ADHARA *** I ***
PIROS - CABINE DE KYBOP
Fyguie ne se remettait toujours pas de l'idée d'avoir abandonné Houda. Cela faisait maintenant plus d'une heure qu'il ressassait l'événement dans la cabine de Kybop, incapable de s’apaiser. Sylice, assise sur le lit, l'observait sans un mot, laissant son agitation s'exprimer librement.
— Mais on l’a laissée ! Elle est peut-être morte ! s'exclama-t-il en faisant de grands gestes. Ou alors elle va mourir ! Et nous, on est là, à dériver vers une planète inconnue… Encore ! finit-il par lâcher, sa tête s’effondrant dans ses mains.
Tout comme Sylice, Kybop se contenta de le laisser évacuer sa frustration. Après tout, que pouvaient-ils faire de plus ? L’affaire était entre les mains des Oiseaux de Zoldello, et elle espérait qu’ils leur apporteraient rapidement de bonnes nouvelles. Mais à voir Fyguie, elle avait l'impression que son esprit était sur le point d'exploser. Il était trop sensible pour continuer à supporter ce poids. Elle devait intervenir.
— Fygs… Personne n'a trouvé la moindre trace d'Houda. Je comprends ton inquiétude, mais ça veut aussi dire que, pour l'instant, personne ne lui a fait de mal. Pas de sang, pas de signes de lutte, rien qui lui appartienne… tenta-t-elle pour le calmer.
— Et alors ? rétorqua-t-il, les yeux brillants de colère. Elle a pu être enterrée vivante, ou tuée proprement, sans laisser de traces ! Tes arguments ne tiennent pas ! Sa voix défaillit alors qu'il fixait Kybop d’un regard noir, avant de se radoucir. Je sais que tu essaies de me rassurer, mais… tu ne pourras pas.
Il s'effondra sur le lit, à côté de Sylice, son visage caché dans ses mains, secoué de sanglots. Il n’était pas prêt à accepter ce qu’il se passait. Kybop devait parasiter le fil de ses pensées. Et pour cela, quoi de mieux que de parler d’autre chose ? Quelque chose qui pourrait le mettre dans l’embarras...
— Bon… Vous êtes en couple ou pas ?
Fyguie se figea, interloqué par la question soudaine.
— Quoi ?
— Toi et Sylice, vous êtes en couple ou pas ?
Elle l'observa, très intéressée par la réponse qu'il allait donner. Sa panique était palpable alors qu'il posait ses yeux sur elle, puis sur Kybop, puis de nouveau sur elle.
— Euh… C’est que… Disons que… bégaya-t-il en se redressant.
— Disons que quoi ?
Sylice croisa les bras, une moue boudeuse aux lèvres.
— Mais pourquoi on parle de ça maintenant ? Ce n’est vraiment pas le sujet, Kyb !
Kybop ne put s’empêcher de pouffer de rire en les observant.
— En tout cas, vous êtes mignons tous les deux.
Il secoua la tête, essayant de balayer ses mots. Finalement, Fyguie s’assit à côté de Sylice, qui ne sembla pas lui en vouloir pour sa réponse évasive. Elle glissa sa main dans son dos pour le soutenir, avant qu'il ne reprît :
— Houda, elle ne m'aurait jamais abandonné sur Zoldello... Je suis un lâche, soupira-t-il, envahi par la honte.
— Tu n'es pas un lâche. Parfois, on n’a pas le choix.
— On a toujours le choix, rétorqua-t-il, l'air coupable.
— Non… pas toujours, murmura-t-elle presque pour elle-même.
Elle s’assit à son tour à côté de lui, lui offrant une présence réconfortante.
— Je suis sûre qu'elle mène la vie dure à quelqu'un en ce moment-même, continua-t-elle avec un sourire encourageant. C'est une dure à cuire. Ne t'inquiète pas.
L’idée sembla éveiller une vérité amusante, et un léger sourire apparut sur son visage.
