FLAMME DU SAVOIR *** I ***

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NABHI - BORD DE MER

Il était tôt ce matin-là, et Kybop avait décidé de sortir prendre l'air, de se défouler en courant. D'aussi loin qu'elle se souvenait, le sport lui avait toujours fait du bien, et le climat d'Adhara était particulièrement agréable. La ville de Nabhi, nichée dans une vallée entre mer et montagnes, était baignée par un air chargé de sel, tandis que le vent sec venu des hauteurs était revigorant. La température était douce, et le soleil commençait à pointer le bout de son nez dès quatre heures du matin. Cette planète, toujours inondée de lumière, respirait la prospérité. Les paysages étaient à la fois apaisants et majestueux. Le bruit des vagues qui se brisaient contre les rochers l'accompagnait tandis qu'elle longeait la falaise. Kybop cherchait à vider son esprit avant la cérémonie de la Flamme du Savoir, prévue dans quelques heures. Elle ne savait pas vraiment à quoi s'attendre, mais elle sentait que cela allait être chargé en émotion. Elle rejoindrait les autres au dernier moment, car pour l'instant, elle éprouvait le besoin de s'isoler.

Après avoir couru jusqu'à l'épuisement, elle opéra un demi-tour en direction de Nabhi. C'est alors qu'elle tomba sur Lilas, au détour d'un sentier qui redescendait vers la rive. Droite, comme à son habitude, Lilas fixait l'horizon. Il n'y avait ni univers ni planètes dans lesquels se perdre ce jour-là, seulement une baie baignée par le soleil levant, entourée de villages et de montagnes.

Kybop ne la distinguait pas bien, le soleil étant bien trop éblouissant. En s'approchant, les petits cailloux roulaient sous ses pieds, trahissant sa présence. Lilas se retourna sans quitter son perchoir, attendant qu'elle la rejoigne. Une fois à sa hauteur, Kybop posa enfin son regard sur elle.

Lilas était là, simple et naturelle, comme elle ne l'avait jamais vue. Ses cheveux blonds, légèrement ondulés, tombaient librement, épousant les caprices du vent. Les reflets du soleil orangé dansaient dans ses yeux noisette. Elle portait une robe d'été rouge fluide, ornée de délicats motifs floraux. Ses cheveux et les volants de sa robe flottaient avec légèreté, animés par la brise. Kybop resta sans voix, le souffle coupé.

Elle est si belle, rêva-t-elle.

— Kybop ? Est-ce que tu m'écoutes ? demanda Lilas, haussant les sourcils.

Kybop n'avait même pas réalisé que Lilas lui parlait. Ses yeux étaient rivés sur son doux visage. C'était la première fois qu'elles échangeaient depuis leur baiser volé sur Zoldello. Kybop avait fait de son mieux pour l'éviter dans les couloirs du Piros, si mal à l'aise avec ce genre de situation à éclaircir. Elle détestait devoir deviner ce que l'autre pensait ou ressentait. L'implicite était son pire ennemi ; elle appréciait la clarté et la franchise.

— Pourquoi m'avez-vous embrassée, princesse ? demanda-t-elle, perplexe.

Elle marqua volontairement une distance en l'appelant par son titre.

— Pourquoi est-ce que tu me vouvoies ?

Elle fronça les sourcils, visiblement contrariée.

— Pourquoi me tutoyez-vous ? rétorqua Kybop sans attendre.

Le visage de Lilas se crispa d’autant plus.

— Existe-t-il plusieurs raisons d'embrasser quelqu'un ? s'agaça Lilas, avançant d'un pas dans sa direction.

— Je ne sais pas. Cela pourrait être un acte impulsif, une envie passagère. Il est toujours temps de regretter quelque chose, balbutia Kybop.

— Devrais-je donc le regretter ? articula Lilas doucement, s'assurant d'avoir bien compris.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, justifia Kybop dans un souffle.

— Alors qu'est-ce que tu veux dire ?

— J'ai juste besoin de comprendre, c'est tout. Pourquoi m'avez-vous embrassée ?

Kybop évita soigneusement ses yeux, son attention fixée au loin sur l’horizon de la baie.

— Vous ne m'avez pas adressé un mot de tout le reste du voyage ! ajouta-t-elle finalement.

Lilas attrapa ses poignets pour l’obliger à croiser son regard.

— Regarde-moi ! ordonna-t-elle avec une douceur presque captivante.

Kybop s'exécuta sans hésiter une seule seconde, se perdant volontiers dans ses yeux légèrement dorés. Un frisson la parcourut. Une vague de chaleur l'envahit au simple contact des mains de Lilas sur les siennes. Savoir qu'elle la retenait, elle, physiquement, la bouleversa.

— Écoute-moi, insista Lilas. Je ne sais pas exactement pourquoi tu luttes ainsi, pourquoi tu veux mettre des raisons sur tout. Pourquoi tu cherches à justifier l'intérêt que quelqu'un peut te porter, comme si cela n'était pas légitime. Mais tu es une personne qui mérite tout l'intérêt du monde. Alors, arrête de réfléchir ou de prêter de mauvaises intentions aux personnes qui ne te veulent que du bien, conclut-elle, espérant percer sa carapace.

