger qui obscurcit ma pensée. Mais plutôt ma volonté de connaître la vérité. Je veux savoir qui a assassiné mon père. Je veux savoir où se trouve sa dépouille et pouvoir lui rendre hommage.
Se tournant vers Kybop, son regard s'assombrit.
— Promettez-moi de trouver ceux qui ont fait ça.
Elle lui prit les mains, comme pour sceller un serment, plongeant son regard dans le sien pour sonder les tréfonds de son âme. L'Eltanienne s'interrogea. Pourquoi elle ? Pourquoi pas Slikof, Kylburt, Zorth ou toute autre personne originaire de Zoldello, proche du roi et de sa famille ? Il était étrange que la princesse l’investisse d’une telle mission. Après tout, Kybop ne connaissait même pas son père. Malgré cela, comme une idiote asservie par ces beaux yeux, elle céda.
— Promis.
ZOLDELLO - PALAIS D’ULTYA
Ils arrivèrent au palais sans heurt. Les gardes étaient déjà sur place, ainsi que les Oiseaux de nuit, attendant l'héritière dans leurs habits d'apparat. Ils formaient une allée pour protéger le cortège.
Zorth s'était également paré de son plus beau costume. Arborant des couleurs claires et éclatantes, il se promenait dans un élégant costume blanc, rehaussé de filigranes dorés sur le col et les manches. La Princesse, elle aussi vêtue de blanc, portait une robe fluide qui se fendait à l'avant, laissant entrevoir une partie de ses jambes. Son col montant et ses épaules dénudées lui conféraient une autorité naturelle saisissante. Sa démarche assurée et son regard perçant ne faisaient qu'accentuer cette impression. Lilas, fièrement couronnée d'une pièce d'or sans joyaux, se distinguait par un magnifique motif de fleurs de Zoldello entrelacées, symbole d'abondance et de richesse. Il était clair que la discrétion n'était plus de mise ; ils étaient là pour briller.
Lilas se pencha sur l'épaule de Zorth pour lui susurrer quelque chose entre ses dents serrées.
— Qui les a mis au courant ?
Il lui fit un clin d'œil et hocha du menton en direction de Slikof.
— Et que savent-ils exactement ? s'informa-t-elle non sans inquiétude.
— Pas grand-chose. Ils ont juste été mis au courant de votre retour. Le peuple attend votre allocution.
Lilas sentit sa gorge se serrer en pensant au balcon, point de départ de nombreuses révoltes. Faire un discours devant le peuple n'était pas chose aisée, et même si elle était à l'aise avec les mots, les nouvelles qu'elle devait annoncer étaient loin d'être bonnes. Ils remontèrent un couloir gorgé de soleil. Il faisait chaud, et ses rayons qui tapaient sur la peau procuraient une sensation de bien-être. Elle ressentit alors le besoin de ralentir un peu pour en profiter le plus longtemps possible.
La princesse et la Régente suivaient Slikof et Kylburt, qui les guidaient à travers le palais, avant d'arriver à une chambre dotée d'un balcon surplombant les jardins. Les deux souveraines s'arrêtèrent avant d'être visibles par la populace. Kylburt et Slikof se placèrent de part et d'autre de la baie vitrée grande ouverte, qui laissait entrer une agréable et légère brise. Le reste du groupe demeurait sagement posté dans la pièce.
Zorth s'approcha alors des deux cousines.
— Après tout cela, Votre Altesse pourra rendre visite à son père. Il repose en la chapelle, ainsi que le prescrit la coutume. N’en ayez plus souci et fixez toute votre attention sur l’instant présent. Celui-ci revêt une importance capitale. Nulle maladresse ne saurait être permise, nul signe de faiblesse toléré.
Zorth prit une profonde inspiration, puis reprit sur un ton paternel.
