NABHI *** II ***

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NABHI - CASE DE L'ANCIEN

Après des retrouvailles familiales chargées d'émotion, Binny allait devoir rendre des comptes. L'Ancien devait la recevoir pour vérifier ses dires et confirmer qu'elle avait bien vu l'Oracle. Depuis son départ, l'Ancien avait changé. Autrefois, il s'agissait d'une femme, Hyduk Grize, très respectée sur Adhara et issue d'une longue lignée d'Anciens. Mais c'était Hirsule Sandak qui avait repris la Guidance d'Adhara, et ce n'était pas n'importe qui ; il s'agissait du meilleur ami d'enfance de son père. L'idée de le retrouver la ravissait.

— Binny Ristoc ! En chair et en os ! clama-t-il d'un ton enjoué.

Il lui tendit les bras, et elle ne manqua pas l'occasion de lui rendre la pareille.

— Hirsule... Si tu savais comme cela me fait plaisir de te voir... confia Binny d'une voix douce et réconfortante, tout en le serrant contre elle.

— Moi aussi, mon enfant. Nidyr aurait été tellement fier de toi.

Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas entendu quelqu'un prononcer son prénom. Faire allusion à lui transforma sa tristesse en une mélancolie enfantine. Elle se souviendrait toujours de leurs adieux, sous la cascade du chagrin.


NABHI - CASCADE DU CHAGRIN - JOUR DU DÉPART DE NYDIR RISTOC

— Il est temps que je parte. Sache deux choses, Binny : la première, c'est que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour retrouver l'Oracle. La deuxième, c'est qu'il ne se passera pas une seconde sans que je ne pense à vous. Toi, Dozik, Kat et votre mère. Peu importe ce qu'il se passera ensuite. Et ne pense pas que, parce que tu es la plus âgée de la fratrie, tu dois me remplacer. Ton seul rôle est celui de grande sœur, tu n'es ni la mère ni le père de personne. L'urne du Destin a décidé de mettre notre famille à l'honneur ou à l'épreuve, tout dépend du point de vue. Les Ristoc seront peut-être ceux qui ramèneront le Savoir sur Adhara.

Un immense sourire se dessina sur ses lèvres, laissant deviner à quel point Nidyr était habité par leurs préceptes.

— Notre nom entrerait dans l'histoire ! s'exclama-t-il, les yeux brillants d'envie.

Il posa sa main sur l'épaule de Binny, lui offrant une légère pression réconfortante.

— Je suis fier de la jeune fille que tu es et que tu deviendras. Je n'ai aucun doute là-dessus... déclara-t-il, le regard empli d'amour. Ne te perds pas dans la colère si jamais je ne reviens pas et reste fidèle à nos traditions. Elles ne sont pas que des fabulations, insista-t-il, cherchant à capturer son regard.

Ce jour-là, même si Binny ne l'avait pas formulé, elle avait fait une promesse à son père : celle de respecter ses devoirs, comme il le faisait, avec ferveur et passion.


NABHI - CASE DE L'ANCIEN

Binny reprit ses esprits, émergeant d'un doux et amer souvenir du départ de son père. Chaque détail de cette réminiscence était si vif, comme si chaque seconde de cet instant partagé avait été figée dans son esprit. Les odeurs, le bruit de l'eau, la couleur des yeux de son père illuminés par le soleil, l'intonation de sa voix, le frisson des adieux dans son corps... Tout cela lui revenait avec une clarté déconcertante, comme si cela venait de se produire. À chaque clignement de ses yeux, elle se retrouvait sous la cascade. Ses paupières closes devenaient l'écran de ses souvenirs. Les garder fermées pendant quelques secondes lui apportait un réconfort certain, celui de se sentir chez elle à nouveau, son père à ses côtés.

— Alors... Raconte-moi tout ! s'impatienta Hirsule en se frottant les mains.

Il venait d'interrompre le fil de sa pensée en l'invitant à s'installer.

— Oh non, attends ! Je vais nous faire un thé ! interrompit-il en remuant les mains. Du thé vert de la vallée de Cranak. Une merveille, tu vas voir. Fort, avec des notes d'hibiscus et de gingembre. Avec une pointe de miel, cela va délier les langues ! Je ne veux pas que tu oublies le moindre détail, annonça-t-il dans un clin d’œil complice.

