DYNASTIE IKER *** II ***

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VAISSEAU DE FIORA - EN APPROCHE D'EBREDES

Golt était contrariée. Elle ne comprenait pas vraiment les manœuvres de Zorth ni de son groupe.

Pourquoi effectuaient-ils un détour si près de leur objectif ?

L'incertitude grandissait en elle, s'insinuant dans chaque pensée. L'absence de Drike à ses côtés pesait lourd, tandis que la présence de Lozy Lane et Tiger Stern ne lui inspirait guère confiance. Ces deux-là, complètement imprévisibles et violents, ne faisaient qu'ajouter à son malaise et amplifier son stress.

Elle avait tenté, à plusieurs reprises, d'entrer en contact avec Drike, mais celui-ci restait sourd à ses appels. Son silence obstiné la rendait folle de rage.

Ses deux acolytes par défaut étaient revenus dans le cockpit et observaient Ebredès depuis la troposphère, le vaisseau maintenu en vol stationnaire.

— On peut savoir ce qu'ils foutent là ? interrogea Lozy, la bouche pleine de brioche.

— Comment le saurais-je ? bougonna Fiora.

Lozy lui adressa un sourire malicieux avant de se tourner vers Tiger.

— On reste là ou on y va ?

— Ils n'ont toujours pas capté qu'on les suit. Ce serait une belle occasion de les prendre par surprise, répondit Tiger avec un sourire fier.

Fiora ne prêta pas attention à l'échange. Au même moment, son visiocommunicateur vibra : un appel de sa brute infidèle. Son cœur rata un battement, mais elle masqua son émotion en se levant précipitamment. Elle quitta la pièce d'un pas rapide.

Une fois à l'abri des oreilles indiscrètes, elle décrocha, non sans impatience. Elle n'aurait jamais cru que voir ce nom s'afficher à l'écran puisse lui apporter un tel réconfort.

— Drike ! Qu'est-ce que tu fous ? Pourquoi tu ne réponds jamais à mes appels ? reprocha-t-elle d'un ton mesuré, mais chargé de tension.

— Je suis toujours sur Zoldello. Au palais, répondit-il froidement.

— Et quand comptes-tu me rejoindre ? Je suis seule avec ces deux abrutis !

Le ton agacé de Fiora semblait glisser sur Drike, comme si son autorité n'avait plus aucune emprise sur lui. Cette prise de conscience lui serra la poitrine : elle n'impressionnait plus.

— Le saviez-vous ? finit-il par lancer.

Fiora déglutit, prise au dépourvu. Elle savait que Drike n'apprécierait pas la vérité. Et elle avait bien trop besoin de lui pour risquer d'être franche. Après tout, que pourrait bien changer cette révélation ? Bogz était mort, et cela devrait suffire.

— De quoi parles-tu, Drike ? Tu crois vraiment que j'ai le temps de jouer aux devinettes avec toi ? rétorqua-t-elle.

Son ton trahissait un mélange de rage et de frustration, mais elle espérait que cela suffirait à masquer son malaise. De son côté, son homme de main laissa les secondes s'étirer, remplissant le silence de ses propres réflexions. Il ne semblait pas remettre en question la réponse de sa patronne. Finalement, il reprit la conversation comme si de rien n'était.

— Et vous êtes où actuellement ? Je peux vous rejoindre.

Fiora ferma les yeux, soufflant discrètement son soulagement pour ne pas se faire entendre.

— On est au-dessus d'Ebrédès. Ils ont fait un détour sur cette planète, que je pensais ne jamais revoir, avoua-t-elle.

— Très bien, je pars immédiatement. Je vais demander à Andras de me fournir un vaisseau Tucanien, comme ça j'arriverai plus rapidement.

— Je ne sais pas si tu arriveras à temps, mais peut-être pourras-tu me rejoindre sur Kapu. Grouille-toi ! termina Fiora en raccrochant.

Une fois la communication terminée, Golt laissa enfin la tension dans son dos et ses épaules se relâcher, s'appuyant contre le mur métallique et froid du vaisseau. Se croyant seule, elle sursauta violemment lorsqu'une voix familière brisa le silence.

