SUB ROSA *** I ***

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ZOLDELLO - SECRETOIRE

Milo et Slikof avaient convenu de se retrouver chaque jour pour un débriefing, à la même heure, dans le Secrétoire. L’officier Kal adorait cette idée : une salle secrète, dissimulée derrière le trône, accessible uniquement aux plus puissants de Zoldello. Pénétrer ce lieu le faisait frissonner de privilège, imaginant les complots, stratégies de guerre et décisions secrètes qui s’étaient forgés ici. Il se sentit exalté par l’histoire imprégnée dans ces murs, mais aussi solennel en sachant que c’était ici même que le roi Gotbryde avait rendu son dernier souffle.

S’appuyant avec désinvolture sur la table centrale, il se redressa d’un coup en entendant la voix de Slikof.

— Officier Kal ?

D’un geste rapide, Milo ajusta sa veste et retrouva instantanément sa posture protocolaire pour faire face au fantôme d’Ultya.

— Oui, Slikof. C’est moi.

— Vous me voyez correctement ?

— La transmission est excellente, confirma Milo.

L’hologramme de Slikof, vêtu de sa tenue de maître espion, apparut au-dessus du promontoire avec une netteté irréelle. Cette tenue n’était portée que par un seul homme sur cette planète, et celui-ci se tenait devant lui. Une longue veste noire, taillée dans un tissu lourd et épais, tombait jusqu’à ses chevilles. Elle s’ouvrait par une fente sur le devant, révélant une silhouette austère sans bouton ni attache apparente, comme si la fermeture elle-même avait été dissimulée, à l’image de l’homme qui la portait.

Au niveau de son cœur, un petit nid doré, finement brodé, symbolisait l'organisation à laquelle il avait voué un dévouement sans faille, une loyauté ancrée jusque dans les fibres de sa tenue. Sur ses épaules, les fleurs de Zoldello, gravées avec minutie, apportaient de la finesse à cette tenue assez simple mais élégante.

Sous cette veste imposante, Slikof portait un pantalon d’un noir profond, souple et parfaitement ajusté pour accompagner le moindre de ses mouvements avec une précision sans faille. Le contraste entre l’austérité de l’ensemble et la richesse des détails révélait à la fois le rang et le mystère entourant ce maître espion, figure insaisissable de l'ombre.

— Comment allez-vous depuis notre dernier échange ? s’intéressa Milo.

Il remarqua à sa réaction silencieuse que Slikof voulait éviter les sujets personnels. Il savait que pour une figure aussi respectée, admettre une faiblesse relevait de l’impensable. Il n’avait certainement pas envie de s’attarder sur le sujet et décida de recentrer la conversation sur un ton froid et directif.

— Parlons de Zoldello. Quel est l’état des lieux ?

— Pour l’instant, tout semble calme, répondit Milo. Vos Oiseaux de Nuit n’ont rien détecté d’inquiétant. La menace paraît s’être dissipée.

Slikof fronça les sourcils.

— Ne vous relâchez pas pour autant. C’est souvent lorsque les oiseaux dorment que le renard approche, prévint-il gravement.

— Reçu, dit Milo avec un hochement de tête.

L’officier hésita une seconde avant de poser la question qui le taraudait.

— Et de votre côté ? Des nouvelles ?

— Un changement de dernière minute, mais il semble positif. Zorth et Kylburt sont revenus sur le Piros.

— Incroyable ! s’exclama Milo, réellement surpris. C’est une excellente nouvelle !

— En effet, répondit Slikof avec sobriété. Y a-t-il autre chose que je devrais savoir ?

Milo réfléchit un instant, incertain.

— Eh bien… Oui, il y a un détail qui m’a intrigué en arrivant au palais.

— Je vous écoute, répondit Slikof intrigué.

— La porte des anciens appartements des parents de la Régente… Elle est ornée de gravures énigmatiques.

— Vous parlez des chouettes ?

— Non, pas seulement. Ce qui m’a frappé, c’est un livre.

— Un livre ? répéta Slikof, étonné.

