GOLTON II *** I ***

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PIROS - CABINE DE KYBOP

Toutes les nouvelles avaient bien circulé au sein du vaisseau, et force était de constater que le prince et la princesse d’Ultya n'étaient pas n'importe qui. Ils faisaient vraisemblablement partie de la confrérie des Hématiens, tout comme le roi Gotbryde autrefois. Leur rang social laissait supposer qu'ils y tenaient un rôle important, et leur disparition soudaine paraissait maintenant bien plus suspecte.

— Je savais que mon père avait toujours été familier avec cette prophétie de l'équilibre... Mais je n'avais aucun souvenir à ce sujet concernant mon oncle et ma tante...

— Tu étais petite, tu n'y avais peut-être pas prêté attention.

— Oui... Peut-être, murmura Lilas, son regard glissant vers le sol.

— Quand tu y repenses, aucun détail ne te revient ?

Lilas plissa les yeux, fouillant son esprit avec intensité.

— Non... Rien de notable.

Elle semblait désolée, comme si elle se sentait responsable de quelque chose ou que sa mémoire défaillante décevait. Kybop posa une main dans son dos pour lui signifier que cela n'avait pas d'importance.

— Ne t'inquiète pas, je cherche toutes les pistes. Je me doute que tout cela soit très lointain. Tu penses que Saranthia sait quelque chose ?

— Non. Je suis certaine qu'elle est aussi perdue que moi.

PIROS – COCKPIT

Loin des remises en question des cabines individuelles du vaisseau, le cockpit brillait par sa légèreté, à l'image de celui qui en était responsable. Les tumultes des esprits torturés n'avaient pas leur place dans cet espace exigu. Dogast faisait de son mieux pour en faire un cocon confortable. Armé de son tabac, il dissipait ses pensées en un nuage de fumée odorante, tandis que son siège moelleux offrait à ses muscles un repos bien mérité. C'était dans cette ambiance de vanille et de fumée que Zorth fit son entrée. Il balaya le nuage d'un geste de la main avant de s'installer aux côtés du capitaine.

— Où allons-nous atterrir ?

— Je connais un coin un peu isolé. On pourra se poser en toute discrétion.

Que Dogast connût des endroits reculés sur cette planète obscure n’étonnait que très peu Zorth. Derrière ses airs détendus, il savait que le capitaine était un homme d'action, ayant parcouru l'espace pendant des années au service du royaume. Sa confiance en lui était totale.

— Parfait. Mais il reste tout de même un point à éclaircir.

— Lequel ?

— On ne sait pas vraiment ce qu'on vient faire ici, regretta Zorth dans un souffle.

Dogast, un sourire en coin et son cigarillo à l'autre, resta silencieux.

— Qu'en pensez-vous ? demanda Zorth.

— Mon avis vous intéresse ? ironisa-t-il amicalement.

— Toujours, capitaine.

— Golton II n'est pas bien grande. Il n'y a pas grand-chose à voir là-bas. Juste des forêts mourantes et des bâtiments délabrés. S'il y a quelque chose à découvrir, je doute qu'on le trouve en surface. Comme sur Eredet, je pense qu'on ferait mieux de fouiller les profondeurs.

Zorth lui donna deux tapes sur l'épaule, satisfait.

— Vous avez raison. Agissons de la sorte. Il sied de concevoir une stratégie avant de s'engager en pareille entreprise, ajouta-t-il en opinant du chef avec approbation. Je vous sais gré, capitaine.

Zorth quitta le cockpit, laissant Dogast à sa solitude habituelle. Ce dernier s'enfonça dans son siège, ferma les yeux un instant, comme pour savourer une pensée agréable. Il posa ensuite les mains sur les manettes et annonça au micro :

— Salut, la compagnie. Accrochez-vous, on entame la descente vers Golton II.

ZOLDELLO - CHAMBRE DE SARANTHIA

Milo et Saranthia étaient assis sur le rebord du lit, le livre fermé reposant sur les cuisses de l’orpheline. Depuis une bonne dizaine de minutes, elle était là, figée, à contempler cet ouvrage entre ses doigts. Une sensation étrange l'envahissait, comme si elle venait de déterrer un secret de famille profondément enfoui, un non-dit qui ronge et se cache sous les planches du passé. C'était peut-être une comparaison difficile, mais c'était comme si elle venait d'exhumer ses propres parents, réveillant de leurs tombes vides le souvenir d'une vie qui lui semblait désormais appartenir à une autre.