Elle fit un pas dans sa direction, les rayons du soleil dernier obstacle entre leurs deux corps. Ses mains se glissèrent délicatement autour du visage de Kybop, qu'elle maintint avec une grande tendresse.

— Moi. Tu m'intéresses, murmura-t-elle en glissant ses yeux sur les lèvres de Kybop.

L'attraction fut telle que, sans s'en rendre compte, Kybop fit également un pas vers elle. Elle l'agrippa par la taille pour s’assurer qu’elle ne lui échappe pas.

— Pourquoi ? souffla-t-elle, pas certaine de pouvoir la croire.

Lilas lui sourit tendrement.

— Tu es toujours là. Mais tu ne te contentes pas d'être à mes côtés. Tu regardes aussi dans la même direction. Toi et moi, nous sommes faites pour avancer ensemble. Mes pas se font plus doux lorsque je sais que tu me suis, et plus lourds quand tu n'es plus là, récita-t-elle d'une voix mélodieuse.

À mesure qu'elle parlait, leurs visages se rapprochèrent. Sa voix se fit plus faible, se transformant en un envoûtant soupir.

— J'ai besoin de toi à mes côtés. Lorsque Zorth est venu te chercher sur ce bout de cailloux, le chemin de ton destin s'est allumé, illuminant celui des autres. Grâce à toi, je sais où je vais maintenant, glissa-t-elle dans un dernier souffle.

Kybop eut presque l'impression de sentir ses lèvres effleurer les siennes lorsqu'elle murmura sa dernière phrase. Elle ne pouvait plus retenir sa pulsion ni son envie. Chaque battement de son cœur résonnait comme les vagues qui se brisaient contre les rochers en contrebas. Elle la voulait. L'attrapant par la taille pour la ramener à elle dans un élan de possessivité maladive, leurs lèvres se rencontrèrent enfin, et le monde autour d'elles s'effaça. Lilas laissa voguer ses mains dans ses cheveux, et elles partagèrent un baiser passionné. Lilas serra ses cheveux dans son poing juste derrière sa nuque, un geste empreint de désir qui la transporta au-delà de ses craintes et de ses incertitudes. Ses mains entourèrent la taille fine de Lilas, l'attirant un peu plus vers elle, comme si leurs corps cherchaient instinctivement à se fondre l'un dans l'autre. Elles étaient là, isolées du monde, accompagnées par la beauté de l'instant et du paysage de cette planète qui se réveillait.

Il ne s'agissait plus d'un baiser volé au détour d'une situation particulière. Elles étaient en train de s'ouvrir l'une à l'autre, comme le soleil qui se levait lentement sur Adhara. En Kybop, quelque chose s'éveillait, une chaleur douce et réconfortante, chassant les ombres de ses doutes. Le baiser s'arrêta tendrement, leurs fronts toujours connectés, leurs yeux clos, savourant cette intimité.

Guitry disait souvent que l'on appréciait davantage les choses les yeux fermés. Selon lui, l'esprit devait se soustraire à toute stimulation visuelle pour se concentrer pleinement sur les sensations. Il évoquait les souvenirs de sa mère, confiant qu'il pouvait la voir le soir, lorsque ses paupières étaient closes, et que cela lui procurait des frissons. Dans cet instant suspendu, Kybop comprit ce qu'il avait raison : la vie était bien plus belle les yeux fermés, et elle ressentait, plus que jamais, l'importance de cette connexion entre elle et Lilas.


ADHARA - CÉRÉMONIE DE LA FLAMME

Une heure plus tard, tout le monde se réunit à l'emplacement indiqué par Binny. Le lieu de la cérémonie trônait majestueusement sur une montagne non loin de Nahbi, offrant un panorama à couper le souffle. La foule s'y pressait de toute part, et pour l'occasion, les habitants d'Adhara avaient revêtu leurs vêtements traditionnels. C'était un événement historique, et les familles se bousculaient pour apercevoir la porteuse de lanterne.

Binny se trouvait déjà devant le foyer, un sourire ineffable accroché à ses lèvres. À ses côtés, Katany, Dozik et leur mère se tenaient fièrement. Une immense flamme jaune, d'au moins cinq mètres de haut, brûlait juste derrière eux, projetant une lueur éclatante sur la scène.

Lorsque Kybop scruta le reste de l'équipage, elle remarqua que Slikof était aux premières loges. Ses yeux ne quittaient pas Binny ; il l'observait avec une intensité remarquable, et elle crut même apercevoir une pointe d'admiration dans son regard. C'était l'occasion parfaite d'aller lui demander s'il avait des nouvelles d'Houda.

— Salut, Slikof.

Il tourna la tête vers elle et la salua d'un simple geste, sans un mot.

— Des nouvelles de vos oiseaux ?

— Non, rien, répondit-il brièvement, avant de retourner son attention sur Binny. Mais ne vous inquiétez pas, si j'apprends quoi que ce soit, vous serez au courant.