— Mes Chères Enfants... Je vous fais confiance. Parlez avec votre cœur et croyez-en ce qui est bon. Tout se passera bien. N'oubliez pas la devise de votre mère patrie : la main sur le cœur, le regard vers l'avenir.
Il accompagna ses paroles de la gestuelle habituelle. Lilas lui sourit alors que Saranthia attrapa la main de sa cousine pour lui montrer son soutien.
— Je ne sais pas par où commencer, Zorth..., bégaya la Princesse.
Il posa ses mains sur ses bras pour lui donner du courage.
— Par le début, princesse. Par le début...
Elle essaya de se ressaisir en prenant une longue et profonde inspiration. Saranthia lui offrit une accolade pour lui glisser quelques mots rassurants à l'oreille.
— Tu as toujours su parler, comme ta mère. Je te rejoindrai sur le balcon quand il sera temps.
Toujours dans les bras de sa cousine, Lilas chercha Kybop du regard. Lorsqu’ils se croisèrent, un sourire s'épanouit sur son visage, que Lilas lui rendit volontiers. Après quelques secondes, la princesse décida qu'il était temps et s'engouffra au travers des rideaux qui virevoltaient au gré du vent. Elle pénétra sur le balcon, droite, fière, ses pieds bien ancrés dans le sol. Inébranlable. Comme si son passage entre l'ombre de la pièce et la lumière du soleil l'avait transformée, tenant son rôle de tête couronnée à la perfection.
Une fois devant la foule, celle-ci se fit silencieuse. Quelques chuchotements se propagèrent çà et là, mais tous attendaient une annonce salutaire.
— Zoldello ! Planète au grand cœur et à l'esprit généreux. Je suis ici pour te prévenir.
La princesse s'adressait directement à la planète elle-même. Comme si le peuple et elle, faisaient partie d'un grand tout.
— Un tragique événement vient à nouveau ébranler notre famille royale. Quelqu'un a trahi la couronne par le sang ! De viles entreprises visent à nouveau notre royaume ! Le roi Gotbryde est mort, assassiné dans le palais comme un vulgaire nuisible !
Certaines mains se posèrent instinctivement devant les bouches, des larmes commencèrent à perler aux coins des yeux. Les cœurs s'emballèrent, et l'air se chargea d'une tension palpable, presque électrique.
La princesse marqua une pause, observant l'impact de ses mots. L'émotion, à la fois collective et intime, parcourut son peuple comme une onde de choc, chaque individu semblant lutter pour comprendre la portée de cette nouvelle. Les murmures se transformèrent en un brouhaha désordonné, et des voix s'élevèrent, mêlant chagrin et colère. Une mère étreignit son enfant, une vieille femme s'effondra en larmes, et un homme, serrant les poings, lança des appels à la vengeance. L'ombre de la tragédie s'étendit sur la foule, se mêlant à la chaleur écrasante du soleil, qui sembla ignorer la douleur humaine se déployant sous ses rayons impassibles.
— Il est de mon devoir d'accomplir ma mission et de quitter Zoldello.
— Comment ça, de quitter Zoldello ? clama un homme, sa voix résonnant au-dessus du murmure de l'attroupement.
À ces mots, une vague d'étonnement et de curiosité déferla dans la foule, les visages se tournant vers la Princesse avec une inquiétude palpable. Cet homme avait osé exprimer tout haut ce que chacun redoutait en silence, et l'atmosphère s'alourdit d'une tension sourde. La nécessité d'une réponse se fit pressante, et Lilas, consciente des regards fixés sur elle, leva la main vers le ciel pour réclamer le silence.
— Mon père, feu le roi Gotbryde, m'a donné une mission. À moi, mais pas seulement. D'autres personnes se sont engagées dans ce sacerdoce. De cet apostolat dépend l'équilibre, celui-là même qui se trouve chamboulé depuis des siècles, provoquant partout des éclipses meurtrières. Mais il existe un moyen d'y remédier, et le roi avait mis au point une mission, nommée Minden. Grâce à celle-ci, l'équilibre devrait pouvoir être rétabli, anéantissant le désordre et le chaos. Mais pour pouvoir accomplir cette destinée, je dois faire preuve d'apostasie et laisser Zoldello derrière moi.