— C'était ton toutou ? Il a enfin décroché ? moqua Lozy.

Fiora se redressa instantanément, son visage se fermant en une expression froide. Elle détestait Lozy, profondément. Et le fait qu'elle surgisse ainsi, comme une mouche indésirable, furetant autour d'elle avec une curiosité malveillante, ne faisait qu'alimenter la haine viscérale qu'elle ressentait envers elle. Fiora n'avait pas l'intention de se laisser impressionner aussi facilement et décida de répondre à son jeu malsain. Un sourire condescendant se dessina sur ses lèvres, puis elle s'approcha, jusqu'à ce que leur visage soit presque collé. Ses yeux dorés se glissèrent dans ceux de Lozy, perçant ses prunelles couleur café. Sa voix, basse et pleine de défi, résonna alors :

— Que ce soit bien clair entre nous : je ne vous dois aucune explication sur aucun de mes faits et gestes. De plus, vous semblez ne pas avoir compris que vous ne travaillez pas avec moi, mais pour moi, insista-t-elle en articulant avec une précision mécanique.

Lozy ne se démonta pas et lui offrit un ricanement qui sentait la provocation.

— Du calme, le demi-dieu. Je ne cherche pas la bagarre, c'est juste une mauvaise habitude, répondit-elle avec un amusement malsain. J'aime bien observer ce qu'il se passe autour de moi.

Fiora serra la mâchoire, les poings crispés, mais garda le silence. Elle pivota brusquement et retourna d'un pas vif dans le cockpit. Elle frôla Lozy d'une manière presque provocante, la surplombant sans effort d'une dizaine de centimètres.

Dans la salle de commande, Fiora ne prit même pas la peine de s'asseoir. Elle se planta devant le tableau de contrôle, la voix tranchante, froide comme l'acier.

— Ne perdons pas de temps avec un plan inutile, ordonna-t-elle. Le temps qu'on en parle, ils auront déjà pris la fuite. Saisissons cette occasion avant qu'elle ne disparaisse.

Tiger laissa échapper un sourire, celui d'un prédateur qui sentait l'odeur du danger. L'idée d'affronter ce groupe de missionnaires, sans aucune préparation, l'attirait comme une proie facile.

EBREDES - PIROS - SALLE PRINCIPALE

Lorsque Kybop entra dans la salle principale du vaisseau, Zorth se tenait debout, le dos droit, encadré par Slikof et Kylburt. Ses deux gardes du corps, immobiles et impassibles, comme des statues, attendant que l'équipage prenne place pour permettre à Zorth de s'exprimer.

Sylice était, bien entendu, la première sur place. Elle n'avait même pas quitté le vaisseau, toujours en blouse blanche, un tas de papiers à la main – sûrement des études ou des résultats tirés de ses innombrables recherches sur l'Œil de la princesse Tyra. Installée sur l'un des hauts tabourets du bar, elle restait en retrait, observant tout depuis son perchoir.

Non loin, Milo. Depuis leur arrivée sur Ébrédès, il s'était fait discret, mais le voilà tout pimpant. Rasé de près, les cheveux soigneusement coiffés en arrière – Kybop le soupçonnait même d'avoir mis du gel. Sa fleur blanche habituelle ornait toujours son veston, comme s'il était encore en service. Debout, les mains croisées devant lui, il arborait une posture presque solennelle, prêt à écouter attentivement ce que le conseiller avait à leur révéler.

La porte s'ouvrit derrière elle, laissant entrer Brizbi. La brune au regard glacé lui lança un regard furtif, encore un peu gênée par ce qu'il s'était passé devant le mur. Une vague de souvenirs traversa son esprit avant qu'elle ne se force à se reconcentrer sur les autres. La blonde à la sucette s'assit sur le canapé sans lui accorder d'attention particulière.

Puis vint Fyguie, tout sourire, accompagné des enfants de la famille Ristoc. Leur bonne humeur était contagieuse. Ils affichaient des visages radieux, comme des enfants qui rentrent d'une sortie pleine de rires et de bons moments. Les têtes roses se dispersèrent joyeusement dans la pièce, tandis que Fyguie, en apercevant sa sœur, se dépêcha de venir s'installer à ses côtés.