Un sourire taquin se dessina au coin des lèvres de Kybop.

— Quand mes yeux pétillent autant que les vôtres, c'est que je pose mes yeux sur quelque chose que je compte consommer, dit-elle, sourcil arqué.

Il leva les yeux au ciel, exaspéré.

— Vous n'allez pas vous y mettre non plus…

— Ha ! Alors c'est que je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué.

Elle osa lui donner un coup de coude complice. Il secoua la tête, tentant de nier l'évidence.

— Vous devriez le lui dire, lança-t-elle en l'encourageant.

— Dire quoi ? À qui ?

— Slikof... grogna-t-elle amusée.

L'espion entra dans sa petite phase de déni. C'était amusant de le voir incapable d'aller à l'encontre de son langage non-verbal. Il se tendit, son visage trahissant un désaccord qu'il ne parvint pas à affirmer complètement. Face à elle, se tenait un homme qui, visiblement, en pinçait pour quelqu'un, mais refusait de l'assumer.

— Vous savez, je suis comme vous, Slikof, dit-elle en le fixant.

— Alors là, je serais bien curieux de savoir en quoi nous pourrions nous ressembler, rétorqua-t-il sur un ton condescendant.

— Vous êtes un idiot. Comme moi.

Il fronça les sourcils, offusqué.

— Vous semez vos sentiments dans un labyrinthe sans issue, argua-t-elle. Vous pensez à tort qu'ils ne s'en échapperont jamais. Mais c'est faux. Cela finira par vous ronger, quoi qu'il arrive. Réprimer, c'est souffrir en silence.

— Vous oubliez mes devoirs, répliqua-t-il en haussant les épaules. J'ai fait une promesse au Nid. L'amour, les idylles, ce ne sont que des rêveries pour moi. Mes convictions et ma raison resteront infaillibles. Aimer, c'est être vulnérable et les espions doivent rester intouchables.

— La raison, les convictions... Cela abîme les sentiments, fit-elle remarquer. S'abîmer, c'est s'affaiblir. S'affaiblir, c'est être vulnérable. Alors, à quoi bon se priver ?

Il resta muet. Kybop vit bien qu'il avait dû sacrifier bien des choses pour devenir l'homme qu'il était aujourd'hui : respectable, irréprochable. Un maître, espion de renom, jouissant des faveurs de la cour, de la famille royale et de bien d'autres à travers la galaxie d’Ultya. Mais à quel prix ?

La cérémonie allait commencer. Une assemblée de musiciens s'était placée non loin de la flamme, prête à faire sonner leurs instruments. Lorsque la mélodie débuta, la musique tribale qu'ils jouaient prit Kybop aux tripes. La foule se fit silencieuse, attentive, et les regards s'affolèrent en direction de l'immense flamme jaunâtre. Binny monta les deux marches qui la séparaient d'elle et se plaça face au peuple, venu s'agglutiner devant leur héroïne pour assister à l'événement. Hirsule l'Ancien vint la rejoindre pour prendre la parole.

— Adhara ! Le moment est venu de raviver la Flamme de Savoir sur notre planète, résonna sa voix dans la vallée. Après des siècles d'absence, nous espérons faire briller à nouveau le bleu Azurin de l'Oracle sur son foyer originel.

Il leva le bras en direction de Binny pour l'inviter à procéder au rituel tant attendu. Son impatience se lisait sur son visage. Elle jeta un rapide coup d'œil à sa famille avant de s'avancer complètement dans la flamme, disparaissant sous quelques cris de panique. Le regard de Kybop se fixa une seconde sur Slikof, dont l'inquiétude était palpable. Il était prêt à intervenir. Mais tout à coup, le jaune éclatant du foyer commença à vaciller, comme s'il dansait ou se débattait contre une force inconnue. Une lumière éclatante s'en libéra, puis s'éteignit aussi rapidement qu'elle était venue. Cela rappela à Kybop lorsque l'Oracle s'était penché à l'oreille de Binny dans le temple sacré et lui avait confié quelque chose dont elle seule connaissait la nature.

Soudain, une onde de choc retentit et la foule se protégea instinctivement le visage. Le souffle était tel que certains couvre-chefs s'envolèrent au loin. Lorsque tout le monde recentra son attention sur la flamme, celle-ci brillait d'un bleu éclatant. Comprenant que le rituel avait été un succès, des applaudissements se propagèrent parmi les habitants d'Adhara. Mais ce n'était pas le cas de leur équipage, encore à la recherche de Binny, qui n'était jamais sortie de ce brasier. Slikof s'avança d'un pas, prêt à aller à son secours, quand elle réapparut enfin. Elle ne semblait ni blessée ni brûlée, mais subissait un débordement d'émotion, tout comme Tamy, qui avait du mal à retenir ses sanglots. Binny se tourna vers le foyer et le regarda brûler tout en semblant chuchoter quelque chose, une larme sur la joue.

— À toi, papa... L'Azurin brûle à nouveau. La mission des Ristoc est enfin achevée. Où que tu sois... sois en paix.

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