TERRE II *** I ***
TERRE II
Une planète portant un numéro n'était jamais bon signe dans l'espace. Cela résultait bien souvent de la colonisation à la suite d'une catastrophe. La tradition voulait qu’on lui attribue le nom de l’ancienne, comme pour honorer la mémoire d’un être cher. Un être dont on refusait d’oublier le visage, la voix, le nom…
On appelait cela la Planétaire postérité.
Terre II avait jadis servi de refuge aux Terriens fuyant la Première Éclipse, la plus terrible de toutes, celle qui avait failli anéantir leur espèce. Nul ne savait aujourd’hui combien d’entre eux erraient encore dans l’immensité de l’univers.
D’apparence froide, la planète offrait pourtant un climat clément, voire agréable, durant les longs étés duranniens. Prolifique en innovations scientifiques, elle accueillait une population d’une rare diversité. On y croisait aussi bien les plus pauvres que les plus riches, les ignorants que les plus grands génies de la Galaxie d’Yzon.
Parmi eux, des scientifiques… Comme Fyguie et Houda, tous deux assis au poste de police, dans une posture pour le moins inconfortable, après une nuit un peu trop mouvementée.
VILLE DE DURIAN - POSTE DE POLICE
Les deux compères oscillaient entre peur et hilarité, ballottés par un déséquilibre émotionnel dû à leur état d’ébriété et à quelques instants de lucidité fugace.
Lors de leur course folle, Houda s’était engouffrée dans un bâtiment en plein travaux. Sans réfléchir, Fyguie l’avait suivie. À l’intérieur, la jeune femme avait trébuché sur du matériel de chantier et, comme un malheur ne vient jamais seul, elle avait entraîné son compagnon d’infortune dans sa chute. Ensemble, ils avaient littéralement traversé le plafond, s’effondrant à l’étage inférieur.
Quand la poussière était retombée, ils s’étaient retrouvés nez à nez avec une bande de Loubards, aussi stupéfaits qu’eux de cette intrusion improbable.
Ils venaient de tomber en plein cœur d’une descente de police, au beau milieu d’un labo clandestin de Pastille de Jouvy—une drogue endémique, aussi dévastatrice que toxique, qui gangrenait les bas-fonds de Terre II. Son succès fulgurant reposait sur des prix défiants toute concurrence, rendant sa traque par les unités spéciales plus ardente que jamais. Et voilà que Fyguie et Houda se retrouvaient au centre de cette lutte acharnée, dans la pire posture possible.
— Merde... Houda... Qu'est-ce qu'on va faire ? babilla-t-il nerveusement.
Elle le regarda plus ou moins dans les yeux, encore bien éméchée.
— On s'en tient à la version d'origine, Fygs.
— Quelle version ? paniqua-t-il.
— La A.
— La A ?
— Ah non ! Le plan A ! cria-t-elle comme si elle venait d'avoir une révélation.
— On a un plan A ?
— Tout le monde a toujours un plan A, Figzounet, assura-t-elle en touchant le nez de Fyguie avec son index.
— Ok. Plan A alors !
La commissaire et son bras droit se tenaient dans un coin de l'open space, les bras croisés, le regard affligé. Ils observaient la scène sans la moindre discrétion, atterrés de voir ces deux-là dans un tel état. Tout le monde pouvait entendre leurs divagations et assister, impuissant, à ce spectacle désolant.
Finalement, la commissaire s'avança vers eux pour engager l'interrogatoire.
— Bon... Mme Monty Houda et M. Fyguie Flokart, c'est bien ça ?
Ils tournèrent la tête dans sa direction comme deux enfants apeurésp pris sur le fait.
— C'est bien ça, M'dame, répondit-elle sur un ton familier.
— Madame la commissaire, rectifia son bras droit d'un ton sec.
— Première question. Qu'est-ce que vous foutiez dans ce laboratoire ?