— Alors ? Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il, impatient.

— Je n'en sais rien. Il attend que tout le monde soit là, je suppose, répondit-elle en lui ébouriffant les cheveux.

Un glissement de porte attira leur attention. D'autres membres de l'équipage arrivaient. Derrière la carrure imposante du capitaine, qui entra en fanfare comme à son habitude, apparut Tamy. Les bras chargés de sachets d'aliments lyophilisés, elle traversa la pièce pour les déposer derrière le comptoir du bar. Une fois sa tâche accomplie, elle s'installa à côté de Sylice, qui restait plongée dans ses papiers, totalement absorbée par ses recherches.

Dogast, toujours rapide et efficace, prit place autour de la table centrale, à quelques chaises des jumeaux. Puis, l'ambiance changea subtilement avec l'entrée de la famille royale. Hyldon, Tyra et Lilas apparurent ensemble, leur prestance attirant immédiatement tous les regards.

Kybop détourna les yeux dès qu'elle vit Lilas. Pas question de croiser son regard, pas maintenant. Le goût amer de la trahison lui serra encore la gorge, et elle refusa de lui accorder ne serait-ce qu'une seconde d'attention. Pourtant, malgré ses efforts pour l'éviter, celle-ci s'assit à sa droite, sa proximité l'électrisant d'un mélange de colère et de malaise.

Fyguie, assis à sa gauche, lui donna un coup de pied léger sous la table pour capter son attention et lui indiquer la présence de la princesse à ses côtés. Comme si je n’avais pas vu, crétin… grogna-t-elle. Elle lui lança un regard noir, espérant qu'il comprenne le message : un peu plus de discrétion ne ferait pas de mal.

Il ne manquait plus qu'Houda et Saranthia, qui firent une entrée fracassante. Tous les regards se tournèrent vers elles, et personne ne put ignorer les dégâts. Saranthia, malgré ses efforts apparents pour se débarrasser de la boue, portait encore les traces évidentes d'un combat perdu contre les éléments. Ses vêtements étaient parsemés de plaques de terre séchée, presque incrustées dans le tissu. Pourtant, sa veste, d'une propreté irréprochable, détonnait étrangement avec son allure générale. Un rapide coup d'œil éclaira Kybop : elle portait celle d'Houda.

Les murmures s'élevèrent doucement dans la pièce. Certains, amusés, échangèrent des regards complices. D'autres, visiblement perplexes, froncèrent les sourcils en essayant de deviner ce qui avait bien pu se passer. Kybop elle-même ne put s'empêcher de se poser la question. Mais Saranthia, imperturbable, ne laissa rien transparaître.

Avec une prestance qui contrastait nettement avec son allure défraîchie, elle avança d'un pas assuré jusqu'à la table. Là, elle prit place face à Lilas et à ses parents. Un bref échange de regards s'établit entre eux. Puis, sans un mot, Saranthia invita Houda à s'asseoir à ses côtés d'un simple geste de la main.

Une fois que le dernier grincement de chaise s'éteignit, Zorth s'éclaircit la gorge, levant élégamment un poing devant sa bouche dans un geste mesuré.

— Bien. Puisque nous voilà tous réunis, il m'est désormais permis de vous faire part d'une révélation singulière. Comme vous le savez, je me suis enquis d'un rendez-vous, soigneusement consigné sur ce billet, et y ai fait la rencontre d'une dame. Mais point une dame ordinaire, non, une figure éminente de la confrérie. J'ai eu l'insigne privilège d'échanger avec elle sur des sujets d'importance capitale, liés à la prophétie.

À ces mots, les réactions ne se firent pas attendre. Les oreilles devinrent plus attentives. Quelques chuchotements trahirent un nouvel intérêt pour son discours, et Kybop n'échappa pas à la règle. Au milieu de cette effervescence, elle prit soudain conscience qu'elle aussi avait des révélations à faire... à son frère. Mais le temps lui avait manqué pour s'y atteler avec tout ce tumulte.

