NOCES *** II ***
ZOLDELLO - PALAIS D’ULTYA
Dans le palais royal, Andras venait de terminer la communication avec le Piros. Il se laissa tomber sur une chaise, l'esprit ailleurs. Une main rugueuse et lourde se posa sur son épaule, le ramenant à la réalité.
— On n'a pas appris grand-chose de plus... Fiora ne va pas être contente, murmura Drike avec regret.
— J'ai fait de mon mieux, répondit Andras, visiblement contrarié.
— Je sais. De toute façon, c'est évident qu'ils n'allaient jamais révéler leur position. Ils savaient parfaitement qu'ils étaient en danger. Ça aurait été stupide de leur part.
La main de Drike pressa légèrement l'épaule du Sir, un geste amical pour le réconforter.
Andras souffla un bon coup avant de se relever pour faire face à Drike, qui le dépassait bien d'une tête.
— Rappelez-moi pourquoi vous êtes revenu sur Zoldello ? interrogea Andras.
— Fiora m’a missionné à demander des informations sur mon frère, disparu des radars depuis des semaines, mais nous ne trouvons rien. J'ai fait le déplacement moi-même, sans sa permission. Je voulais savoir où il était, affirma Drike en serrant la mâchoire.
Sir Iker acquiesça, comprenant que sa venue était due à son inquiétude. Cependant, il resta méfiant, sentant le besoin de s'assurer qu'il n'était pas lui-même en danger.
— Vous n'êtes pas venu pour moi, rassurez-moi ? demanda Andras esquissant un sourire tendu.
— Non. Le plan de Fiora se déroulait à merveille avant que Gotbryde ne décide d'exiler sa fille. Vous devriez déjà être sur le trône. Tout aurait été parfait, souffla Drike, exaspéré.
Il écarta une chaise avant de s'y installer, posa ses coudes sur ses genoux, fatigué.
— Le voyage a été long ? demanda Sir Iker.
— Tout est long. Toute cette histoire me rend dingue. Tous ces allers-retours, ces mystères, ces inconnues que Zorth a réunis... Et pour couronner le tout, Hyldon et Tyra se sont échappés. Fiora est sur les dents, exprima Drike, non sans inquiétude.
— Oui, j'ai eu vent de tout ça. Mais la mission n'est pas compromise pour autant. Les noces sont juste reportées. Ce n'estqu’une question de temps, rassura-t-il.
— Oui, Andras, mais je ne suis plus certain que ce soit toujours la priorité de Fiora. Il se trame autre chose, grogna-t-il dans sa barbe. Il ne s’agit plus seulement de mettre un Golt sur le trône de Zoldello. Fiora a un nouveau plan en tête.
— Pourtant, si je monte sur le trône, ce sera une victoire pour nous. Et nous pourrons écarter la famille d’Ultya d’un simple coup de lame, informa Andras en mimant la lame d’un couteau tranchant une gorge avec son pouce.
Drike laissa échapper un ricanement. L'idée de réduire cette famille à néant le nourrissait depuis l'enfance, depuis que Fiora avait pris lui et son frère sous son aile. C'était le projet de toute une vie : rendre aux Golts leur légitimité, leur offrir un trône, un lieu où gouverner. L'univers entier leur devait la considération, à ces êtres presque divins, les premiers-venants, si l'on en croyait la prophétie des Sang-Rouge. Les Golts étaient ceux qui devraient régner en maîtres aux quatre coins de l'univers, et pourtant...
Drike n’était pas un Golt, mais lui et Bogz avaient toujours été en contact avec eux. Toutes les cicatrices qu'ils portaient témoignaient des combats menés à leurs côtés. Ce qu'il désirait par-dessus tout, c’était satisfaire les désirs de sa patronne, cette figure presque maternelle dont il cherchait la reconnaissance à travers la violence qu'il déchaînait selon ses moindres volontés. Mais aujourd'hui, le doute s'emparait de lui, et ses certitudes se dissipaient depuis que Bogz n'était plus à ses côtés. Cette inquiétude fissurait la confiance aveugle qu'il vouait jusqu’alors à Fiora. Une colère sourde montait en lui : contre elle, contre lui-même. Il prenait conscience de son obéissance sans faille, quitte à mettre sa vie et celle de son frère en danger, et tout cela sans condition ni contrepartie.
Assis, le regard perdu sur le sol de pierre du palais royal, il se sentait piégé, plus vulnérable et seul qu’il ne l’avait jamais été. Tout semblait flou, incertain. Il ne savait pas vraiment quoi faire ni où chercher. L'idée de devoir demander de l'aide l'irritait. Mais il savait qu'il n’avait pas le choix. Coincé sur Zoldello pour les prochains jours, il devrait sans doute se tourner vers Andras, l'usurpateur. Lui seul connaissait cette planète. Lui qui s'était toujours fié à sa force et à son instinct devait maintenant admettre qu'il avait besoin d’aide. Cette dépendance involontaire envers quelqu'un d'autre le contrariait, mais il n'avait pas d'autre choix que de s'y résoudre.