Après avoir fait siffler la bouilloire, il lui apporta une tasse de sa délicieuse boisson. Elle était encore fumante et dégageait des arômes envoûtants. Une fois qu’il fut bien installé, elle se prépara à commencer son récit. Hésitante, elle ne savait pas comment aborder son histoire : opter pour un ton sérieux et solennel, comme le faisait son père, ou choisir un récit enjoué, digne des plus grandes épopées, comme elle savait si bien le faire. Un petit sourire en coin, elle décida finalement d'être fidèle à elle-même.

— J'ai rejoint, au cours de mon voyage, un équipage composé de personnes incroyables, en mission pour un roi d'une galaxie lointaine ! Le roi Gotbryde d’Ultya, précisa-t-elle. Cela m'a beaucoup aidée dans ma quête, car figure-toi que c'est grâce à eux que j'ai trouvé l'Oracle. Nos missions nous menaient dans la même direction, ajouta-t-elle, ponctuant ses paroles de nombreux gestes désordonnés. Nous avons exploré une planète nommée Eredet, et c'est là que nous avons découvert le temple sacré... Sous terre, profondément enfoui dans les entrailles de cette planète ! annonça-t-elle en se relevant brusquement de sa chaise, incapable de rester en place.

Hirsule but son thé en fronçant les sourcils, les yeux remplis d'incrédulité et d'impatience. Il avalait son récit comme il dégustait sa précieuse mixture, avec empressement et plaisir.

— Tu n'as pas idée de ce qu'il y avait dans ce temple. Des murs entiers couverts d'écritures anciennes et de prédictions, partout ! C'était à en perdre la tête ! décrivit-elle en se tenant la tête, debout face à lui. Puis, l'Oracle est apparu. Je me suis présentée, mais il a deviné de lui-même que j'étais la porteuse. Il nous a invités à entrer dans une pièce imprégnée d'une magie incroyable. C'est là qu'il m'a transmis le Savoir.

— Tu veux dire que nous pourrons allumer la Flamme du Savoir dès demain ? s'amusa Hirsule, haussant un sourcil.

— Oui. Ma lanterne est prête, confirma Binny.


NABHI - CHAMBRE DE BINNY

Après sa conversation avec l’Ancien, l’annonce de la cérémonie de la Flamme du Savoir s’était déjà répandue aux quatre coins de la planète Adhara. Binny avait repris le chemin de la maison familiale, cherchant à se ressourcer et à se préparer pour cet événement. Un événement que plus personne ne croyait possible, et que certains avaient même fini par imaginer ne jamais voir de leur vivant.

De retour dans sa chambre, elle avait constaté que rien n’avait bougé d’un millimètre, comme si le temps s’était figé depuis son départ. Seule la poussière témoignait du temps écoulé. Elle ignorait pourquoi, mais cela la rassurait. Si quelque chose avait changé, elle aurait probablement eu l’impression d’avoir été oubliée.

On frappa à la porte. Sans attendre de réponse, une tête était apparue.

— Hola ! lança Dozik, plein d’entrain.

Binny lui sourit et lui fit signe de la rejoindre. Il s’allongea sur le lit à côté d'elle, et ils restèrent ainsi un long moment, les yeux rivés sur le plafond.

— Je n’en reviens pas. Tu vas vraiment diriger la cérémonie de la Flamme du Savoir ?

— Il paraît, oui... répondit-elle, encore incrédule.

— Tu m’as manqué.

Binny esquissa une moue moqueuse avant de répondre :

— Toi aussi, tu m’as manqué, petite vermine, avoua-t-elle en le regardant avec tendresse.

Dozik avait toujours été direct, disant ce qu’il pensait sans détour, ce qui lui passait par la tête. Il n’avait jamais craint de paraître sensible ou vulnérable. Dozik accueillait ses émotions à bras ouverts. Binny ne put s’empêcher de le prendre dans ses bras, le serrant aussi fort que possible. Elle en profita pour lui ébouriffer les cheveux, comme elle l’avait toujours fait quand il était petit. Mais il n’était plus un enfant. Tout comme Katany, le temps avait fait son œuvre, effaçant son visage juvénile et son allure enfantine pour laisser place à une barbe de trois jours et un corps viril, affûté.

Soudain, quelqu’un se racla la gorge pour signaler sa présence.

Leur mère se tenait debout devant la porte, les bras croisés, les yeux remplis de tendresse.

— Tu veux un poutou ? taquina Dozik.

Tamy secoua la tête, toujours amusée par les pitreries de son fils.

