LE REGARD *** II ***

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PIROS - COULOIR

Houda avançait, lointaine, vers sa cabine. Il était inutile de crier dans le couloir, autant la rattraper. Kybop trottina pour se mettre à son niveau et, sans prévenir, lui attrapa le poignet pour qu'elle s'arrête. Houda se figea.

— Quoi ? lança-t-elle, visiblement agacée.

— Je veux juste qu'on parle.

— Ah, tu veux qu'on parle de mes parents sauvagement assassinés dans leur cuisine ? Par deux inconnus ? répondit-elle froidement, comme dépossédée d'émotions.

Ses mots lui coupèrent le souffle. Elle resta figée, bouche ouverte, incapable de répondre.

— Laisse tomber, dit Houda en secouant la tête. On n'était pas si proches, de toute façon. J'ai passé ma vie à fuir mes responsabilités, à chercher leur reconnaissance dans ce que je suis, dans ce que je fais. Oui, je suis triste. Dévastée, même. Mais je ne vais pas m'effondrer. J'ai construit une vie sans eux, bien avant qu'ils ne deviennent... Deux corps froids sur un carrelage de marbre. J'ai besoin de temps, comme n'importe qui. Mais pas de pitié.

Kybop fronça les sourcils, agacée.

— Quelle pitié ? Je m'inquiète pour toi, c'est tout. Tu es mon amie. Je veux juste savoir que tu vas t'en sortir.

Elle resta silencieuse un instant, puis relâcha un soupir, les traits adoucis.

— Oui... J'irai mieux.

— C'est tout ce que je voulais entendre.

En la regardant, Kybop perçut à quel point la peine l'habitait. Elle n'était pas bête, elle voyait bien qu'elle était bien plus peinée que ce qu'elle lui racontait. Ses yeux étaient cernés, irrités par ses pleurs incessants. Elle refusait simplement de le montrer. Une impulsion la poussa à la prendre dans ses bras. Elle s'avança pour l'enlacer, hésitante. Houda, surprise, ne résista pas, bien au contraire. Une fois contre elle, elle resserra fermement ses bras autour de son dos. Kybop en profita pour lui murmurer à l’oreille :

— Tu n’es pas seule sur le Piros. Tout le monde s’inquiète pour toi, moi la première.

Elle ne répondit rien, mais son étreinte se prolongea un instant. Finalement, elle la relâcha, un sourire ténu aux lèvres, puis se dirigea vers sa cabine sans un mot de plus.


PIROS - LE LABORATOIRE

Brizbi avait installé une série d'appareils et tapotait frénétiquement sur son clavier, ses doigts filant à la vitesse de la lumière. Des suites interminables de chiffres et de lettres défilaient sur l'écran tandis que le message se répétait en boucle dans la pièce. Lilas, nerveuse, gardait une main posée sur l'amplificateur de fortune utilisé plus tôt par Sylice.

— Alors ? demanda-t-elle, pressée d'en savoir plus.

— Attends...

L'impatience se lisait sur leurs visages.

— J'y suis presque, mais... le message est parasité par des bruits étranges.

— Des bruits ? questionna Sylice, perplexe.

— Oui, quelque chose brouille les données. Ça complique un peu les choses.

Lilas se tut, retenant son souffle pour ne pas gêner Varane. Finalement, après ce qui sembla être un casse-tête sans fin, Brizbi donna un dernier coup franc sur le clavier, un sourire satisfait étirant ses lèvres.

— Ça y est !

Sylice et la princesse se rapprochèrent, les yeux rivés sur l'écran. Brizbi fronça les sourcils, concentrée, déchiffrant les informations qui apparaissaient.

— Goltons II...

— Donc... le message a été émis directement depuis là-bas ? demanda Lilas, inquiète.

— Exactement. La personne qui a envoyé ce message était, ou est encore, sur cette planète.

La nouvelle ne les enchanta guère, un silence tendu s'installa.

— Attendez, ce n'est pas tout, ajouta Brizbi en pointant un détail à l'écran. Vous voyez ce petit symbole, là ?

Sylice et Lilas se penchèrent, acquiesçant.

— Ce symbole signifie qu'il s'agit d'un enregistrement... Un peu comme un signal de détresse. Cela pourrait dater d'il y a deux jours, ou de trois mille ans. Le message a été programmé pour se répéter en boucle.

Lilas écarquilla les yeux.

— Il faut qu'on avertisse les autres !

La princesse posa ses mains sur les épaules de Brizbi, qui tressaillit à ce contact inattendu.