— Andras, je risque d'avoir besoin de ton aide, avoua-t-il à demi-mot.
Le sire leva un sourcil, surpris de voir cette brute solliciter son assistance. Cela ne lui déplut pas ; il se dit sans doute que s'il pouvait se rendre utile, cela lui serait bénéfique. Andras ne fit aucun commentaire, remarquant facilement que cette demande lui coûtait. Il ne voudrait pas le froisser davantage.
— Avec plaisir, Drike. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ? se réjouit-il en posant ses mains sur la table.
— J'ai besoin d'explorer les derniers déplacements de mon frère et de m'y rendre. J'aurais besoin d'un guide.
— Vous savez que j'ai beaucoup à faire avec le départ de la Régente et le conseil que je dois réunir, expliqua Andras.
Drike serra les dents, irrité de devoir insister.
— Je sais, Andras... Mais vous pourriez peut-être dire que vous avez d'autres affaires en cours et participer à ces réunions par visiocommunication, grogna-t-il.
Andras se fit tout petit face à la suggestion de Drike, se tassant sur lui-même comme s'il voulait disparaître. Il comprit que cela ressemblait davantage à une menace qu'à un conseil avisé.
— En effet, cela est possible, accepta-t-il effrayé. Je devrais rassembler le conseil aujourd'hui pour mettre les choses au clair, puis nous partirons.
Drike le fixa. Son regard froid et inexpressif provoqua un frisson dans l'échine d'Andras, qui déglutit de peur. Voyant qu'il restait silencieux, toujours menaçant, le Sir reprit la parole nerveusement.
— Bien, si cela ne vous pose pas de problème, je vais me retirer et réunir le conseil au plus vite.
— Faites cela, oui, conseilla Drike.
GOLTON II – PIERRE DES ANCIENS
Fiora se tenait devant la pierre des Anciens, l'observant comme l'objet le plus précieux de l'univers. Ses doigts effleurèrent ses inscriptions avec une délicatesse presque sensuelle. Elle et la pierre avaient toujours été étroitement liées ; celle-ci n'avait réagi qu'à son contact, comme si elle faisait intrinsèquement partie d'elle. Ses luttes intérieures avaient trouvé refuge auprès d'elle, telle une présence réconfortante, presque maternelle. Elle se débattait entre l'amour qu'elle éprouvait pour son père et ses devoirs en tant que Golt, partisane de la prophétie des Sang-Rouge. Elle se remémora les deux fois où elle tourna le dos à Waldo. La première fois, elle n'était qu'une enfant, et cela lui avait été pardonné en laissant simplement échapper quelques larmes de culpabilité. C'était le jour où elle avait trahi la confiance de son père en avertissant son grand-père de la naissance de la progéniture d'Alida et Sandor Iker, déclenchant ainsi l'assassinat de Sandor et la fuite d'Alida avec sa descendance. La seconde fois, en revanche, n'avait pas pu être pardonnée, car elle s'était soldée par la mort de Waldo lui-même. Le souvenir lointain de cette perte provoqua en elle une douleur lancinante dans la poitrine. Fiora posa une main sur son cœur et l'autre sur la pierre, symbole des démons qui l'avaient déchirée toute sa vie. Elle ressentait un tiraillement entre deux valeurs qui l'avaient à la fois façonnée et détruite : l'amour d'un père ou la volonté d'honorer son peuple. Repensant à tout cela, Fiora réalisa que les larmes enfantines de culpabilité qu'elle avait versées pour obtenir le pardon de son père furent les dernières qu'elle laissa couler de sa vie. Ce souvenir, à la fois douloureux et marquant, évoquait en elle une époque révolue où la vulnérabilité et l'innocence étaient encore présentes. Depuis, les larmes avaient cédé la place à une froide détermination, une résilience forgée par la douleur et les sacrifices qu’elle avait dû faire pour honorer son héritage. Et pour atteindre ses objectifs, Fiora était prête à tout. Son plan visant à obtenir le trône de Zoldello n'était plus d'actualité, maintenant qu'il n'y avait plus de princesse à conquérir pour Andras Iker. Ses ambitions de gouvernance s'étaient effondrées. Désormais, une seule chose l'obsédait : récupérer les deux porteuses. Il était hors de question que quiconque referme le portail pour lequel ses ancêtres avaient versé tant de sang.
Toujours plongée dans ses pensées, appuyée contre la pierre des Anciens, Fiora fut interpellée par une voix féminine.
