EN DIRECTION DE ZOLDELLO *** II ***
PALAIS D’ULTYA – CHAMBRE DE SARANTHIA
Sans un bruit, il entra et déposa un baiser léger sur son front. Il la contempla avec une tendresse infinie, une tendresse protectrice. Remettant une mèche blonde derrière son oreille, il murmura, la voix basse, comme une promesse.
— Un jour, ce sera ton tour, ma petite perle... j'espère que ce jour viendra le plus tard possible et que la menace aura déjà disparu.
Une soudaine inquiétude envahit sa poitrine, et son visage se ferma. Il se pencha un instant près d'elle.
— Je ne laisserai personne te faire du mal. Jamais.
Il lui caressa la joue une dernière fois avant de se retirer, le pas résolu. Hyldon savait qu'une partie de ses angoisses provenait de la prophétie, mais aussi du fait qu'un jour, sa propre fille devrait prendre le relais. Cette idée le tourmentait. Il refusait que quelqu'un la menace. Il ferait tout pour la protéger, pour résoudre les mystères de son vivant, afin de ne pas lui transmettre ce fardeau. Il chassa ces pensées sombres et rejoignit Tyra, déjà prête à partir.
Ils prirent la route, nerveux tous les deux, comme si un mauvais pressentiment les habitait.
ZOLDELLO - LES ASKYRS
Le trajet jusqu'aux sommets sembla interminable, et l'air lourd de tension pesa sur chacun des occupants du véhicule. Le couple royal avança délibérément vers l'inconnu, malgré le mauvais pressentiment qu'il partageait en silence. Tyra laissa son front fiévreux se poser contre la vitre embuée, témoin du froid glacial qui régnait à l'extérieur. De temps à autre, Hyldon lui jetait des regards inquiets, mais se replongeait aussitôt dans le tourbillon de ses pensées. Il repassait en boucle le film de leur départ, hanté sans raison par l’aurevoir volé à leur fille encore endormie, comme si cet instant simple cachait un présage funeste.
Le chemin devint de plus en plus sinueux, chaotique, à l'image des inquiétudes qui rongeaient leurs esprits. Soudain, le véhicule ralentit avant de s'arrêter, non loin du sommet. Hyldon descendit le premier, puis aida Tyra à en faire de même, son souffle se mêlant à l'air frais, formant des volutes de buée autour de son visage. Il adressa un signe au voiturier, lui ordonnant de rester prêt à repartir sans délai. Lorsqu'ils s'avancèrent, le froid mordant les frappa de plein fouet sur leur visage déjà tendu par leurs préoccupations. Devant eux, la neige immaculée transformait le paysage en un désert sauvage et inexploré, à la fois fascinant et inquiétant.
Main dans la main, ils progressèrent ensemble vers cet inconnu, le cœur battant et l'esprit plein de doutes, sans savoir exactement ce qu'ils espéraient trouver.
— Que cherchons-nous ? soupira Tyra en exerçant une légère pression sur la main d'Hyldon.
— Je ne sais pas. Mais je pense que, lorsqu'on le verra, on saura.
Son assurance apporta un certain réconfort à la princesse, mais le mauvais pressentiment ressenti plus tôt demeura. Il flottait autour d'eux, invisible mais omniprésent, tel une ombre tapie dans un coin, prête à surgir au moment le plus inattendu. Lorsqu'ils arrivèrent au bout du chemin, ils se heurtèrent à un cul-de-sac. Pas d'issue. Seuls le vide et un arbre, dépossédé de sa sève, s'étendaient devant eux. Ils contemplèrent en silence la vue splendide offerte par l'altitude. Une brise légère caressa leurs visages, tendus par le froid. La lune, éclatante, éclairait presque toute la plaine qu'ils surplombaient. Un sentiment de fierté gonfla la poitrine d'Hyldon à la vue du palais d’Ultya. La princesse, quant à elle, observa son royaume, se disant que, de toute façon, elle n'était pas destinée à monter sur le Trône. Si cela devait arriver, cela signifierait que son frère n'était plus, et cette pensée la plongea dans un chagrin profond. Tyra n'avait jamais réellement nourri l'ambition de régner, où que ce soit. Son rôle secondaire dans les prises de décision lui semblait confortable. Ses parents l'avaient toujours vue comme un soutien solide pour son frère, lui qui avait toujours été brusque et tranchant. Avec le temps et la paternité, Gotbryde s'était adouci, mais son impulsivité continuait parfois de lui jouer des tours, et c'était là que Tyra intervenait, comme une petite voix sur son épaule. Elle faisait partie de ces personnes qui, dans l'ombre, avaient contribué à de nombreuses réussites de Zoldello, et cela lui suffisait.
