PASSATION *** I ***

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PIROS - LABORATOIRE

Le repos de Kybop n’avait été que de courte durée. Après une sieste rapide, Zorth l’avait réveillée en urgence, son visage tendu par l’inquiétude. Il avait ordonné à tout l’équipage de retourner immédiatement au vaisseau. Kapu était leur nouvelle destination. En un instant, tout le monde avait embarqué, emportant avec eux l’intégralité de la famille royale. Il n’y avait plus de Régente sur Zoldello, plus de dirigeant. Kybop se demandait comment ils comptaient gérer cela. Mais il semblait que ce fût le moindre de leurs soucis à présent.

— On doit trouver une solution ! s’écria Sylice, la voix nerveuse.

Affalée sur une table en métal, froide au toucher, Kybop retrouvait cette odeur familière d’alcool médical. Elle adorait cette odeur... Cela sentait le propre, l’absence de toute vie microscopique. Sa tête reposait sur ses bras croisés, et elle les observait sans un mot. Un spectacle divertissant, mais sans grand intérêt pour elle.

Saranthia était là, accompagnée de sa mère, la princesse Tyra. Soudain, une pensée frappa Kybop : sa fille était Régente, tandis qu’elle-même était restée simple princesse. Cette étrangeté hiérarchique semblait figée dans le temps, comme une relique d’autrefois. Leur disparition dans les Askyrs, avec Hyldon, avait joué un rôle dans cette situation. Le fait que Tyra n’ait jamais franchi les quelques marches qui la séparaient du trône l’avait laissée à un rang inférieur. Pendant que tout le monde les croyait perdus, leur fille avait pris les rênes du pouvoir, les condamnant à leur rôle du passé.

Pendant que Kybop s’interrogeait sur des questions futiles concernant la place de chacun dans ce grand échiquier, les scientifiques se creusaient la cervelle.

— On n’a pas vraiment de solution... C’est comme si la bague faisait partie d’elle maintenant, souffla Houda, le visage défait.

Ils s’épuisaient à chercher une réponse. L’Œil que Tyra portait à son doigt était inerte, mais incrusté dans sa peau, formant un relief métallique fusionné à son index. Cela donnait presque envie de le toucher, pour voir si c’était aussi froid que cela en avait l’air.

— Il doit bien y avoir un moyen de l’enlever... murmura Fyguie, en se grattant la tête d’un geste nerveux.

Kybop aurait pu leur proposer quelque chose, mais elle se retint. Pas envie qu’ils prennent mal sa remarque. De toute façon, ils ne faisaient que mitrailler Tyra de questions.

— Quand l’Œil s’est-il désactivé ? demanda Houda.

— Avez-vous ressenti quelque chose au moment où il s’est incrusté dans votre peau ? enchaîna Fyguie.

— Avez-vous déjà tenté de l’enlever depuis ? ajouta Sylice, impassible.

Une véritable rafale d’interrogations. Tyra n’avait même pas le temps de répondre qu’une autre lui tombait dessus. Elle finit par exploser.

— Écoutez, je ne sais pas ! Je ne sais rien ! Un jour, la bague s’est éteinte et depuis... Plus rien !

Sylice croisa les bras, adossée contre le mur, tandis que Fyguie et Houda échangeaient des regards de pure incompréhension.

En les observant, un détail frappa Kybop : Tyra portait l’Œil à l’index gauche, alors que Lilas le portait à l’annulaire droit. Est-ce que cela avait une quelconque importance ? Une signification ? Ou bien n’était-ce que le fruit du hasard ?

Elle se dit que cela n’avait probablement aucune importance. Après tout, ce n’était qu’un détail parmi tant d’autres. Pendant ce temps, Tyra avait profité de son passage sur Zoldello pour récupérer des vêtements royaux. Elle était plus élégante que jamais. Ils avaient dû refaire leur garde-robe, car elle était impeccable... Priorités étranges... Typique des nobles. Peut-être qu’ils ne se sentaient pas reconnus sans leurs atours.

Cette scène, qui amusait Kybop au départ, commençait sérieusement à l’irriter.

— Vous ne pensez pas qu’il pourrait y avoir quelque chose dans la prophétie qui nous aiderait ? finit-elle par lancer.

Tous les regards dans la pièce se tournèrent instantanément vers elle, comme si elle avait proféré un blasphème.

— Vous croyez vraiment qu’on n’a pas déjà vérifié, Mlle Flokart ? s’agaça Sylice.

Kybop leva les mains en signe de reddition, tout en se redressant de sa chaise.

— Très bien, je vous laisse entre génies.

Alors qu’elle se relevait pour s’échapper, elle remarqua que Saranthia l’avait devancée et avait également réussi à quitter la pièce, sous le regard soucieux de sa mère.

Elle quitta la pièce, s’engouffrant dans les couloirs du vaisseau, sans but précis.

PIROS - CABINE D’HYLDON ET TYRA

Après s’être extirpée de l’effervescence du laboratoire, Saranthia avait rejoint calmement sa cousine et son père dans la cabine de ses parents.

Les trois têtes couronnées, nouvellement réunies, discutaient d’un sujet qui obsédait tout le monde depuis leur retour : réactiver l’Œil et permettre à Saranthia de le porter à son tour.

— Je ne comprends pas comment cela a pu arriver, regretta Saranthia.