— Toutefois, pour faire montre de la plus grande transparence, je m'en voudrais de ne point céder la parole à ladite personne. Ainsi, vous serez à même de lui adresser toutes les interrogations que votre esprit jugera pertinentes, ajouta-t-il, non sans esquisser un léger sourire en coin.

À cet instant précis, la porte de la salle principale glissa une dernière fois dans un murmure métallique. Une femme, grande et élancée, fit son entrée...

— Bonjour à tous, annonça-t-elle d'une voix douce, presque apaisante...

Son regard se tourna alors vers Lilas, chargé de gravité.

— J'ai eu vent d'un péril imminent qui menace la couronne d’Ultya, et je dois vous demander... de ne pas honorer vos noces, princesse Lilas d’Ultya.

Lilas fronça les sourcils avant d'échanger un regard avec Saranthia.

— Pourquoi dites-vous cela ? interrogea Lilas, inquiète.

— Qui que soit votre prétendant, il n'était pas celui qu'il prétend être, répondit la femme aux cheveux sombres.

— Que voulez-vous dire ? demanda Saranthia, intriguée.

— Il affirme être un représentant de la famille Iker, expliqua-t-elle, mais il n'en est rien. Il s'agit d'une usurpation. Tout porte à croire que cela fait partie d'un plan orchestré par les Golt pour accéder au trône. Qui qu'il soit, ce jeune homme n’est ni un sang-rouge, ni un véritable représentant de la couronne d'Ebrédes.

— Et vous alors, qui êtes-vous ? osa demander Houda.

La question, aussi directe qu'inattendue, provoqua un échange de regards entre la femme et Zorth. Elle sembla hésiter, troublée. Zorth, quant à lui, paraissait tout aussi appréhensif. Finalement, il lui offrit un soutien discret, posant une main rassurante dans son dos, accompagné d'un sourire encourageant qui l'invitait à se présenter.

— Je suis Alida Iker. Anciennement reine de ce royaume déchu, annonça-t-elle avec une pudeur mêlée de gravité.

C'était étrange. Son aveu ne surprit pas Kybop. C'était comme si, dès l'instant où elle avait franchi la porte, elle l'avait su. Cette femme lui ressemblait tellement, à elle et à son frère. La voir traverser la pièce lui donna l'impression de revoir quelqu'un qu'elle connaissait, mais dont l'image s'était estompée avec le temps. Une sensation troublante de déjà-vu.

Lorsque son annonce cessa de résonner, un souvenir émergea dans l'esprit de Kybop : cette femme correspondait exactement à la description que lui avait faite Gano Chimli, mais comme figée vingt-cinq années en arrière. Son regard se perdit un instant dans la pièce jusqu'à croiser celui de Brizbi. Dans ses yeux, elle lut une inquiétude palpable, comme si elle cherchait à s'assurer qu'elle tenait le coup.

Alors que son esprit continuait de s'égarer dans cette étrange révélation – face à celle qui les avait mis au monde – les voix reprirent, et les questions fusèrent à nouveau.

— Vous avez mentionné un vieil ami, questionna Binny. Un vieil ami qui vous aurait aidée avec la prophétie. De qui s'agit-il ?

Alida esquissa un bref sourire, teinté de nostalgie, comme si évoquer cet ami ravivait un souvenir précieux et douloureux.

— Un homme qui a consacré sa vie entière à retranscrire les textes, les analyser, recouper des faits tangibles pour tenter d'en extraire une compréhension accessible. Aujourd'hui, comme vous l'imaginez, il n'est plus de ce monde, regretta-t-elle. Mais il a offert son existence entière à cette cause, jusqu'à en perdre la vie. Waldo aurait été ravi de voir que votre mission est parvenue aussi loin aujourd'hui.

— Waldo ? interrompit le prince Hyldon. Waldo Golt ?

— Oui, répondit Alida avec étonnement. Le connaissiez-vous ?

— Cet homme a ruiné notre famille ! reprit-il avec une colère froide et implacable. Comment osez-vous parler de lui en ces termes ?