ZOLDELLO - AUBERGE DANS UN VILLAGE INCONNU
Houda et Brizbi avaient trouvé refuge dans une auberge. Toujours tâchée de sang de la tête aux pieds, Brizbi restait silencieuse devant la fenêtre de leur chambre, le regard perdu dans le vide. Houda peinait à comprendre ce qui se passait dans sa tête ni comment l’aider. Et surtout, pourquoi ressentait-elle ce besoin pressant de lui venir en aide ?
Toute cette violence en elle était terrifiante. Brizbi avait massacré deux hommes en pleine rue. Elle aurait pu simplement les mettre hors d’état de nuire sans aller aussi loin. Elle en avait le choix et les capacités, mais elle avait décidé de réagir autrement. Pourtant, Houda ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle avait agi avec cette violence pour la protéger. Elle se sentait redevable.
Houda la rejoignit devant la vitre. Brizbi ne releva même pas la tête, le regard plongé dans le vide, s’accrochant seulement à ce néant. Houda l’observa et remarqua que son visage était étrangement apaisé. Ses yeux glissèrent sur son nez, sa bouche, son cou... Elle se surprit à l’admirer. Son regard finit par se perdre dans le creux de sa main.
Elle saisit délicatement celle-ci avec les siennes. Ce contact physique réveilla Brizbi de ses songes, provoquant un léger frisson chez Houda, qui ne savait jamais comment elle allait réagir. Elle était capable du pire... comme du meilleur.
Sans avoir le temps de réagir, Brizbi plongea son visage dans le cou d'Houda et l’enveloppa de ses bras dans une étreinte fusionnelle. Houda, surprise, garda les mains en l'air un moment avant de lui rendre son élan de tendresse. Brizbi ne relâcha pas sa prise, serrant la scientifique contre elle autant qu’elle le pouvait. Houda glissa alors ses doigts dans la chevelure blonde de Brizbi pour maintenir sa tête contre son épaule.
— Je n'ai plus de raison de te garder avec moi. Tu peux partir, murmura-t-elle, la voix tremblante.
Cette déclaration provoqua un pincement au cœur d'Houda.
— Et toi ? interrogea-t-elle, la voix chargée d'inquiétude.
— Moi... Je n'ai plus de but, soupira Brizbi. Ma vie était régie par Krane, et elle n'est plus là.
— Tu n'as pas besoin de quelqu'un pour exister, répondit Houda avec fermeté.
Brizbi resserra son étreinte autour d'Houda, son angoisse transparaissait dans ses gestes.
— Tu ne comprends pas. Elle était tout pour moi... admit-elle.
— Non, je ne te connais pas... Ni toi, ni ta vie. Mais si tu as besoin de directives, je fais ça très bien.
Elle ricana dans son cou et son souffle chaud provoqua des palpitations chez Houda.
— Et qu'est-ce que tu pourrais bien avoir pour moi ? demanda-t-elle, un sourire joueur aux lèvres.
— Une mission. Celle de sauver l'Univers, dévoila-t-elle avec détermination.
Brizbi éclata de rire avant de s’écarter légèrement. Pourtant, elle ne relâcha pas complètement son emprise, gardant ses mains posées sur la taille d’Houda. Son regard s’attarda sur son visage, cherchant à déceler la moindre nuance dans ses propos. Houda, elle, ne cilla pas. Ses yeux restèrent ancrés dans les siens, avant qu’elle ne souffle avec assurance :
— Je ne plaisante pas...
PIROS-COCKPIT
Dogast tapotait de partout sur ses tableaux de bord. Binny se tenait derrière lui et l’observait avec une curiosité enfantine. Elle ne comprenait rien à ses manipulations, mais elle était complètement envoûtée par toute cette technologie.
— Et là ? Si vous appuyez, il se passe quoi ? demanda-t-elle en s'approchant, les yeux brillants d'excitation.
— L'appareil explose, plaisanta Dogast, cigarillo aux lèvres.
— Vraiment ?
Le capitaine lui répondit dans un éclat de rire moqueur. Comprenant qu'il venait de se jouer d'elle, Binny lui donna une tape sur l'épaule qui le projeta vers l'avant, à sa grande surprise. Il ne s'attendait pas à autant de force. Binny n'était pas très grande, un petit gabarit. Mais elle était un tas de muscles. Fine et sèche.
— Nous serons sur Kapu dans combien de temps ? interrogea-t-elle, impatiente.