— Merci, Brizbi. Excellent travail ! dit-elle avec chaleur. Houda a eu raison de vous ramener parmi nous !

La jeune femme lui répondit d'un sourire hésitant, troublée par cette proximité nouvelle. Puis, sans plus attendre, les trois se levèrent et se dirigèrent d'un pas rapide pour annoncer la découverte au reste de l'équipage.

PIROS - COCKPIT

Alors que Crylon rejoignit son antre, il détecta quelque chose sur son radar.

— C'est quoi ce truc ? On dirait un jouet !

Un objet non identifié approchait à grande vitesse dans leur direction. Le Capitaine du vaisseau ne prit pas cet élément à la légère, mais il eut un sourire moqueur aux lèvres. Il tenta d'entrer en communication avec l'appareil.

— PIROS à l'inconnu au bataillon. Identifiez-vous.

Il répéta son message plusieurs fois, sans obtenir de réponse, et l'objet continua sa course effrénée. Le Capitaine dut prendre une décision rapidement.

— Réfléchis, Crylon. Est-ce une menace ? Ou juste un vaisseau pour enfant qui s'est perdu ?

Il alluma l'un de ses cigarillos à la vanille, un sourire malicieux sur le visage.

— Je parie que c'est un mini-vaisseau. On va peut-être avoir le droit à un démarchage en bonne et due forme ? Un revendeur d'assurance ? Il se pencha sur le radar pour voir l'objet plus en détails. Pas de canon, pas d'arme détectée...

Dogast cracha un épais nuage de fumée avant de continuer ses élucubrations.

— Ça doit être un vaisseau de tourisme. On devrait les inviter pour un café ! Un voyageur ? Un vol commercial ?


DANS LE VAISSEAU INCONNU AU BATAILLON

— Il nous a repérés !

— Ils sont à l'arrêt... Étrange...

— On doit les rejoindre ! Ils ne sont qu'à une minute de vol.

— Si on s'approche de trop, ils vont nous canarder.

— La radio ?

— Hors Service...

— Merde... Tant pis. On doit y aller.


PIROS - COCKPIT

Voyant que le vaisseau continuait sa route droit sur eux, Dogast prit une grande bouffée de son poison favori et s'affaissa dans son siège, l'air pensif. Il fouilla dans l'une de ses poches et en sortit une vieille pièce Dutarienne, usée, mais toujours belle.

— Allez, ma belle... Dis-moi ce que je fais maintenant. Pile, je tire ; face, je le laisse venir...

Il claqua les doigts sur le métal, lançant la pièce en l'air. Celle-ci tourna, scintillant sous la lumière de la cabine, avant de retomber dans sa lourde main avec un léger bruit. Il la posa sur le dessus de son autre main.

— Face... Ok. Voyons ce qu'il se passe...

S'installant confortablement dans son siège, il alluma son cigarillo, la fumée s'épanouissant rapidement autour de lui, créant une atmosphère réconfortante. Malgré la menace imminente, un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres.

— Après tout, la vie est une question de choix, même si cela signifie jouer avec le destin.


PIROS - SALLE PRINCIPALE

Malgré son pari sur le destin, le capitaine alerta le reste de l'équipage en déclenchant l'alarme. Tout le monde déboula en trombe dans la salle principale.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Qui a déclenché l'alarme ? s’exclama Tamy.

— C'est moi, répondit calmement Dogast. Un vaisseau devrait nous accoster d'ici moins de...

Il jeta un coup d'œil sur son visiocommunicateur.

— Trois, deux, un...

Un nouveau bruit fit trembler tout le bâtiment. Le pont venait de s'ouvrir.

— Bordel, Dogast ! C'est quoi cette histoire ? s'énerva Slikof devant tant d'imprudence.

— Je n'ai pas pu prendre de décision, et je ne sais pas pourquoi, mais j'avais l'impression que ce n'était pas une menace.

— Vous auriez pu nous demander notre avis ! s'insurgea l'espion.

Des bruits de pas retentirent dans le couloir lorsque la porte se déverrouilla soudainement. Slikof, Binny et Kybop mirent en joue les inconnus qui venaient de s'introduire dans le Piros. Un cri de joie éclata derrière elle, la faisant sursauter.

— ZORTH ! KYLBURT !

Lilas leur sauta littéralement dans les bras, en pleurs. Tout le monde baissa sa garde, encore sous le choc de leur arrivée. De Xylis ne put s'empêcher de lancer un regard noir à Dogast, qui avait bien failli mettre tout le monde en danger, mais celui-ci n’en tint pas rigueur.

— Bonjour, princesse ! déclama Zorth tout sourire.

