INDULAS *** I ***
ZOLDELLO - ENDROIT INCONNU - CHAMBRE
Houda se réveilla péniblement, allongée sur un lit confortable, le corps encore endolori par la course effrénée de la veille. Les muscles raides, elle entendit des voix derrière la porte. Elle reconnut celle de Brizbi, mais l’autre, bien que familière, lui échappait encore.
— Bon... On fait quoi ? pressa Brizbi.
— Un sur deux, ça suffira. On n'a pas besoin de deux scientifiques. Elle fera l'affaire, répondit Krane.
Après un court échange, la conversation s’interrompit brusquement, et quelqu’un entra dans la pièce. Dans la précipitation, Houda se précipita vers la porte-fenêtre, dans l’espoir de s’échapper des griffes de Brizbi.
— C'est fermé, ma belle, résonna la voix de derrière elle.
Sans même se retourner, Houda savait déjà ce qu’elle allait voir sur le visage de Brizbi et ce sourire insupportable. Cela l’agaçait avant même de le croiser. Elle ferma les yeux, déçue de n’avoir aucun moyen de fuir, puis finit par se retourner.
— Arrêtez avec votre sourire satisfait, gronda Houda de colère.
— Je ne pense pas que tu sois en position de me demander quoi que ce soit, répliqua Brizbi, l’air menaçant.
Elle s’avança, les bras croisés, dominatrice. Houda se retrouva coincée dans un coin de la pièce, à sa merci. Brizbi tendit un doigt, soulevant doucement son menton pour forcer leur regard à se croiser.
— Mais j’aime bien ça chez toi, continua-t-elle, un sourire en coin. Tu es sans défense, et pourtant... tu ne te laisses pas faire. C’est attendrissant.
Houda déglutit, sentant la chaleur lui monter aux joues. Elle s’en voulut de réagir ainsi, de ne pas pouvoir contrôler son corps. D’un geste brusque, elle s’écarta, se réfugiant dans une autre partie de la pièce, loin des sous-entendus venimeux de Brizbi.
— Vous nous avez suivis jusqu’ici pour nous ramener sur Terre II, c’est ça ? interrogea Houda.
— C'est ça, répondit-elle avec désinvolture en jouant avec le lacet de son t-shirt.
— Non mais franchement, cette planète grouille de scientifiques ! Pourquoi vous donner autant de mal pour nous ? s’insurgea la jolie rousse.
— Disons que ma patronne est un peu... contrariée. Vous avez fichu une sacrée pagaille dans ses affaires. Elle attend réparation.
Houda souffla, manifestant son mécontentement.
— C’est n’importe quoi... soupira-t-elle, exaspérée.
— Et vous ? Vous jouez à quoi ici ? C’est quoi tout ce bordel avec vos princesses et votre vaisseau dernier cri ?
Brizbi s’approcha d’elle, attendant une réponse. Mais l’attention d’Houda fut attirée par sa blessure qu’elle portait sur le front et qui saignait encore légèrement. Apparemment, personne ne s’en était occupé. Houda tendit son bras pour toucher délicatement la plaie encore fraîche causée par le tir. Par réflexe, Brizbi recula la tête, méfiante, et saisit son poignet avec violence.
— Qu’est-ce que tu fais ? menaça Brizbi.
— Rien, calmez-vous ! Votre plaie est encore sale, elle saigne.
Surprise par son intérêt, Brizbi relâcha son poignet tout en prenant soin de garder ses distances.
— Peu importe, c’est juste une égratignure, pesta-t-elle.
— Et si ça s’infecte ? insista Houda.
Brizbi fronça les sourcils, agacée. Elle n’avait pas l’habitude d’être le centre de l’attention. D’un geste brusque, elle entoura le cou de sa prisonnière de sa main, lui faisant comprendre qu’elle ferait mieux de ne pas recommencer.
— Ce n’est rien d’autre qu’une égratignure, alors lâche-moi avec ça, avertit-elle d’un ton froid et détaché.
Réalisant qu’elle y allait peut-être un peu fort, Brizbi la relâcha presque instantanément.