— Est-ce qu’on peut parler, ma chérie ? demanda-t-elle en se tournant vers Binny.

— Hop hop hop, c’est le moment où l’homme alpha de la maison doit s’éclipser ! lança Dozik en prenant un air dramatique.

— L’alpha, oui, c’est ça, s’esclaffa Binny en le poussant hors du lit.

Dozik se releva, passa à côté de leur mère, mimant un homme à la musculature démesurée. Il fit mine de ne pas pouvoir passer la porte, avant de s’éclipser en riant de sa propre bêtise.

Tamy s’avança et prit place à côté de Binny. En lui saisissant doucement les mains, elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille avec toute la tendresse d’une mère.

— Je n’arrive toujours pas à réaliser que tu es vraiment là, j’ai encore l’impression que je vais me réveiller… Et que ta chambre sera vide, murmura-t-elle, le cœur lourd. J’ai fait ce rêve si souvent...

Binny la regarda, se disant que sa mère était la femme la plus résiliente qu’elle connaissait. Si courageuse. Voir cette lueur d'incertitude dans ses yeux lui fendait le cœur, comme si elle ne croyait pas mériter que quelque chose de bon lui arrive.

Binny voulut redonner le sourire à sa mère et décida de lui pincer le bras. Tamy sursauta légèrement avant de rire avec elle.

— Tu vois que tu ne rêves pas ! s'exclama Binny en tirant légèrement la langue avec malice.

— Tu n'y vas pas de main morte !

Alors qu’elles riaient de bon cœur, Tamy prit sa fille dans ses bras. Un doux sentiment de sécurité réchauffa chaque cellule de son âme. Tout en la gardant contre elle, elle questionna Binny :

— Tu te sens prête pour la cérémonie ?

— Plus que jamais. Ça fait des années que j’attends cela. Je ne pensais même pas que ça arriverait un jour.

— Tant mieux. Tu honoreras les anciens porteurs, ton père, et tu porteras notre nom parmi les Honorables d’Adhara.

Les Honorables étaient ceux qui avaient accompli des choses notables pour la planète, voire pour l’univers. Parmi eux figuraient les porteurs, les guerriers ayant remporté de grandes batailles, les Oracles, et bien d’autres.

— Je suis fière de toi, ma fille.


NABHI - FALAISE

La cérémonie aurait lieu le lendemain matin, et Binny avait ressenti le besoin de partir pour se ressourcer. Elle aspirait à prendre une grande bouffée d’un paysage qu’elle connaissait bien. Cela faisait tant d’années qu’elle n’avait pas pu apprécier les merveilles spectaculaires de sa planète mère. Repensant à son retour, elle se revoyait passer la porte de chez elle avec Dozik. À cet instant, elle avait eu cet étrange sentiment : celui de ne pas se sentir chez elle sous son propre toit, comme si cet endroit n’était plus vraiment son foyer. Elle avait l’impression d’avoir d’autres choses à accomplir, ailleurs.

Dans les grands moments de doute comme celui-ci, son père avait pour habitude de venir ici, noyant son regard et sa réflexion dans les Aurores Boréales du lac Ketseg, les yeux plongés au loin, par-delà les montagnes enneigées de Dacos. C’était ainsi qu’elle aimait l’imaginer en ce moment même : perdu, quelque part, dans le fin fond de l’Univers, sur une planète oubliée, à contempler des panoramas à couper le souffle. Elle se disait qu’il aimerait les lui montrer, les partager avec elle, sourire au gré du vent... Mais personne ne savait où il était, ni même s’il était encore en vie. L’idée de le savoir exilé, toujours aux prises avec sa mission, la réconfortait.

Se pensant seule, elle continuait d’observer l’aurore que le crépuscule lui offrait, sans remarquer que son frère et sa sœur s’étaient installés à ses côtés, l’un à sa gauche et l’autre à sa droite. Tous trois assis sur le rebord de la falaise, leurs cheveux roses virevoltant aux caprices de la brise marine. Tandis que Dozik posait sa tête sur son épaule, Kat prit sa main et l’enveloppa dans les siennes en la ramenant sur sa cuisse. Enfin réunis, comme les chaînons fragiles d’une chaîne indestructible. Cela faisait bien longtemps qu’elle ne s’était pas sentie aussi forte, aussi prête, aussi entourée. L’heure était venue de faire rayonner le nom des Ristoc sur Adhara. Et ce serait de sa main que brillerait à nouveau la Flamme du Savoir.

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