Lilas, confuse, peinait à se concentrer. Avec tous les événements récents, cette phrase de sa cousine pouvait faire allusion à tant de choses. Saranthia poursuivit, déterminée à éclaircir la situation.

— Cet Œil, comme vous l’appelez tous, pourquoi se serait-il soudainement éteint ?

— Ta mère est persuadée que c'est éteint parce qu’elle ne porte plus la mission elle-même, répondit Hyldon.

— Quelle mission ?

Saranthia jeta un regard à Lilas, se remémorant leur échange lors du repas dans la Maison des Glaces. À l’époque, elle avait choisi de se protéger en souhaitant ne rien savoir, mais la situation avait changé. Elle n’était plus sur Zoldello. Elle voulait maintenant comprendre.

— Saranth, la mission Minden, celle que mon père a lancé avant qu'il soit assassiné. Le temps presse. Nous nous dirigeons vers une planète censée abriter le portail, un portail que nous devons refermer, si l’on en croit les paroles de la prophétie.

Saranthia se perdait dans tout ce que cela impliquait. Elle avait aidé à décrypter les pages de cette prophétie trouvées sous le parquet de la chambre de ses parents, mais elle n’avait pas cherché à établir de liens ni à comprendre tout ce que cela impliquait. Elle était restée dans son rôle de Régente, présente uniquement pour son royaume nouvellement acquis.

Son père, Hyldon, se contentait d’acquiescer à tout ce récit. Des milliers de questions affluaient dans esprit de Saranthia : Quel portail ? Quel équilibre ? Quelle prophétie ? Elle ne saurait même pas par où commencer. Pour elle, tout cela n’était que le titre d’un livre mystérieux gisant sous le sol d’une chambre inoccupée depuis des années. Néanmoins, elle s’accrochait et tentait de démêler tout cela dans le plus grand calme.

— D’accord. C’est beaucoup d’informations... Mais peu importe. Concentrons-nous sur l’essentiel. Nous aurons probablement tout le loisir d’en rediscuter pendant notre voyage. Si je suis dans le Piros aujourd’hui, c’est pour réactiver le Regard ?

— Tout à fait, valida son père.

— Nos deux reliques forment ce Regard, mais seule la mienne est active. Je ne sais pas ce qu’il adviendra lorsque la tienne sera activée, précisa Lilas, quelque peu inquiète.

— Que dit la prophétie à ce propos ?

Lilas fronça les sourcils, cherchant les mots les plus précis possible :

« Au clair des lunes, chaque Œil montrera le chemin. »

Saranthia s’assit sur son lit, toujours étonnée de constater la présence de son père. Parfois, elle avait l’impression qu’il s’agissait d’un mirage, comme ceux qu’elle avait vus durant son enfance. En grandissant aux côtés de Lilas et Gotbryde, elle avait souvent ressenti un vide qu’elle avait maintes fois tenté de combler en multipliant les amourettes sans lendemain. Elle secoua la tête pour se recentrer sur le sujet qui les animait et sa cousine se permit de leur remettre un événement important en tête.

— Le mien a déjà montré la planète Kapu sur les Askyrs.

Hyldon baissa les yeux, son regard se perdant dans les souvenirs du jour où il avait rencontré Waldo. C’était un jour froid, où lui et sa femme l’avaient suivi jusque dans les profondeurs de cette planète sombre et stérile, les entraînant directement vers l’oubli.

Il repensait à la prophétie, à cette phrase qui était soudainement apparue, les menant directement au Mont D’Opaly, sur les Askyrs. Pourquoi la citation sur l’Œil faisait-elle allusion à des lunes ? De quelles lunes parlait-elle ? Il n’y en avait qu’une seule sur Zoldello.

Sa réflexion restait ancrée dans son esprit, qu’il ne partageait pas à haute voix. Sa fille remarqua son absence. C’était étrange de constater qu’elle n’arrivait pas à renouer le lien qu’ils avaient autrefois. Ils étaient devenus deux personnes si différentes. Le temps où ils finissaient les phrases l’un de l’autre semblait désormais révolu. Saranthia et Hyldon avaient fini par devenir des inconnus.

Elle se décida finalement à l’interpeller.

— Papa ? À quoi penses-tu ?

Il releva la tête et la fixa comme s’il la redécouvrait.

— Je me demande si les Askyrs et le Mont D’Opaly sont vraiment le lieu indiqué pour suivre la prophétie.

— Que veux-tu dire ? s’interrogea Lilas.

— Je me demande si Waldo ne nous a pas simplement tendu un piège, cela était pratique, les Askyrs sont sur Zoldello. C’était peut-être un moyen de nous isoler pour nous récupérer. Sans rapport avec la prophétie. Le livre fait allusion à deux lunes, et je ne connais qu’un seul endroit qui en possède deux.

Saranthia et Lilas échangèrent un regard perplexe avant que le prince ne reprenne sa théorie.

— Adhara.

Le silence dans la pièce trahissait l’agitation intérieure de chacun. Submergés par leurs doutes et leurs regrets, ils avaient du mal à se focaliser sur le problème commun qui aurait pourtant dû les unir. Chacun luttait contre ses propres démons, mais l’urgence de la situation les obligeait à repousser leurs pensées pour se concentrer sur ce qui comptait réellement : la survie de tous.

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