— Je n'ose pas l'ouvrir... J'ai peur de ce que je vais découvrir. C'est comme s'ils étaient devenus deux inconnus.

— On ne connaît jamais vraiment personne. Tout le monde a ses secrets, tenta-t-il de la rassurer.

— Oui... Surtout dans le milieu de la monarchie. C'est rare de découvrir le dessous des cartes...

L'Officier Kal était désolé pour elle. Il posa sa main sur l'une des siennes pour essayer de la réconforter.

— Mais vous aurez peut-être des réponses dans ce bouquin poussiéreux.

Saranthia secoua la tête, comme pour s'encourager. Lorsque Milo retira sa main, libérant la sienne, elle souleva la couverture avec toute la force qui lui restait. Tandis qu'elle retombait lentement, révélant le contenu du livre, des frissons la traversèrent. Son corps entier se mit à trembler, comme si ce qu'elle s'apprêtait à découvrir menaçait de faire s'effondrer son monde, fragile comme un château de cartes sous une brise d'été. Mais elle laissa échapper un soupir de soulagement en apercevant d'abord... une simple page blanche. Rien. Juste les marques du temps : une surface jaunie, assombrie par la poussière. La Régente inspira profondément, comme pour se préparer à replonger dans une apnée interminable. Le soulagement s'éclipsa, laissant place à un tourbillon d'attentes. Malgré ses craintes qui rongeaient son cœur d'orpheline, elle espérait trouver quelque chose. Quelque chose sur ses parents. Sur elle-même. Sur son histoire. Et c'était avec ce vacarme émotionnel que la page suivante s'ouvrit enfin sur des écritures.

— C'est quoi, cette écriture étrange ? C'est illisible, remarqua Milo en plissant les yeux.

— Comment ça, vous n'arrivez pas à lire ? s’étonna-t-elle.

— Non. On dirait des sortes de symboles...

Milo la regarda, perplexe.

— Vous comprenez quelque chose, vous ?

— Oui ! Pour moi, l'écriture est parfaitement normale. Vous ne devinerez jamais ce qui est écrit ! s'exclama Saranthia, complètement stupéfaite.

— Quoi, qu'est-il écrit ?

La prophétie de l'équilibre : Exemplaire N°3, annonça-t-elle, passant son index sur le titre.

Ils restèrent figés, un silence religieux remplissant cette chambre oubliée.

GOLTON II

L'atterrissage du Piros se déroula sans encombre. L'équipage avait revêtu ses tenues de mission, prêts à affronter tout ce qui pourrait survenir, même si Zorth n'avait pas encore désigné l'équipe d'exploration. L'endroit était inquiétant, désert et enveloppé de brume. Impatiente d'agir, Kybop prit les devants.

— Alors, on y va ?

— Doucement, Mlle Flokart, l'arrêta Zorth. Ne partons pas à l'aveuglette.

Lilas lui lança un regard agacé.

— Zorth a raison, reste tranquille. N'agis pas sans réfléchir.

Son frère afficha un sourire moqueur que Kybop aurait bien voulu écraser avec son poing.

— Bon, puisque tout le monde semble d'accord, quelqu'un peut-il m'expliquer le plan ?

— Le capitaine a suggéré une analyse des sols, comme cela fut fait sur Eredet. Il est bien connu que l'on dissimule toujours ce que l'on souhaite cacher.

— Ok. C'est cohérent, confirma Binny en hochant vigoureusement la tête.

— De toute façon, on n'a pas vraiment d'autre piste, n'est-ce pas ? supposa son frère.

Zorth acquiesça, l'air désolé.

— Dogast, a-t-il déjà scanné Golton ? demanda la princesse.

Zorth jeta un coup d'œil rapide à son visiocommunicateur et constata que l'analyse des sols était toujours en cours.

— Cela n’est point terminé, princesse.

Alors qu'ils patientaient à l'extérieur de l'appareil, Lilas reçut un appel en provenance de Zoldello. Elle décrocha, et sa cousine apparut sous leurs yeux.

— Vous nous recevez ?