— Oui, le prince Hyldon le tient caché derrière lui sur le bas-relief. Il est inscrit quelque chose dessus, une expression obscure que personne ne semble comprendre… « Sub Rosa ». Et il y a aussi ces deux formes ovales, horizontales. Ça ressemble à des yeux.

Slikof prit un air pensif, ses traits se durcissant.

— C’est… Intéressant, murmura-t-il. Merci pour l’information. Pouvez-vous envoyer une image de la porte ?

— Bien sûr, répondit Milo avec empressement.

— Pensez-vous pouvoir entrer dans cette chambre ?

Milo se mordit les lèvres, gêné.

— La Régente semble éviter ce lieu. Elle a contourné cette porte lors de la visite.

— Expliquez-lui que c’est pour la mission Minden. Elle comprendra.

— Entendu.

Les deux hommes échangèrent un regard d’accord. Milo salua Slikof d’un geste militaire rigide, que le maître espion accueillit d’un signe de tête, main sur le cœur.


PIROS - SALLE PRINCIPALE

Après avoir reçu la photo de la porte des appartements du prince et de la princesse d’Ultya, Slikof exposa les observations de Milo. Il était convaincu que la famille royale était liée à tout ce qui se passait. Cela ne pouvait pas être une simple coïncidence. Et s’il y avait bien une personne capable de résoudre cette énigme, c’était Binny.

— Tu penses que tu pourrais effectuer quelques recherches ? demanda Kybop à l’Adhara.

— Bien sûr. Je vais contacter l'Oracle pour en savoir plus.

Passionnée par ce genre de secret, Ristoc n’attendit pas davantage et se montra déjà surexcitée à l’idée de découvrir la vérité. Se levant d’un bond, elle posa fermement ses deux mains sur la table, adressant un sourire éclatant à Kybop.

— Dès que j’en sais plus, je vous le dirai !

Elle quitta la salle principale d’un pas précipité, presque enfantin. De son côté, trop de questions restaient encore sans réponses depuis le retour de Zorth et Kylburt. Kybop avait besoin de savoir ce qu’il leur était arrivé. Elle regarda son visiocommunicateur, qui lui permettait également de connaitre la position de chacun des membres de l’équipage, et remarqua qu’il était dans un lieu du vaisseau qu’elle ne connaissait pas. Elle traversa l’aile droite du vaisseau avant d’entrer dans cette mystérieuse salle.


PIROS - BAR

Kybop fut surprise de découvrir un bar aussi reculé dans le vaisseau. Il sentait le vieux bois et le whisky. Zorth était accoudé au bar, un verre d'alcool brunâtre à la main, deux gros glaçons flottant dans le liquide qu’il faisait tournoyer distraitement. Il ne l’avait pas entendue entrer, ce qui lui laissait tout le loisir de l’observer. Elle ne l’avait jamais vu dans cet état. Habituellement, Zorth était d'un naturel souriant, accueillant. Même si une condescendance à peine dissimulée colorait ses échanges, il avait un certain charme. Mais à cet instant, ce n’était pas le cas. Son air songeur et son regard perdu dans ce liquide âpre trahissaient une âme marquée. Kybop s’approcha à pas feutrés et s’assit à ses côtés. Il tourna légèrement la tête pour la saluer sans quitter son verre des yeux.

— C'est quoi ? demanda-t-elle en lançant un regard en coin à sa boisson.

— Le remède à mes tourments.

— Et ça marche ?

— Vous en voulez, Mlle Flokart ? proposa-t-il en levant son verre.

— Je n'ai pas ma prescription sur moi, mais allons-y. J'ai toujours eu un faible pour l'auto-médication.

Il se leva, passa derrière le bar et la servit. La bouteille aurait pu rendre méfiant le plus endurci des ivrognes. Son bouchon rouge écarlate était surmonté d'une tête-de-mort dorée. Un avertissement ou un simple symbole ? Alors qu’il versait le liquide dans son verre, Kybop relança la conversation.

— J’aimerais savoir ce qu’il s’est passé, Zorth.

Il émit un petit rire nerveux, comme s’il savait déjà ce qu’elle allait lui demander. Sans aucune introduction, il commença son récit.