Soudain, un bruit de pas dans la neige les surprit. Ils se retournèrent, et se retrouvèrent nez à nez avec un homme d'une carrure imposante. Il leur adressa un sourire étrange.
— Bonjour à vous...
PIROS - SALLE PRINCIPALE - DE NOS JOURS
— Waldo ! s'écria Lilas.
— Oui. C'est là que nous l'avons rencontré, confirma Tyra, le regard aussi lointain que son souvenir.
Lilas était transie d'impatience. L'idée que ce nom résonnât dans cette histoire l'enflammait de curiosité.
— Alors ? A-t-il tenté de vous tuer ? demanda-t-elle avec une spontanéité déconcertante.
Tyra lui sourit, mais un léger voile de tristesse passa dans ses yeux. Elle regarda sa nièce, et l'image d'une Lilas enfant, curieuse et pleine de vie, envahit ses pensées. Elle se souvint de ces moments où elle lui racontait des histoires pour l'endormir, des récits de mondes lointains, de créatures fantastiques et de mystères insondables. Lilas, toujours impatiente de connaître la suite, ne se laissait jamais prendre par le sommeil avant la conclusion du récit. Jamais elle n'avait vu sa nièce fermer les yeux avant le dernier mot prononcé.
— Non. Il n'a pas été agressif. Il est venu vers nous... et nous avons discuté. Calmement.
Lilas fronça les sourcils, encore plus intriguée.
— Quoi ? Mais... je croyais qu'il vous avait menacées !
La surprise de Lilas était palpable, un mélange de confusion et de nervosité.
— C'est vrai, il l'a fait, confirma Hyldon, son ton calme et mesuré.
La jeune princesse tenta de se contenir pour ne plus les interrompre, laissant place à la suite du récit.
— À vrai dire, c'est lui qui nous a expliqué pourquoi nous étions là, pourquoi je portais l'Œil à mon doigt, poursuivit Tyra, sa voix s'adoucissant.
L'étonnement de Lilas était total. Elle peinait à saisir le sens de cette rencontre, les révélations que Waldo pourrait avoir faites.
— Il vous a révélé des éléments sur la prophétie ?
— Oui. Il nous a expliqué certaines choses. Et puis, il nous a demandé de lui donner l'Œil, répondit Hyldon d'un air détaché, mais un frisson imperceptible agita sa mâchoire serrée.
— De toute manière, c’était impossible, interrompit Tyra. J'avais déjà fusionné avec la relique. Personne n'aurait pu me la retirer, pas même Waldo, soupira-t-elle. C'est là que les choses se sont compliqués. J'étais devenue l'Œil, donc si Waldo le voulait, alors il fallait que je le suive.
— Et c’est là que son ton a changé, reprit Hyldon, une dureté soudaine dans sa voix. Il me considérait, à juste titre, comme une menace. Il savait que j'allais faire obstacle à son plan...
ZOLDELLO - LES ASKYRS - VINGT ANS PLUS TÔT
— Elle n'ira nulle part avec vous !
Waldo commença à s'impatienter.
— Vous ne comprenez pas... Nous en avons besoin !
— Besoin ? Pour quoi faire ? répliqua Tyra, furieuse.
Le couple se retrouvaient privés d'informations cruciales concernant l'Œil et la prophétie, et cet homme semblait détenir les réponses qu'ils recherchaient. Malgré l'urgence de la situation, Hyldon choisit de ne pas adopter une attitude agressive. Il savait que la confrontation pourrait les éloigner davantage de la vérité qu'ils cherchaient à tout prix.
— Qui êtes-vous ?
— Waldo. Waldo Golt.
En entendant ce nom, Hyldon recula précipitamment, protégeant sa femme derrière lui.
— J'ai déjà entendu ce nom, gronda-t-il, les yeux noirs.
— Cela vous inspire de la méfiance, je vois... Waldo fixa l'horizon, comme s'il pesait chaque mot. Ne me forçez pas à faire quelque chose que je regretterai.
Tyra saisit immédiatement la menace sous-jacente. Si Hyldon continuait à s'opposer à lui, Waldo n'hésiterait pas à agir. Un frisson la traversa. Personne ne toucherait à son mari. D'un mouvement rapide, elle sortit un poignard et le plaça sous sa gorge. Hyldon, paniqué, se tourna brusquement vers elle.
— Tyra, qu'est-ce que tu fais ? Pose ça !