— Je voulais juste vous aider... grommela Houda faiblement en reprenant son souffle.
Encore un peu douloureux, Houda porta ses mains à son cou. Un sincère regret s’installa dans les yeux de Brizbi, qui la regarda, un peu hébétée.
— Je... Je ne voulais pas. Désolée.
Houda choisit de ne pas répondre à ce qu’elle venait de dire, mais elle fut surprise de l’avoir entendue s’excuser.
— Laissez-moi regarder, proposa-t-elle. Et après, je vous promets de vous laisser tranquille.
ZOLDELLO - PALAIS D’ULTYA
Saranthia et Lilas s’affairaient aux préparatifs de la cérémonie, qui devait débuter dans une petite heure. Cela s’appelait le sacre du départ, un rituel chargé de sens. Les anciens de Zoldello, qui parlaient encore l’ancien dialecte local, le désignaient comme l’Indulas. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’était pas un événement en grande pompe. Le peuple était convié à participer, mais il n’était pas présent sur les lieux. L’heure était annoncée par la famille royale. Lorsque le signal retentirait, chaque habitant devrait se tenir devant sa porte, main sur le cœur, pour la Récitation. Une chanson solennelle résonnerait alors dans tout Zoldello, rendant hommage au roi. Pendant ce temps, la famille se recueillerait silencieusement devant sa dépouille. Une fois le chant terminé, le feu, porté par un être cher, enflammerait le corps physique pour libérer l’âme du défunt. Et c’était à Lilas, bien évidemment, que revenait cette tâche sacrée.
Le feu était contenu dans un lampion en verre délicat, tenu au bout d’un bâton d’if, symbole des cycles de vie perpétuels et de l’éternité. Les Ultyens croyaient fermement que la vie continuait lorsque l’âme entamait son nouveau voyage.
Lilas portait cet objet depuis le matin, sa main crispée autour du bâton, consciente de la responsabilité qui reposait sur ses épaules. Elle devait absolument maintenir la flamme allumée jusqu’à la cérémonie, une preuve de son amour pour le défunt. Une légende disait que si la flamme s’éteignait, c’était que l’être cher n’avait pas assez d’amour pour accomplir le rite, un poids que Lilas ressentait profondément.
Kybop tenait à être présente, tout comme le reste de l’équipage. Ses jambes peinaient à la soutenir, mais elle se sentait tout de même mieux, malgré la fatigue qui pesait sur elle. Sylice lui avait donné une béquille de fortune qu’elle avait dénichée dans le palais, lui permettant de tenir debout avec un peu plus de stabilité. Alors que les gardes s’affairaient, organisant les derniers détails, Fyguie s’approcha, le visage marqué par une profonde inquiétude...
— Comment vas-tu ?
— J’ai connu mieux, rétorqua Kybop, tentant de masquer ses propres difficultés.
Il lui sourit, compatissant, mais ses yeux révélaient une ombre d’anxiété.
— Ce n’est pas normal, ajouta-t-il.
— De quoi ?
— Pas de nouvelles d’Houda depuis hier soir. Personne ne l’a vue... Je sais qu’elle peut parfois être imprévisible, mais quelque chose ne va pas.
Kybop scruta son visage, lisant l’inquiétude sincère qui s’y dessinait. Cette angoisse partagée renforçait la tension ambiante, et un frisson de malaise lui parcourut l’échine. Elle savait qu’il avait raison. Bien qu’elle ne connaisse pas cette jeune femme en profondeur, elle percevait qu’Houda n’était pas du genre à disparaître sans laisser de trace. Elle voulait être là pour Fyguie, mais son corps ne lui permettait pas d’agir comme elle l’aurait voulu. Le mieux qu’elle pouvait faire, c’était soutenir son inquiétude auprès des autres, espérant qu’ils comprendraient l’urgence de la situation.
— On devrait en parler aux autres. Ils nous aideront sûrement, proposa-t-elle.
— Tu crois ? hésita Fyguie.