— Lorsque je suis parti avec le Guidant Monty, nous avons discuté de nombreux sujets, jusqu’à une heure tout à fait déraisonnable. Tout le monde devait déjà être dans les bras de Morphée lorsqu’il est parti rejoindre ses quartiers. Quant à moi, j’ai profité de la douceur des nuits hasturiennes sur la terrasse, raconta Zorth, ses yeux se noyant dans sa boisson.

Kybop porta le verre à ses lèvres. La première gorgée fut brûlante et la fit tousser légèrement, avant qu’un arrière-goût de miel ne vienne adoucir sa gorge. Étrange, à la fois rude et délicat. Je vais appeler ce truc, la Flokart, s’amusa-t-elle.

Elle reprit ses esprits et écouta la suite du récit du conseiller.

— Après une bonne demi-heure à rêvasser, j’ai cru entendre quelque chose dans les jardins. Mais rien, personne à l'horizon. Je m’apprêtais à rejoindre mon lit quand tout a basculé, soupira Zorth. De retour dans la maison, j’ai entendu des voix venant de la cuisine. J’ai tout de suite reconnu celle de Mme Félira Monty. Elle suppliait, mais il y avait aussi des ricanements. Alors, je me suis approché de la porte et j’ai épié la scène à travers la serrure.

Le suspense coupa presque le souffle de Kybop, qui attendit qu’il continue. Il termina son verre d’un trait et le reposa brutalement.

— Il y avait un homme de dos et une femme sur le côté. J’ai aperçu la moitié de son visage, elle paraissait jeune, avec une peau pâle comme de la porcelaine et un regard noir, profond. Sa chevelure, ondulée et d’un rouge écarlate, tombait jusqu’à la moitié de son dos. C’est elle qui ricanait. Ils questionnaient les Monty, cherchant à savoir où était leur fille. Mais les Monty n’ont rien dit. L’homme a tiré une balle silencieuse dans la tête de Diago, sans sommation. Félira était pétrifiée, incapable d’émettre un son. La femme s'est abaissée vers elle et, plaquant une main sur sa bouche, lui a murmuré la même question : "Où est votre fille ?". Félira à de nouveau refusé. Alors, la femme lui a tranché la gorge, calmement, puis a essuyé son couteau sur son pantalon. "On aura essayé," a-t-elle dit en haussant les épaules. L’homme a répliqué : "Même s’ils avaient parlé, on les aurait tués de toute façon." Ils ont ri avant de monter à l’étage.

Le visage de Zorth était défait. Il semblait revivre la scène.

— Et qu’avez-vous fait ensuite ?

— Je n’avais pas le temps de réfléchir. Vous étiez à l’étage, en danger. Mais Kylburt est arrivé derrière moi et a posé une main sur mon épaule en me chuchotant : "Suivez-moi et taisez-vous." Bien sûr, j’ai obéi. C’est un combattant aguerri et moi, un excellent jouteur verbal, rien de plus. Nous avons discrètement tenté de quitter la résidence, mais des gens descendaient déjà l’escalier. Kylburt m’a poussé dans un placard, où nous sommes restés jusqu’à ce que tout redevienne calme. Plus tard, j’ai essayé de vous joindre depuis notre cachette, mais je doute que l’appel ait abouti. Vous connaissez la suite : nous avons subtilisé un vaisseau et avons tenté de vous rejoindre.

Kybop prit une autre gorgée de la Flokart, pour ponctuer la fin de son récit.

— Je suis contente que vous vous en soyez sortis tous les deux... admit-elle d'une voix compatissante.

— Merci, Mlle Flokart. J'en suis ravi aussi, répondit-il dans un sourire qui sonnait faux.

— Vous n’avez rien appris de plus ? Vous n’avez vu personne d’autre ?

— Non... Ils étaient deux, deux âmes aussi noires que l’ébène... Les Monty ont protégé leur fille jusqu’à leur dernier souffle, murmura-t-il, la voix brisée.

Ils trinquèrent en silence, chacun terminant son verre.

— Merci, Zorth.

