HUIS CLOS *** II ***

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PIROS – AILE OUEST

Kybop avait réussi à semer son frère, qui ne l’avait pas lâchée d’une semelle dans les dédales de couloirs du vaisseau. Essoufflée et toujours sur le qui-vive, elle s’accorda néanmoins une courte pause en appuyant ses mains sur ses genoux. Lorsqu’elle se releva, sa conscience était là, sous les traits de son bon vieux Guitry.

— Wouaw… Tu te ramollis, je t’ai vue bien plus endurante, se moqua-t-il en éclatant de rire.

— Très drôle, Guitry…

Il s’approcha d’elle et lui donna une tape amicale sur l’épaule.

— Tu sais, ton p’tit Fygs, il est tenace. Tu l’as pas semé, c’est sûr.

Sur ses paroles, elle vérifia à toute vitesse une nouvelle fois, mais rien. Pas de bruit de pas précipités, pas de son de talons claquant sur le sol métallique du Piros. Elle était sauve… enfin, presque.

— Alors comme ça, t’es une putain de princesse ? ria-t-il de plus belle.

— Toujours pas drôle, Guitry… C’est un enfer. Un enfer dont je n’arrive pas à sortir. Je suis coincée dans ce rafiot avec tout un tas de gens qui veulent me parler. Lilas et ses foutues cachotteries, Zorth qui va sûrement vouloir s’assurer que je gère mon nouveau statut et que je ne lui file pas entre les doigts, mon frère et ses mielleries, qui va me demander de donner une chance à notre matriarche, et enfin, la reine sans couronne elle-même. Mon double vieillissant… souffla-t-elle en se relevant.

— C’est vrai que vous avez littéralement la même tronche, admit-il en souriant.

Elle se laissa emporter par la bienveillance de ce visage, qui commençait déjà à se dissiper dans son esprit, et esquissa un rictus adouci en retour.

— Je comprends, ma belle. Ça fait beaucoup. Mais franchement, tu t’en sors plutôt pas mal ! Te connaissant, j’aurais parié que tu te serais déjà fait la belle. Pourtant, t’es toujours là. Ce n’est certainement pas pour rien, assura-t-il en se plaçant à ses côtés.

— Ouais… Parfois, je me dis que si on était partis, toi et moi, sur Durian… Si on avait mené notre projet d’évasion à bien… On serait en train de siroter une mousseuse sur un bord de mer, quelque part dans ce foutu univers en déclin.

— Sûrement… Mais on y serait morts tous les deux. Et avec nous, tous les autres foutus êtres vivants de cet infini. Alors, à quoi bon ?

Kybop renifla un sanglot et ferma les yeux. L’image s’imposait à elle : elle et son meilleur ami, riant sous des alizés salés et revigorants, loin de tout.

— Ça aurait été chouette… Même dix putain de minutes, appuya-t-elle d’une voix rauque.

L’arrivée furtive de quelqu’un balaya Guitry de sa vision, comme une fumée dissipée d’un revers de main.

— T’es folle ! haleta Fyguie. Pourquoi t’as couru comme ça ?

Kybop éclata de rire en voyant son frère, le visage rougit par l’effort et la buée sur ses lunettes. Fyguie n’avait jamais été un grand sportif, et l’élan qu’il venait de fournir pour la poursuivre l’amusait d’autant plus.

Dans une complicité presque désarmante, il finit par éclater de rire à son tour et la serra contre lui.

— Je sais que tu ne veux pas qu’on parle. Mais on va quand même le faire, déclara-t-il doucement.

— Je sais…


PIROS – SOUTES

La famille Ristoc s’était réunie autour de Tamy, qui avait ramené un bon nombre de marchandises avec l’aide du capitaine. Parmi les vivres, les munitions et autres carburants, la mère des têtes roses avait tout de même remarqué une boisson rouge, quelque peu suspecte. Nul doute qu’il s’agissait d’une mousseuse ou d’un alcool du coin, ce qui la fit sourire. Elle avait eu le temps de sympathiser avec Dogast durant cette escale éphémère et avait trouvé en lui un homme amusant et taquin.

Dozik tentait de soulever les charges les plus lourdes pour amuser la galerie, feignant de ne fournir aucun effort, mais la veine sur son front trahissait largement sa peine. Katany et Binny le regardaient faire, partagés entre l’amusement et la désolation.