Alida sembla déstabilisée, ne comprenant pas comment Waldo pouvait être responsable d'un tel mal.

— Je suis désolée d'entendre une telle nouvelle... Non pas que je remette votre parole en doute, mais êtes-vous certain de ce que vous avancez ? demanda-t-elle faiblement, comme cherchant à réconcilier les deux vérités qui s'opposaient.

— Il nous a enfermés, moi et ma femme, hurla-t-il en désignant Tyla d'un geste violent de la main, pendant vingt ans ! Vingt années, dans les tréfonds de la planète Golton II ! Comment pouvez-vous le présenter comme un fervent défenseur de la cause ?

Une tension glaciale s'installa dans la pièce. Kybop les observa : le prince Hyldon, imposant dans sa stature, restait droit, une main toujours tendue vers son épouse. Alida, l'ex-reine déchue, semblait hésiter, comme si elle redoutait d'aggraver davantage la situation. La sensation d'assister à une pièce de théâtre dramatique traversa Kybop un instant, puis la scène reprit.

— Si Andras Iker n'est pas de votre famille, et donc, en aucun cas votre descendance, est-ce qu'il ne reste plus que vous ? demanda Kybop, la voix tremblante de colère et d'attentes inavouées.

Ses yeux croisèrent ceux d’Alida, et son visage se ferma dans une espèce de tristesse mêlant culpabilité et regrets. Kybop distingua clairement ses yeux bleus qui se remplissaient de larmes qu'elle ne s'autoriserait pas à laisser couler. Fyguie, toujours assis sur sa chaise, la regarda, les sourcils froncés. Il n'était pas dupe, il sentait bien que quelque chose l'habitait, mais il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Après tout, sa question était hors sujet ; en quoi la descendance des Iker pouvait-elle avoir un lien avec la mission ? Il attrapa discrètement la manche de Kybop pour attirer son attention, mais elle refusa d'interrompre cet instant. Elle voulait une réponse spontanée de la part d'Alida. Elle ne voulait pas qu'une distraction intempestive lui permette de réfléchir à ce qu'elle allait dire.

— Répondez ! cria-t-elle en tapant du poing sur la table, surprenant toute la pièce.

— Non. Je ne suis pas la dernière de la lignée, avoua-t-elle en retenant un sanglot.

À cet instant, Alida savait que la jeune femme était au courant. Alida pouvait le lire dans ses yeux. Cette simple réponse, cet aveu clairement exprimé, atténua légèrement sa colère. Juste assez pour que ses épaules se relâchent doucement. Peu disposée à écouter la suite de leur conversation, Kybop saisit son frère par le col et lui ordonna de la suivre. Zorth et les autres les observèrent partir, l'incompréhension visible sur leurs visages. Alida, consciente de ce qui se jouait sous ses yeux, entrelaça nerveusement ses doigts sur le tissu de sa robe. Le conseiller, qui comprenait la délicatesse du moment et du mystère qui pesait sur l'équipage, décida de prendre la parole pour alléger le poids qui alourdissait les épaules de la reine déchue.

— Si vous en avez l'amabilité, nous pourrions poursuivre cette conversation plus tard. Il serait peut-être plus sage de ne point trop s'attarder sur cette planète. Je vous prie de m'excuser si cela vous semble impoli, très chère, dit-il à Alida d'un ton empreint d'une extrême considération. Nous devons partir.

PIROS - DANS UN COULOIR

Fyguie l'avait suivie hors de la salle principale, presque par contrainte, tiré par le col, comme un enfant que l'on voulait réprimander. Une fois éloignés des oreilles indiscrètes, elle s'arrêta et se posta face à lui. L'instant fut suspendu, et elle réalisa qu'elle ne savait même pas par où commencer. Le poids de la vérité l'étouffait, mais il le fallait, il devait savoir. Finalement, sans un mot, il attrapa ses mains dans les siennes, comme une ancre dans la tempête qui se déchaînait en elle. D'un geste apaisant, il l'invita à respirer profondément, et elle le fit, espérant que cet air frais lui donnerait la force de tout lui dire.