— Golt ?
Elle se tourna, le visage marqué par ses sombres réflexions.
— Qu'est-ce qu'il y a encore ? grommela-t-elle.
C’était Lozy Lane, l’acolyte insupportable de Tiger Stern. Fiora soupira, exaspérée à l’idée de devoir encore traiter avec eux. Après la débâcle d'Hasture, elle avait du mal à croire qu’ils puissent encore lui être utiles. Pourtant, il semblait que ces deux imbéciles étaient les seuls à exécuter ses ordres. Fiora avait toujours apprécié de ne pas avoir à se justifier auprès de ses subalternes, ce qui expliquait son attachement aux frères Tane, autrefois fidèles et dociles. Mais Drike était fébrile, et la situation ne ferait qu’empirer une fois qu’il découvrirait la vérité sur la mort de son frère. Son départ précipité pour Zoldello avait été une surprise : l’aîné n’avait jamais pris d’initiative personnelle jusqu’à présent. Il ne lui avait même pas demandé son autorisation et l’avait laissée en plan alors qu’elle avait été claire. Elle lui avait demandé de se rendre sur Zoldello, avec ces deux idiots, pour ramener les deux princesses. Pour Fiora, c’était un signe alarmant d’indépendance qui ne présageait rien de bon. Elle savait que son autorité était en jeu, et cela la plaçait dans une position inconfortable.
Fiora s’en remettait à ces deux bandits de pacotille, bien qu’elle fût parfaitement consciente de leur incompétence. Entre-temps, Drike lui avait tout de même communiqué une information importante : les deux porteuses n’étaient plus sur la planète verte. Elle n’avait plus d’intérêt à les missionner à cet égard.
— Qu'attendons-nous pour rejoindre le vaisseau de votre Gudjanien ? demanda Lozy, lasse d'attendre.
— Quand je te le dirai. Pourquoi poses-tu autant de questions ? s’agaca-t-elle en retirant sa main de la pierre.
— Je n’ai rien contre ta planète, mais on commence à s’ennuyer, se plaint Lozy, les bras croisés, insatisfaite.
Fiora la fixa, ennuyée d'avoir encore une fois à expliquer ses décisions.
— Je n’avais pas prévu le départ de Drike. Cela change quelque peu la donne.
— En quoi c’est un problème ? Il est sur Zoldello, et nous, on part. On n’a pas besoin de lui.
Fiora hésita. Elle n'osa pas révéler ce qui la retenait vraiment. La vérité, c’était que l’absence de Drike la faisait se sentir comme un chevalier sans son bouclier. Un étrange pressentiment de menace l’envahissait en compagnie de Lozy et Tiger. Elle n’avait aucune envie de rester seule avec eux, mais elle ne pouvait pas non plus les laisser partir à la poursuite du Piros sans elle. Fiora le savait : elle ne pouvait pas leur faire confiance. Deux choix s’offraient à elle : attendre Drike, s'il était toujours de la partie, ou bien les suivre seule, au risque que quelque chose se produise.
Une part d'elle voulait retarder la décision, mais chaque minute qui passait permettait au Piros de prendre de l'avance en direction de Kapu. Son esprit était emporté par un flot de "si", tandis que Lozy, impatiente et mécontente, la fixait avec insistance. Fiora sentait que la situation lui échappait peu à peu, et qu'un mauvais choix pourrait entraîner des conséquences désastreuses. Mais avait-elle vraiment le luxe de réfléchir davantage ? Elle ne pouvait pas laisser le Piros atteindre son but sans intervenir. Contrainte, elle décida d'ignorer son instinct et d'agir dans la précipitation.
— Bien. Partons rejoindre le Piros, lâcha Fiora, sans conviction.
Un petit rictus de satisfaction se dessina insidieusement sur le visage de Lozy.
— Je vais prévenir Tiger, annonça-t-elle en quittant la pièce.
Fiora la suivit des yeux, observant Lozy et sa chevelure rouge vermeil disparaître complètement dans l'ombre. Une fois seule, elle s'appuya contre la pierre des Anciens, ses yeux glissant sur le sol froid et humide de la grotte. Un nuage de vapeur s’échappa de sa bouche dans un souffle chaud, chargé de particules de regret, comme si elle savait déjà qu'elle allait au-devant de nombreux problèmes.