À mesure qu'elle prononçait ces mots, une onde de murmures agita la foule. Les visages se crispèrent, le choc de sa déclaration se mêla à la crainte grandissante d'un royaume sans dirigeant. Des cris de désespoir et des questions s'élevèrent, chacun redoutant le vide laissé par l'absence de la princesse. Lilas, observant l'angoisse dans les yeux de son peuple, reprit la parole d'un ton qui se voulait réconfortant, tentant d'apaiser les craintes tout en réaffirmant sa détermination.
— Peuple de Zoldello, soyez rassurés ! Jamais je ne partirai sans vous laisser entre des mains dignes de confiance. C'est pourquoi, sans doute aucun, je confie le trône à ma cousine, Saranthia D'Ultya.
À l'instant où le nom de Saranthia résonna dans l'air, une vague d'acclamations s'éleva de la foule, emplissant l'espace d'une euphorie contagieuse. Des cris de joie et des applaudissements retentirent, et le peuple exhorta Saranthia à se présenter au balcon. Bien qu'elle ne pût les voir, l'enthousiasme palpable témoignait de la popularité indéniable de la nouvelle Régente. Il n'y avait plus de doute : Lilas avait pris la meilleure décision qui soit.
Finalement, Saranthia, attirée par le regard chaleureux de sa cousine, fit son entrée. À cet instant précis, un vacarme assourdissant emplit l'atmosphère, une clameur surpassant tout ce que Kybop n'avait jamais entendu. Même le grondement des excavateurs de la mine d'Eltanin semblait pâlir en comparaison. Alors que Saranthia saluait Zoldello avec une grâce innée, les cris de soutien et d'admiration fusèrent de toutes parts. Lilas se tourna vers l'équipage, son sourire rayonnant de satisfaction. Elle savait maintenant qu'elle avait offert à sa maison, à son royaume et à sa galaxie la meilleure des dirigeantes.
AU MÊME MOMENT - DANS LA FOULE
Toujours camouflés sous leurs capes ténébreuses, Fiora et ses sbires venaient d'assister au discours de la princesse. Golt pesta sous sa cape.
— La mission du Roi ?
— Je n'arrive pas à croire que Saranthia est ici, s'étonna Drike.
Fiora remua la tête en guise de désapprobation.
— Ses parents, qu'ils brûlent en enfer, nous ont déjà causé assez de soucis comme ça. Il est hors de question que sa progéniture continue leur travail. Ni la princesse.
— On les tue ? supposa Bogz.
— Bien sûr qu'on les tue. Toutes les deux, et tout ce qui tournera autour. Je ne veux plus de couronne sur cette foutue planète verdâtre !
— On crève sous ces capes, on ne pourrait pas les retirer ? supplia Bogz.
— Bien sûr, Bogz ! On pourrait aussi décliner notre identité ! reprocha-t-elle, agrémentant sa remarque d'une tape derrière la tête.
Plus loin, au plein milieu de ce rassemblement, se trouvaient deux autres intrus qui ne comprenaient pas leur présence ici. Terre II leur paraissait bien loin soudainement.
— C'est le moyen âge par ici... Des reines, des rois, des trahisons, des meurtres... moqua Krane avec dédain.
— Ça m'a tout l'air d'être un endroit qui aurait besoin de se détendre.
Le sous-entendu d'un trafic sur la planète fit sourire Krane.
— Plus tard ma belle, plus tard... Pour le moment, on trouve la fille à la cicatrice. On récupère notre dû, et on repart sur Terre II. Le plus tôt sera le mieux... J'en peux plus de ces gueux qui sentent le fumier et la moisissure.
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