La conversation que Kybop venait d’avoir avec Zorth la bouscula un peu. Elle avait senti en lui quelque chose d’éteint, un reflet de la froideur de la scène à laquelle il avait assisté à travers un trou de serrure. Mais elle devait s’en aller et retrouver Kylburt pour entendre ce qu'il avait à lui raconter lui aussi. Elle ne l’avait pas vu depuis un moment, mais elle était certaine du lieu où il se trouvait : la salle de sport.


PIROS – SALLE DE SPORT

Kybop traversa l'aile gauche du vaisseau avant de retrouver Kylburt. Lorsqu'elle entra dans la pièce, elle fut surprise de constater qu'il n'était pas seul. Katany était également là, en train de suer sur un sac de frappe. Ils lui firent remarquer qu'ils l'avaient vue entrer d'un simple coup d'œil, mais ne relâchèrent pas pour autant leurs efforts. Kybop s'assit sur le banc et attendit tranquillement qu'il termine sa session.

En l'observant frapper dans le sac, elle pouvait ressentir sa rage. Derrière son calme apparent, Kylburt était une boule de nerfs. Heureusement, il avait su canaliser ses pulsions à travers le sport. Il avait tant de choses à évacuer : la mort de Gotbryde, le départ de Zoldello, la tuerie sur Hasture. Il parlait peu, mais son corps le faisait à sa place. Le dernier coup vint de tomber. Kylburt vint s'asseoir à ses côtés, épuisé, ne lui laissant pas le temps de parler.

— Je vais te raconter. Laisse-moi juste reprendre mon souffle.

Il se pencha en avant, les coudes sur ses genoux, avant d'engager ses explications.

— J'ai suivi nos deux assaillants hors du vaisseau. L'un d'eux était blessé. Le gars, précisa-t-il en essuyant son front avec sa serviette, je les ai poursuivis et j’ai essuyé de nombreux tirs. Au détour d’une allée, je me suis mis à l’abri après une énième salve de leur part. Je suis certain qu’ils pensent m’avoir eu… Puis je les ai perdus de vue.

Kylburt se redressa et plaqua son dos contre le mur pour soulager sa colonne.

— Je ne sais pas où ils sont allés, mais je les ai perdus non loin de la résidence des Monty. J'ai tourné un moment pour essayer de les retrouver. Finalement, en retournant vers la gare spaciale, un type m'a bousculé. Pas n'importe quel type.

— Tu le connaissais ?

— Non. Mais je reconnaîtrais ce regard n'importe où. Un regard froid. Les yeux de quelqu'un qui s'apprête à commettre l'irréparable. Un habitué des lourdes besognes. Il portait dans ses yeux les stigmates d'un preneur d'âme.

— Un tueur à gages ?

— Exactement. J'ai eu un pressentiment. Je les ai suivis et j'ai vite compris où ils allaient. La maison des Monty. Raison de plus pour ne pas les lâcher. Il m'a été difficile d'entrer à l'intérieur. Et quand j'ai enfin pu m'y faufiler, c'était apparemment trop tard. J'ai retrouvé Zorth perdu dans un couloir. Je l'ai emporté avec moi et nous nous sommes cachés dans un placard sous l'escalier. Puis on s'est tirés. En volant une vieille boîte de métal.

— Et tu n'as rien notifié d'intéressant ?

— Si. Quand j'ai pourchassé les deux débiles qui nous ont attaqués dans le Piros, le gars blessé a appelé la nana. Il l'a appelée "Fiora".

— Ok. On va rajouter tout ça sur notre journal de bord des catastrophes en série.

Il lui sourit et lui donna une légère tape amicale sur l'épaule.

— Allez, je n'ai rien d'autre à ajouter, inspecteur, plaisanta-t-il. Je vais cogner quelque chose à défaut de taper quelqu'un.

Kybop resta un instant sur ce banc, tentant de mettre les pièces du puzzle en place dans sa tête. Les récits de Zorth et Kylburt concordaient, et tout semblait indiquer qu'il y avait deux groupes de personnes cherchant à leur nuire. La question demeurait : avaient-ils agi de concert ou indépendamment l'un de l'autre ?

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