— Oui, la communication est bonne, Saranth. Qu'est-ce qui se passe ? s'inquiéta immédiatement Lilas.

— Vous ne devinerez jamais ce que nous avons trouvé dans la chambre de mes parents !

Toute l'équipe fut suspendue à ses lèvres, attendant que le couperet tombe.

— La prophétie de l'équilibre !

Zorth était complètement décontenancé, au point de faillir s'évanouir.

— Qu... Quoi ? balbutia-t-il, attrapant Kybop par le bras pour ne pas tomber.

— Oui, sous nos pieds, affirma Milo. À un endroit bien précis de la chambre, caché dans le plancher.

Pour confirmer ses dires, il montra la couverture du livre.

— Bref, passons les détails inintéressants ! Nous avons ouvert ce vieux bouquin et...

Saranthia le coupa d'un geste bref de la main.

— Attendez. Regardez.

Elle ouvrit la prophétie à la page du titre.

— C'est... Illisible... constata Slikof, déçu.

— Slikof a raison. On ne peut pas lire ce truc. C'est certainement un vieux dialecte, approuva Binny.

Tout le monde était confus, pris dans un véritable ascenseur émotionnel.

— Moi, je vois très bien ce qui est écrit.

Le reste du groupe dévisagea Lilas comme s'il s'agissait d'une sorcière maléfique.

— J'en étais sûre ! Tout comme moi ! s'amusa Saranthia.

— Comment l'expliquez-vous ? s'interrogea Sylice.

— Je ne sais pas. Mais l'explication se trouve très certainement à l'intérieur, confirma la Régente avec assurance.

— Vous devriez entamer sa lecture immédiatement et nous faire part de vos découvertes au fur et à mesure, conseilla Zorth.

— Avez-vous trouvé autre chose dans la chambre ? ajouta Kybop.

— Non. Rien de plus, répondit Milo simplement.

Un bip retentit, alertant Zorth de la fin de l'analyse des sols.

— Nous devons vous laisser. Nous allons organiser la mission sur Golton II. On se retrouve en visioconférence d'ici une dizaine de minutes.

— Bien, acquiesça l'officier, comme s'il s'agissait d'un ordre d'un supérieur.

Une fois l'appel terminé, chacun prit conscience que la famille royale d’Ultya n'était pas une famille ordinaire. Leur rôle restait encore mystérieux mais ils avaient tenté de protéger de nombreux secrets liés à la prophétie. Et des événements tragiques les avaient empêchés de transmettre ces vérités, emportant dans deux tombes vides, les réponses à leurs questions. Bon nombre d'entre eux ignoraient ce que leur réservaient les dix prochaines minutes, puis les dix suivantes, et ainsi de suite. Depuis le départ, leur épopée n'était qu'une suite de découvertes, d'aléas et d'imprévus qui ne cessaient de les ralentir. Toujours sous le choc de la trouvaille de la Régente et Milo, un silence s'était installé naturellement dans le groupe, laissant place à des réflexions personnelles. Mais alors que ce tourbillon intellectuel tournait comme une ritournelle sans fin dans leurs esprits, un second appel rompit le cours de leurs pensées. La légèreté habituelle des interventions du capitaine Dogast les ramena à la réalité : ils étaient sur Golton II, et il était temps de partir l'explorer.

— Bon... Cette planète est une véritable passoire. Elle est composée à 75 % de vide. Je ne sais même pas comment c'est possible, conclut Dogast en tirant sur son cigarillo. Je vous conseille la position suivante : 11° 19′ 48″ N, 142° 11′ 57″ E.

— Pourquoi ? interrogea Sylice avec intérêt.

— Parce que c'est le seul endroit pour lequel je n'ai aucun résultat sur le radar. Comme s'il n'existait pas.

— Étrange.

— Comme vous dites, mon bon Fyguie !

Dogast se laissa retomber dans son fauteuil, le cuir grinçant sous son poids.

— Si je devais cacher quelque chose, ce serait là que je le mettrai.

Zorth le remercia chaleureusement avant de se tourner vers le groupe.

— Bien. Mlle Flokart, Binny et Kylburt, vous formerez la première équipe d'éclaireurs. Katany, Dozik et Fyguie, la deuxième.

— Et pour le reste ? demanda Kybop en se tournant vers ceux qui n'avaient pas été appelés.