— C'est assez lointain. Nous devrons certainement faire une escale, informa-t-il en changeant de cap sur son appareil.
— Où ? demanda-t-elle en plissant les yeux avec curiosité.
— Sur Adhara, lança-t-il, s'attendant à une vive réaction de sa part.
Binny ne put retenir son émotion. Sautant presque de joie, elle réalisa qu'elle avait trouvé l'Oracle et qu'elle était autorisée, en tant que porteuse de lanterne, à revenir chez elle. Le capitaine le savait très bien. Ristoc attrapa le capitaine par-derrière pour lui faire un câlin quelque peu guerrier.
— Merci, Dogast ! C'est une nouvelle incroyable ! s’enthousiasma-t-elle.
Le capitaine lui tapota l'avant-bras, toujours autour de son cou, en riant.
— Vous me ferez visiter ?
— Avec plaisir !
PIROS-PONT
La princesse Lilas ne dérogeait pas à ses habitudes depuis son premier embarquement à bord du Piros : elle se posait sur le pont pour admirer l'univers, laissant divaguer ses pensées. Zorth la rejoignit dans la plus grande discrétion pour ne pas l’interrompre. Mais son reflet dans la vitre trahit sa présence.
— Bonjour, Zorth, dit-elle en tournant légèrement la tête.
— Bonjour, princesse, répondit-il dans un sourire bienveillant.
Leurs yeux dérivèrent simultanément dans le vide intergalactique.
— Ne pouvions-nous pas attendre plus longtemps et ramener Houda parmi nous ? accusa-t-elle.
— Si. Nous aurions pu. Mais cela aurait retardé la mission. Et nous nous sommes permis bien trop d'écarts depuis le commencement, avoua-t-il, le ton lourd.
— Savez-vous au moins où tout cela va nous mener ?
— Si seulement je le savais... soupira-t-il, détournant le regard.
— Mon père a toujours eu le don de se lancer dans des entreprises impossibles, marmonna-t-elle, perdue dans ses souvenirs.
— L'impossible est le refuge des lâches... Ce que n'était pas le roi Gotbryde, affirma Zorth avec conviction, son index se relevant.
— Alors quoi ? Vous pensez que c'est réalisable ?
— Votre père avait le sens du spectacle. La mission Minden est à son image : rocambolesque. Mais pas impossible. Quel esprit sain confierait l'impossible à un Gudjanien ? argua-t-il, un sourire en coin.
Lilas sourit à cette idée.
— N'ayez crainte, princesse. Nous y arriverons, la rassura-t-il en lui posant une main réconfortante sur l'épaule.
— Mieux vaut avoir quelques craintes, Zorth. Cela m'évitera bien des surprises et déconvenues, rétorqua-t-elle, le ton un peu plus sérieux.
— Oui. Après tout, la prudence est mère de sagesse, acquiesça-t-il, hochant la tête.
— La prudence ? C'est la peur qui marche sur la pointe des pieds. Je ne parle pas de prudence. Je n'ai pas peur. La crainte est un risque que l'on voit venir. La peur, c'est un instant. Une réaction face au danger. Quelque chose d'épidermique. La peur suppose faiblesse. La crainte implique réflexion.
Zorth l'écouta avec attention, ses yeux rivés sur son visage, avant qu’elle ne reprenne.
— Mais comment considérer les risques ? Nous ne pouvons pas anticiper l'inconnu, s'interrogea-t-elle, perplexe.
Kidyne ne pouvait pas lui répondre. Elle le savait. Il n'avait pas les cartes de leur destin entre ses mains.
— Je ne sais pas de quoi l'avenir sera fait. Mais je serai là, déclara-t-il, déterminé. Et de ce que j'ai pu constater, il n'est pas que de mon soutien sur lequel vous pouvez compter.
— Mais si nous échouons... Nous mourrons tous ensemble, murmura-t-elle en jouant nerveusement avec son Œil.
Il plongea son regard au loin en joignant ses mains dans son dos.
— Princesse... Nous mourrons toujours seuls. La seule chose que nous puissions faire ensemble, c'est survivre, conclut-il avant de laisser place au silence.
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