— Fygs... Pendant que vous vous amusiez avec les Ristocs à Kereskedo, je suis allée faire un tour, de l'autre côté du mur, avoua-t-elle, impatiente d'en venir au fait. Brizbi m'a suivie, ne me demande pas pourquoi, elle est toujours partante pour des aventures douteuses.

Il esquissa un sourire, peut-être amusé à l'idée de l'imaginer escalader des murs en compagnie de Brizbi, qu'il considérait sans doute comme une pirate ou quelque autre malfrat.

— Nous avons traversé une immense forêt, jusqu'à un petit village abandonné, tout recouvert de neige. Là-bas, nous avons rencontré un certain Gano Chimli, et il nous a raconté une histoire. Notre histoire.

Elle le vit se tendre, ses yeux se fixèrent sur elle avec une intensité nouvelle, comme si chaque mot qu'elle prononçait faisait résonner quelque chose de profond en lui. Il ne l'interrompit pas, laissa ses paroles se dérouler, préférant lui laisser trouver son rythme.

— Il a dit que vingt-cinq ans auparavant, une femme était venue abandonner deux enfants dans sa pouponnière. Et il était certain que cette femme était la reine du royaume d'Ébrédes : Alida Iker, souffla-t-elle, le cœur battant. Mais elle a dit un autre nom...

— Flokart... la coupa-t-il, comme si cela allait de soi.

— Exactement. Un nom qu'elle a pioché au hasard dans la rue, sur la devanture d'un magasin de bougies.

Attendant une réaction de sa part, elle ne rajouta rien de plus. Ses mains, toujours dans les siennes, se relâchèrent légèrement. À travers ses lunettes, elle devina à quel point il était bouleversé par cette révélation. Pas certaine qu'il mesure pleinement l'ampleur de ce que cela impliquait, elle resserra un peu sa prise sur ses doigts pour le ramener à la réalité.

— Ça veut dire que cette femme, c'est notre mère ? finit-il par souffler, incrédule.

— Ça veut surtout dire qu'on est les descendants d'une famille royale, et que cette femme nous a abandonnés, rétorqua-t-elle.

De son côté, il ne sembla pas aussi en colère qu'elle. Et cela la mit encore plus en rogne. Elle avait envie, non, elle avait besoin qu'il ressente la même rage qu'elle.

— Kyb... Tu m'offres là une bribe de notre histoire, mais avant de t'emporter, peut-être qu'il serait plus sage de rassembler toutes les pièces du puzzle. Sait-elle qui nous sommes ? demanda-t-il, toujours aussi posé.

— Bien sûr qu'elle le sait, je l'ai vu dans son regard, cracha-t-elle, en lâchant brutalement ses mains.

— Alors, il va falloir qu'on lui parle, c'est important. C'est une nouvelle incroyable, sœurette ! se réjouit-il, presque avec enthousiasme.

Elle ne comprenait pas sa joie soudaine.

Comment pouvait-il se réjouir alors que tout ce qu'elle ressentait, c'était un vide, un abandon ?

Sa réaction la surprit et la déçut.

Pourquoi était-il heureux de cette découverte quand elle se sentait brisée ?

Elle ne savait pas si c'était sa réaction qui la perturbait ou la sienne, mais cela lui faisait mal.

— Je ne compte pas aller lui "tailler une bavette". Cette femme n'est rien à mes yeux ! s'écria-t-elle.

Fyguie, voyant son état, s'empressa de revenir vers elle et reprit doucement ses mains, avec la tendresse qu'il savait si bien exprimer.

— Arrête d'en vouloir à la terre entière, lui dit-il d'un ton apaisant. Tout le monde ne cherche pas à te nuire. Les gens commettent parfois des erreurs, prennent des décisions qu'ils regrettent ou qu'on leur impose. Laisse-lui une chance de combler les vides de notre histoire, avec des vérités que nous serons libres d'accepter ou non. Personnellement, j'en ai besoin, avoua-t-il, presque d'une manière coupable. Et ça n'aurait pas la même saveur si on ne découvrait pas tout ça ensemble...

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