Waldo et Hyldon, désormais côte à côte, semblaient presque unis dans cette situation. Les deux attendaient, figés, les yeux rivés sur Tyra. Même s'ils n'étaient pas guidés par les mêmes inquiétudes, leur but était que Tyra reste en vie.
— S'il meurt, je meurs aussi ! Si je pars avec vous, il part aussi !
Waldo soupira, las. Il enfonça les mains dans ses poches, laissant échapper un nuage de fumée glacée de sa bouche. Son regard resta impassible.
— Très bien. Vous me suivrez tous les deux.
PIROS - SALLE PRINCIPALE - DE NOS JOURS
— Et c'est comme ça que nous nous sommes retrouvés sur Golton II, conclut Tyra.
— Mais... je ne comprends pas... Vous me dites qu'il vous a menacés, mais les seules personnes armées sur cette montagne, c'était vous.
Tyra se pinça les lèvres avant de répondre.
— Je ne saurais pas l'expliquer, mais j'ai senti qu'il était une menace, et qu'il pouvait nous faire du mal.
— Elle a raison. Quelque chose en lui dégageait une tension terrible. Une énergie... Je ne sais pas. Quelque chose de maléfique, murmura Hyldon sans vraiment y croire lui-même. Même avec notre couteau, nous n'aurions rien pu faire.
Lilas acquiesça, ne souhaitant pas contester ce qu'ils avaient ressenti à ce moment-là, après tout, elle n'était pas présente. S'ils croyaient sincèrement que Waldo représentait un danger bien plus grand que la lame d'un poignard, elle ne pouvait décemment remettre en question leurs paroles.
— Tout ce qui s'est passé ensuite est bien plus sombre. Mais, avec du recul, j'ai l'impression que Waldo n'avait pas les mêmes intentions que sa fille.
— Que voulez-vous dire ?
— Nous ne savons pas vraiment ce qu'il s'est passé entre eux, mais Waldo est décédé peu après notre arrivée, précisa Tyra.
— C'est vrai... Et nos conditions de détention changèrent quand Fiora prit la relève de son père.
— Laissez-moi deviner... Elles se sont dégradées ?
Son oncle acquiesça d'un hochement de tête, visiblement découragé.
— Nos années de détention était pénibles. Nous n'avions même pas la lumière du jour pour nous repérer.
— Nous n'avons pas perdu la raison, parce que nous étions ensemble. Mais c'était l'enfer sous terre... murmura sa tante, la voix brisée.
Lilas ressentit une profonde empathie et aurait voulu alléger leur douleur, mais elle savait que seul le temps pourrait les apaiser. Peut-être que leur retour à Zoldello, et leurs retrouvailles avec leur fille, guériraient une partie de leurs blessures.
— Nous serons bientôt à Zoldello. Ce n'est plus qu'une question d'heures. Je suis sûre que ça vous fera du bien de retrouver votre chez-vous.
Son oncle lui offrit un sourire fatigué.
— Oui, tu as raison. Nous allons nous reposer. Beaucoup d'émotions nous attendent là-bas. Il nous faudra être en forme.
Tyra et Hyldon se levèrent, laissant Lilas face à de nombreuses questions sans réponse. Cependant, la jeune princesse se sentit éclairée sur cette journée tragique qu'avait été l'éclipse royale. Elle comprenait mieux pourquoi son père n'avait jamais vraiment saisi leur disparition, ni leur présence sur la montagne. Il avait raconté à tout le monde qu'ils étaient partis pour régler des problèmes avec certains propriétaires de Zoldello, ramenant tout à des préoccupations concrètes et actuelles. Cela rendait son récit plus crédible. Mais en réalité, il n'avait jamais su. Il ignorait que sa sœur et son beau-frère étaient sur la piste de la prophétie, tout comme lui, des années auparavant. Ils avaient poursuivi cette quête de vérité qu'il avait abandonnée après la perte de sa reine, trop effrayé de perdre encore ce qu'il lui restait de plus cher : Lilas, la princesse d’Ultya.
Il était maintenant temps pour elle aussi de se reposer.
Alors que le Piros semblait paisiblement endormi, le capitaine Dogast maintenait le cap vers la planète verte. Lorsque les paupières de Lilas se rouvriraient, ils auraient atteint Zoldello, et la Régente ferait face à l'inimaginable. Lilas ignorait quelle serait sa réaction, mais elle savait une chose : elle serait là pour elle, non pas comme sa cousine, mais comme la sœur qu'elles avaient toujours été.
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