— Salut, Lilas, répondit Kylburt calmement.

Ces retrouvailles eurent le goût du soulagement. Tout le monde pensait qu'ils étaient morts, sans jamais en discuter. C'était comme s'ils venaient de revenir à la vie. Tant de questions habitaient les lèvres de chacun, mais l'urgence n'était pas là. Zorth avait le teint blafard ; il était clair qu'il avait vécu des moments difficiles. Cependant, il se leva et prit la parole.

— Chers amis, nous sommes si heureux de vous retrouver... Nous prendrons le temps de parler de ce qui nous est arrivé, mais j'aimerais savoir ce qui s'est passé pendant notre absence et surtout... Pourquoi le Piros est à l'arrêt ?

Les explications sur tous les événements vécus s'engagèrent alors. Zorth et Kylburt prirent connaissance de tous les éléments avec le plus grand sérieux. Vint enfin le moment où ils leur annoncèrent l'éveil de l'Œil, qui avait provoqué la diffusion d'un message mettant leur mission en péril.

— Et alors ? En avez-vous appris davantage sur ce message ?

L'équipage se tourna vers Brizbi, qui les observait à son tour. Elle semblait quelque peu étonnée de cette attention et de cette considération qu'ils lui portaient.

— Euh... En quelque sorte, oui. Il vient bien de Goltons II.

Les visages se fermèrent. Ce n'était pas la nouvelle qu'ils attendaient.

— Mais j'ai découvert autre chose. C'est un message enregistré. Il tourne en boucle, tout comme le ferait quelqu'un qui enverrait un appel de détresse. Peut-être que cette personne a saisi l'occasion de l'envoyer avant de perdre l'accès à un moyen de communication, supposa-t-elle justement. C'est là tout l'intérêt de laisser le message tourner en boucle.

— C'est un détail intéressant, Mlle Varane... releva Zorth en dressant son index. Cela voudrait dire que quelqu'un veut prévenir le détenteur de l'Œil de ne pas aller sur Kapu sans ce fameux Regard. Regard qui, comme l'a suggéré Mlle Ristoc, pourrait être le résultat de la présence d'un autre artefact identique. Ce qui signifie que, peu importe quand ce message a été enregistré, le détenteur de l'Œil était bien le destinataire de ce message. C'est l'éveil de ce dernier qui a provoqué la diffusion du message de détresse.

— Si je peux me permettre, interrompit Brizbi. Maintenant, que vous soulevez ce point, la fréquence très spécifique sur laquelle le message se diffuse suppose que seul cet objet peut le recevoir, un peu comme le fonctionnement d'un émetteur et d'un récepteur.

— Alors, il semblerait que nous ayons un changement d'itinéraire... conclut Zorth, plus déterminé que jamais.

L’équipage échangea un regard inquiet mais confiant. Kybop se sentit soulagée de compter Zorth Kydine à nouveau parmi eux. Cela la délestait du poids des décisions, qu'elle lui laissait volontiers.


GOLTONS II - SALLE DE LA PIERRE DES ANCIENS

Drike et Fiora se retrouvèrent enfin. Il était toujours sans nouvelles de son frère, ce qui commença à vraiment l'inquiéter. Fiora était prise par ses plans, son esprit en ébullition. Elle avait tant à perdre… Tant à gagner.

— C'est quoi la suite ? demanda-t-il.

— La suite ? Je ne sais pas. Ils ne feront rien sur Kapu. Nous allons attendre qu'ils partent pour une autre destination. Laissons-les perdre leur temps et profitons-en pour nous reposer et peaufiner nos préparatifs. La priorité, c'est de tuer les Sangs Rouges et la princesse au plus vite.

— Et la régente ?

— Bogz s'en chargea, répondit-elle sur un ton peu assuré.

— Avez-vous des nouvelles ?

— Non. Mais c'est un idiot ; s'il se trouve, il ne sait même pas comment allumer son visiocommunicateur.

— Si, il…

— SILENCE ! aboya Fiora.

Elle l'interrompit pour éviter d'aborder le sujet de Bogz. Elle savait très bien qu'il n'était plus, et elle ne voulait surtout pas que cela se sache. Drike pourrait alors ne plus être de la partie, et elle avait besoin de tous ses sbires à ses côtés. Drike comprit que le sujet était clos. Malgré sa frustration, il continua son interrogatoire.

— Et pour Tiger et Lozy?

— Ils nous causent plus d'ennuis qu'autre chose, mais j'allais avoir besoin d'eux. Viendrait le temps où les Golts brilleraient enfin à travers tout l'univers.

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