— Quoi ? Je ne vais pas rester ici à attendre qu'ils reviennent ! s'insurgea Slikof.

— Allons, Slikof, soyez raisonnable. Vous vous remettez à peine de votre blessure.

De Xylis ne supportait pas d'être écarté de l'action. Il détestait avoir l'impression d'être laissé sur le banc des remplaçants, comme une pièce rapportée.

— La princesse et le reste de l'équipe, moi y compris, resteront sur le Piros, continua Zorth.

Lilas regarda Kybop, ses yeux débordant d'appréhension et d'inquiétude.

— Ainsi, la princesse et sa cousine resteront en communication, et nous pourrons vous informer si nous découvrons quelque chose de nouveau.

Le plan était solide, mais l'idée d'être séparée de Lilas noua d'angoisse la poitrine de Kybop d'angoisse. Comme si elle était la seule capable de la protéger et que, loin d'elle, Lilas pourrait courir un grand danger.

Son regard se fixa sur la princesse, visiblement pas dans son assiette. Tout comme Kybop, l'idée de cette séparation semblait lui déplaire, mais elle ne pouvait pas vraiment s'y opposer. Autour d'elles, l'agitation régnait : tout le monde se préparait au départ, et certains embarquaient de nouveau dans le Piros. Kybop décida de lui glisser quelques mots.

Une seule pensée l'obsédait : le risque que quelque chose arrive à Lilas en son absence. Une fois face à elle, elle lui attrapa les mains pour capter son attention, déjà tournée vers elle.

— S'il te plaît, reste avec Slikof autant que possible.

— Ne t'inquiète pas pour moi. Je ne suis pas seule, et nous serons à l'abri dans le Piros.

Ses yeux dérivèrent vers le vaisseau. Cet appareil de malheur, qui avait l'air d'une citadelle hermétique, n'était finalement pas aussi fiable qu'elle l'aurait espéré. La dernière fois qu'elle l'avait quitté, il s'était transformé en un champ de bataille sanglant. Elle avait du mal à se détacher de l'idée que quelqu'un pourrait y pénétrer à nouveau.

— Oui, mais n'ouvrez pas le pont. Quoi qu'il arrive. Si ce n'est pas nous, vous restez à l'intérieur. Compris ? supplia-t-elle en resserrant ses mains sur les siennes.

Voyant la panique dans ses yeux, Lilas pressa doucement son pouce contre le dos de sa main.

— Arrête de croire que je suis une jeune femme en détresse. Et cesse de penser que ma vie est sous ta responsabilité.

Autour d'elles, tout le monde s'affairait, concentré sur sa tâche. Profitant de ce moment d'inattention, Lilas attira Kybop dans une étreinte passionnée. Elle se laissa emporter par la douceur réconfortante de cet instant.

— Tu dois revenir, quoi qu'il arrive.

Un frisson traversa Kybop de part en part. Sentir à quel point Lilas tenait à elle la remplissait d'une émotion qu'elle ne connaissait pas auparavant.

— Je compte bien revenir.

Le contact de leurs corps s'atténua doucement lorsqu'elle se retira discrètement pour rejoindre son groupe. Après quelques pas, la sensation que rien dans cette situation ne lui convenait s'amplifia. Elle était séparée de Lilas et de son frère, et il lui était impossible de s'apaiser. La boule dans sa poitrine ne cessait de grossir à mesure qu'ils s'éloignaient du Piros. Il faisait froid, tout était sombre et inhospitalier. S'enfoncer dans cette forêt n'avait rien d'une partie de plaisir. Mais ils n'avaient pas le choix. L'autre équipe les suivait de près, et elle les entendait au loin se chamailler. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils n'étaient vraiment pas discrets...

— T'es un idiot, Dozik !

— Rooo, ça va, Kat ! On peut rire un peu, non ?

— Rire ? Tu viens de me jeter je ne sais quoi dessus ! Si ça se trouve, c'est venimeux ! Espèce de crétin !

Dozik se contenta de rire bêtement.

— Eh ! Les gamins ! Mettez-la un peu en veilleuse ! gronda Fyguie d'un ton paternel. On va se faire repérer !

Dozik fit mine de se zipper la bouche pour signifier qu'il allait se calmer.

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