HUIS CLOS *** I ***

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PIROS - CABINE D’HOUDA

Lorsque Brizbi fit son entrée, la jolie rousse se tenait assise sur son lit, le regard perdu en un lieu que seule elle semblait connaître. Ayant laissé sa veste à Saranthia, elle ne portait plus que son T-shirt blanc humide et frissonnait de froid. Ses cheveux roux, attachés en un chignon désordonné, laissaient retomber en cascade quelques mèches rebelles le long de son visage.

Brizbi prit place à ses côtés et sentit aussitôt des effluves de tabac émaner de ses vêtements.

— Tu fumes ?

Houda secoua légèrement la tête avant de recentrer son attention sur elle. Un léger sourire s’étira sur ses fines lèvres.

— Parfois.

Les deux jeunes femmes restèrent quelques secondes les yeux dans les yeux, sans relancer la conversation. Brizbi explorait doucement les traits tendus du visage d’Houda. Elle crut percevoir quelque chose qu’elle n’avait jamais vu auparavant : de la tristesse. Jusqu’à présent, celle-ci s’était recluse dans une humeur désintéressée et distante, comme si elle avait été immunisée contre toute émotion. Ce n’était plus le cas.

À cet instant, Brizbi comprit que la jeune femme qu’elle avait rencontrée sur Durian revenait à elle.

— Je suppose que tu es au courant que ce n’est pas bon pour la santé ? ironisa la belle blonde.

— Bien sûr, sinon quel serait l’intérêt d’en griller une ?

Houda eut un petit ricanement discret et délicat avant de glisser sa main dans celle de Brizbi. Sa peau était chaude, alors que la sienne était glaciale. La scientifique y trouva un refuge réconfortant. Ce contact peau à peau avec celle dont elle s’était éloignée la ramena d’autant plus à la réalité. Comment avait-elle pu la rejeter ainsi ? Elle s’en voulait.

Une larme se mit à perler le long de sa joue, et Brizbi se contenta de la recouvrir d’une étreinte chaleureuse.

— Je suis tellement désolée, étouffa Houda dans un sanglot.

— T’inquiète, ma belle. Je suis là. Je ne vais nulle part.

— Je ne savais pas comment gérer tout ça…

Elle enfonça son visage dans le cou de Brizbi, qui la serra d’autant plus contre elle, lui offrant un ancrage suffisant pour laisser échapper son flot de larmes trop longtemps retenu.

Sans plus de confession, les deux jeunes femmes laissèrent leurs corps s’abandonner sur le lit, fusionnant dans un échange de tendresse oublié.


CABINE DE SARANTHIA ET LILAS

La régente n’avait toujours pas nettoyé le désastre qui s’étalait sur sa tenue et son visage. Le sang de ses écorchures avait séché et la seule chose intacte qu’elle possédait était la veste d’Houda. Ses cheveux était un véritable affront envers toute couronne qui voulut se poser sur sa tête. Un mélange de boue craquelées entremêlé à des mèches blondes plus rebelles que jamais. Elle se tenait face au miroir mais ne semblait pas vraiment déprécier ce qu’elle y voyait.

Lilas entra, essuyant quelques larmes qui parsemaient encore son visage rougis par la colère.

— Par le saint, Saranth… On dirait que tu t’es échappée d’un terrier en pleine tempête…

Elle se plaça derrière la régente pour admirer à son tour son reflet. Saranthia l’observa un instant et ne put retenir un rire franc et sincère.

— Quelle fine équipe nous faisons ! Toi et moi… L’une dans la boue, l’autre dans les larmes.

Sa cousine pouffa devant ces navrantes constatations, puis posa ses mains sur les épaules de Saranthia avant d’y apposer son menton.

— Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?

— J’ai couru.

— Pour aller où ?

— Nulle part. Je dirais plutôt que je fuyais quelque chose.

— Tes parents ?

— Tout. Ma culpabilité, ma place sur le trône, ce foutu anneau que je suis censée porter, souffla-t-elle.

— Et alors ? Tu as réussi à semer tous ces maux ?

Saranthia écarta les bras, comme si elle ne pouvait que constater les dégâts de son échec.

— Il faut croire que non. La boue a eu raison de moi. Elle aurait tout aussi bien pu m’ensevelir… j’y aurais peut-être trouvé une forme de soulagement.

Lilas lui asséna une tape sur l’épaule.

— Ne dis pas des choses pareilles ! gronda-t-elle avec douceur. J’ai besoin de toi.

— Personne n’a besoin d’une souveraine qui ne sait pas gérer ses émotions. Depuis qu’ils sont revenus, je perds la tête. Je les rejette comme s’ils étaient coupables de quelque chose, alors qu’ils n’ont fait que subir l’horreur, se confia-t-elle.

La Régente plongea son visage dans ses mains, toujours face à ce reflet qu’elle ne pouvait soudainement plus regarder.

— Je n’arrive pas à gérer leur retour. N’importe qui leur aurait sauté dans les bras, bien trop heureux de retrouver ces êtres chers revenus d’entre les morts. Pourquoi est-ce que j’en suis incapable ?

Lilas serra sa cousine contre elle, tentant de trouver des mots pour expliquer l’inexplicable.

— Personne ne peut savoir ce que tu traverses. Et je sais que tu fais tout ton possible… Aucun d’entre nous ne juge tes réactions, nous sommes surtout inquiets pour toi. J’ai grandi à tes côtés, Saranth, je sais à quel point la perte de tes parents t’a détruite. Leur retour est un choc pour tout le monde. Moi-même, je ne sais pas comment j’aurais accueilli la nouvelle. Ne sois pas trop dure avec toi-même, fais la paix avec tes émotions. Cela prendra le temps qu’il faudra, personne ne te presse.

— Personne ne me presse, mais la mission est là, et ce doigt inoccupé n’a de cesse de me le rappeler.

— Nous ne sommes pas encore arrivées sur Kapu. Nous avons encore quelques jours devant nous.

Saranthia acquiesça et croisa le regard de Lilas dans le miroir.

— Et toi ? L’Eltanienne t’a encore fait des misères ?

— Elle me met à distance, comme je l’avais imaginé. Elle me traite avec une certaine violence, mais je n’arrive pas à lui en vouloir. Je vois bien que c’est la souffrance que je lui ai infligée qui parle. Elle est déçue… Sa vie n’est qu’un enchaînement de déceptions et de pertes, je ne fais qu’ajouter à sa peine, sanglota Lilas.

— Je l’ai croisée en venant ici, elle n’était que l’ombre d’elle-même… Son frère lui courait après. Il est bien plus raisonnable qu’elle, il saura la raisonner, je ne m’inquiète pas. Laisse-lui simplement le temps d’abandonner ses habitudes de tête de mule. Elle reviendra.

Sur ces paroles compatissantes, les deux cousines se laissèrent aller à une dernière étreinte avant que Lilas ne se presse dans la salle de bain pour tenter de plonger sa Régente de cousine, puante de vase et de boue séchée, sous l'eau.



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