— Après tout, nous sommes les Sang-Rouge, non ? Il serait peut-être temps de faire jouer notre rang.
Il la regarda en souriant, une lueur d’espoir dans les yeux. Ils ne savaient pas vraiment à qui s’adresser, mais finalement, le choix s’imposa à eux.
— Vous allez où ? s’exclama le capitaine avec entrain, posant ses bras sur leurs épaules.
Ils échangèrent un regard complice avant de lui répondre.
— Nous allons chercher Houda, déclara Kybop.
— Elle n’est toujours pas de retour, se désola Fyguie.
— Vous partez à l’aventure ? s’enthousiasma Dogast.
L’idée semblait l’enchanter.
— Vous n’êtes pas censés rester dans le vaisseau ? s’étonna Kybop.
— Eh bien, si. Mais j’ai mon lien sur moi, expliqua-t-il.
— Votre lien ? répéta-t-elle, intriguée.
— Oui, regardez.
Dogast remonta la manche de sa veste, dévoilant une marque en forme de deux chaînons sur son poignet.
— Si je touche, cela me téléporte directement dans le cockpit.
Encore une technologie de pointe, pensa Kybop.
— Comment est-ce possible ? s’émerveilla Fyguie.
— Je suis lié au vaisseau. Il fait partie de moi et je fais partie de lui, répondit-il.
Leur complice était tout trouvé.
ZOLDELLO - INDULAS
La princesse et la Régente venaient d'arriver, toutes deux vêtues de robes similaires, probablement la tenue réglementaire pour un tel événement. Les deux cousines se tenaient fièrement, drapées dans des robes noires élégantes qui tombaient avec grâce jusqu'à leurs chevilles. Le tissu, d'un noir profond, évoquait la dignité et le respect inhérents à l'événement. Chaque robe était délicatement brodée de motifs floraux en fil doré, un motif récurrent sur cette planète. Les manches longues et fluides ajoutaient une touche de sophistication, tandis qu'un léger décolleté accentuait la délicatesse de leur port. Ensemble, elles incarnaient la beauté et la gravité de ce moment solennel, prêtes à honorer leur père et oncle.
Elles s'approchèrent du promontoire de pierre où reposait le roi Gotbryde, enveloppé dans un drap de soie mauve brodé de ses initiales. Lilas et Saranthia se positionnèrent de part et d'autre de la dépouille. La princesse tenait sa flamme dans la main droite, toujours ardente. La Régente se tenait de l'autre côté, faisant face à sa cousine, les mains derrière le dos et la tête haute.
Un chant s'éleva, se répandant dans les environs et provoquant des frissons. La mélodie fredonnée résonnait dans chaque arbre, chaque fleur, chaque nuage. Un léger vent semblait même la transporter, enveloppant le moment d'une poésie poignante.
"De la pointe d'un If,
Ton âme s'envolera.
D'un feu des plus vifs,
Ton corps s'évanouira.
De notre mémoire obligée,
Ton nom perdurera.
Au nom de l'Éternité,"
Le chant se termina, laissant place à un silence fracassant. Le temps semblait suspendu dans les airs. Finalement, Lilas s'avança et laissa s'échapper la flamme. Le corps de Gotbryde s'embrasa lentement, libérant des effluves de lavande qui se répandaient tout autour de lui. Chaque lueur incandescente semblait tisser un passage vers l'au-delà, un doux adieu à cette existence. Tandis que les flammes consumaient sa chair, elles libéraient son âme, tel un oiseau enfin affranchi, prêt à prendre son envol vers une nouvelle vie, celle d'après. Le crépitement du feu résonnait comme un chant de libération, une promesse que la vie continuait au-delà des ombres de cette planète rongée par les conflits.
— Que ton âme trouve sa nouvelle destinée, que ton règne s'achève apaisé, récita Lilas, la voix tremblante.
— La main sur le cœur, le regard vers l'avenir, accompagna Saranthia.
Après que Saranthia eut pris la parole, la cérémonie toucha à sa fin. Il était temps pour Kybop, Fyguie et le capitaine de s'éclipser.
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