PIROS - PIÈCE INCONNUE
Zorth était assis, son regard s’égarant sur le sol métallique de cette pièce isolée du Piros. Par moments, ses yeux se posaient furtivement sur son visiocommunicateur, comme s’il attendait désespérément un appel qui ne venait pas, avant de sombrer à nouveau dans ses rêveries. Le poids de cette mission commençait à peser lourd sur ses frêles épaules de Gudjanien. Habituellement confiant, il commençait à sérieusement douter de lui. Il repensait à tous ces moments passés au service de la famille royale d’Ultya, des souvenirs défilaient comme des croquis esquissés sur une vieille feuille froissée, oubliée dans un tiroir. Ces instants lui paraissaient désormais si lointains, presque flous. L’essence même de la mission Minden lui échappaient. Les dirigeants de Zoldello lui avaient confié tant de responsabilités, tant de secrets. Il se sentait comme une petite mouche, celle que l’on rêve d’être, s’immisçant là où personne d’autre ne pouvait entrer. Mais aujourd’hui, cette position privilégiée semblait dépourvue de sens. Que valaient vraiment toutes ces cachotteries ? Ces secrets royaux n’étaient finalement peut-être pas plus que de croustillantes indiscrétions entre amis. L’essentiel ne lui était pas parvenu, tel un murmure qu’on percevait en s’immergeant dans l’eau : lointain, sourd et inaudible. Il s’en voulait de ne pas avoir posé les bonnes questions au bon moment.
Finalement, la sonnerie du visiocommunicateur l’extirpa de son moment d’égarement. Zorth décrocha d’un mouvement hâtif du poignet, et quelle ne fut pas sa surprise de découvrir qu’un visage accompagnait enfin la voix. C’était la première fois, depuis le début de ses échanges avec la confrérie des Hématiens, qu’une personne daignait se montrer. Et c’était une femme qui se dévoilait devant lui.
— Bonjour, Sieur Kydine, dit-elle, le regard préoccupé.
— Bonjour… lâcha Zorth, encore sous le choc d’avoir quelqu’un en face de lui. À qui ai-je l’honneur ?
— Ce n’est pas important, expliqua-t-elle. Ce qui compte, c’est ce qui va suivre. Je vous demande d’être attentif à ce que je vais vous dire.
Zorth se redressa, cherchant à se mettre dans les meilleures conditions possibles pour accueillir les informations qu’il s’apprêtait à recevoir. Il acquiesça d’un simple hochement de tête.
— Nombre de mes confrères vous ont déjà contacté.
Zorth comprit mieux. Il n’avait jamais eu affaire à une femme jusque-là. Son interlocuteur semblait changer à chaque échange, mais il avait toujours été en présence d’hommes.
— Vous vous dirigez vers Kapu ? interrogea-t-elle sans détour.
— En effet, c’est notre destination, confirma-t-il avec assurance.
La communication était mauvaise, le visage de la femme disparaissait par moments. Certains de ses mots étaient mal articulés, mais il parvenait à comprendre ce qu’elle disait en y portant attention.
— Je vous demande de faire escale sur Ebrédes, poursuivit-elle avec le plus grand sérieux. Nous nous retrouverons là-bas. Je vous envoie les coordonnées.
Alors que la communication semblait se terminer, celle-ci se coupa brutalement. Zorth vérifia d’urgence qu’il avait bien reçu les informations qu’elle avait mentionnées. Il s’enfonça dans sa chaise, soulagé, en constatant que c’était bien le cas.
Il saisit ses coordonnées pour vérifier où se trouvait Ebrédes. Zorth était convaincu d’avoir déjà entendu parler de cette planète sur Zoldello, mais il ne parvenait pas à se souvenir qui en avait fait mention. À son plus grand étonnement, il découvrit qu’elle n’était pas très éloignée de Kapu, dans la galaxie d’Elsö. Il fronça les sourcils, se torturant l’esprit tout en pensant à haute voix.
— Ebrédes… Pourquoi ? s’interrogea-t-il.
Son attention se perdit à nouveau dans l’univers métallique qui l’entourait. Il devrait avertir l’équipage de ce changement de dernière minute, faisant face à de nombreuses questions auxquelles il n’aurait, une fois de plus, pas de réponses. Incapable de rassurer les hommes et les femmes qui l’accompagnaient, une immense frustration l’envahit. Lui, l’homme de mots, orateur de renom, le préposé aux déclarations les plus délicates, se retrouvait incapable de justifier les décisions qu’il imposait aux autres. Zorth espérait secrètement que personne ne lui demanderait des comptes, mais cette pensée utopique s’effaça dans un sourire abdicatif qui s’ancrait sur son visage. Il savait que c’était peine perdue. Il devrait trouver des réponses satisfaisantes pour assouvir leur besoin d’explications, une tâche qui s’annonçait difficile. Zorth se releva en inspirant une dernière bouffée d’air dans cette pièce saturée d’une atmosphère complètement artificielle. Sa silhouette se reflétait de manière imprécise sur le mur qui lui faisait face, et il en profita pour remettre sa veste en place. Une fois son allure élégante retrouvée, il quitta ce secrétoire de fortune et se dirigea vers la salle principale du Piros.
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