— Dozi, pas besoin de te tuer à la tâche, tu n’as rien à prouver à personne, asséna sa grande sœur.

— Oui, et puis tu n’as aucune demoiselle à séduire ici, ajouta Katany, moqueuse.

— Il y a beaucoup de personnes séduisantes dans ce bout de ferraille, tenta-t-il entre deux respirations.

— Laissez votre frère tranquille, il n’a pas besoin de tomber amoureux, il est déjà assez idiot comme ça.

— M’man ! souffla-t-il, faussement outré.

La famille éclata de rire avant de reprendre sur un ton plus sérieux.

— Bon. Je crois qu’il ne manque rien, vérifia Tamy en cochant des lignes sur sa tablette.

— Non. Tout est là, affirma sa cadette.

Leur mère, satisfaite du devoir accompli, reposa son matériel informatique sur l’un des cartons. Elle s’approcha du bras de Binny pour effectuer une vérification en bonne et due forme.

— M’man, je t’ai dit que ce n’était rien. Regarde, je peux déjà le bouger, assura-t-elle, rassurante.

Tamy lui répondit par un sourire avant de lui déposer un baiser sur le front.

— Je vous préviens tous les trois, plus une seule goutte de sang, tonna-t-elle, un sourcil arqué et un doigt inquisiteur dans leur direction.

Dans le but de détendre l’atmosphère ou bien de saisir une nouvelle occasion de se donner en spectacle, Dozik saisit ce qui ressemblait à une pelle en zinc et visa ses sœurs.

— Plus un geste, mécréantes, ou je tire !

Katany fronça les sourcils, agacée par ses idioties, tandis que Binny rit de bon cœur en levant les mains en signe de reddition.

— Ne tirez pas ! Je vous jure que ce n’est pas nous, on peut tout vous expliquer !

— Arrêtez un peu avec vos enfantillages, sérieux, c’est à se demander qui est le plus débile ! grogna Katany.

La cadette de la fratrie peina à cacher un rictus et croisa les bras, l’air renfrogné. Dozik engagea une pirouette des plus ridicules avant de la terminer dans une tour de cartons qui lui tomba dessus. L’aînée eut du mal à ne pas s’effondrer de rire et se contenta de sauter sur son petit frère pour le désarmer, sous le regard désespérément amusé de leur mère.

— Bon, M’man, j’vais à la salle de sport, appelle-moi si tu as besoin d’aide. Ces deux-là me fatiguent, railla-t-elle en s’éclipsant.

— Ok ma chérie, répondit-elle entre deux rires.


EBREDES – DEVANT LE PIROS

Fiora et ses sbires par défaut arrivaient non loin du vaisseau. La sombre Golt avait réfléchi à mille et une façons d’avoir accès à ce tas de ferraille sans faire de vague et avait plusieurs possibilités en tête. Dans un espoir totalement infondé, elle demanda tout de même aux deux autres s’ils y avaient également pensé :

— Je me suis dit qu’on pourrait peut-être faire sauter la porte d’accès principale, proposa Lozy.

Leur patronne souffla d’un désespoir las.

— Laissez tomber, on va le faire à ma manière.

— Et on peut connaître ton plan ? demanda Tiger.

— Ce foutu vaisseau est un concentré de tous les outils dernier cri que l’on peut trouver dans l’univers. Il y a une chiée de détecteurs de température sur sa carcasse. C’est une option intéressante, même si je ne sais pas quelle réaction cela enclenchera. En détectant une variation de température anormale à l'extérieur du Piros, comme une zone de chaleur intense, le système pourrait alerter l’équipage. Peut-être qu’un protocole de vérification pousserait l’un de ses idiots à sortir voir ce qu’il se passe.

Lozy et Tiger lui lancèrent un regard attentif, dans l’attente de la suite. Comme seul argument, elle sortit de sa poche un briquet.

— Je ne pense pas que le détecteur de ce paquebot soit sensible au charme d’une petite flamme de briquet, ma belle, lança Lozy, moqueuse.

— C’est un briquet à l’hydrazine allégée, N₂H₄. La flamme peut facilement atteindre les 3000 degrés. Je pense que cela suffira à bousiller l’un de ses foutus détecteurs.

Un sourire de satisfaction destructrice se forma spontanément sur toutes les lèvres. C’était bien la première fois que ce trio improbable se réjouissait ensemble d’une même action commune.

— Il n’y a plus qu’à… murmura Fiora entre ses dents.

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