— Ce n'est pas nous ! précisa Houda sans attendre.
— C'est vrai. Je suis d'accord, acquiesça Fyguie.
— D'accord avec quoi ? Ce n'est pas vous de quoi ? s'agaça la commissaire devant leurs propos incohérents.
Ils haussèrent les épaules, eux-mêmes victimes de leurs propos décousus. L’officier et sa supérieure échangèrent un regard perplexe, avant que cette dernière ne se penche sur un élément crucial pour la suite de l’interrogatoire.
— Vous avez consommé quelque chose ?
— Oui, madame la commissaire ! s'écria le scientifique.
Houda lui asséna immédiatement un coup de coude peu discret dans les côtes.
— Vous venez de le frapper ? s'étonna l'officier.
— Non... démentit Houda faiblement.
Elle s'enfonça dans sa chaise en croisant les bras, comme une petite fille boudeuse.
— Si ! Tu m'as frappé ! s'indigna Fyguie.
— Mais parce que tu ne suis pas le plan !
— Quel plan, bon sang Houda ?
— Le A ! Celui juste avant le B !
— Il consiste en quoi ce plan ? hurla-t-il en agitant ses bras en l'air.
Les deux policiers abandonnèrent. Ces deux-là n'étaient clairement pas en état pour un interrogatoire en bonne et due forme. Ce fut cellule de dégrisement pour la nuit.
— Bon, vous avez gagné, annonça la commissaire avec froideur.
— Ha oui ? On a gagné quoi ? lâcha la jolie rousse, tout excitée.
— Une nuit gratuite dans le merveilleux hôtel du commissariat, reprit l'officier, sur un ton sarcastique.
— Allez, vire-les-moi. Je ne veux plus les voir pour ce soir.
— Ça alors ! C'est bien la première fois de ma vie que je gagne quelque chose ! s'étonna Fyguie, tout sourire.
L'officier souffla un bon coup, exaspéré de voir ces deux imbéciles se comporter ainsi. Milo Kal était un jeune homme à l'apparence dure et carrée, marqué par les exigences de son métier, qui requérait une dévotion sans faille. Une barbe de trois jours ornait son visage, témoignage d'une vie surmenée et d'un célibat endurci, où les matins, rythmés par la précipitation, ne laissaient guère de place aux gestes futiles, comme se raser. Ses cheveux, courts et parsemés de reflets bleutés, trahissaient ses origines rigéliennes. Son regard, intense et presque noir, complétait cette impression de fermeté. Sa veste en faux cuir, d'un marron usé, ainsi que son t-shirt noir simple, témoignaient du manque de moyens de la police de Terre II. Ces vêtements, typiques d'un officier enquêteur, ajoutaient à l'austérité de sa silhouette. Lorsqu'il parvint enfin à bénéficier d'une nuit complète de sommeil, il reprit ses enquêtes avec une volonté inébranlable. Et c'était avec cette même détermination qu'il accompagna les deux compères en cellule de dégrisement.
PIROS - SALLE PRINCIPALE
Kybop suivait le capitaine et ce robot de Sylice. La porte s'ouvrit sur la salle principale, lui permettant de découvrir trois nouveaux visages. Zorth l'accueillit les bras ouverts, mais le regard qu’elle lui porta le dissuada immédiatement de toute tentative de contact physique.
— Bon, nous sommes tous réunis ! Enfin, nous ne sommes pas au complet, mais il ne manque plus grand monde.
L'ancienne mineuse réalisa que la récolte d'inconnus, qui semblaient ne pas savoir ce qu'ils faisaient ici, n'était pas encore terminée. Guitry le rejoignit et lui lança un coup de coude pour attirer son attention sur quelqu'un. Une fille, évidemment.
Ses cheveux, d'un or éclatant, captaient la lumière artificielle de la salle principale. Son teint pâle, presque translucide, contrastait avec la vivacité de ses traits, lui conférant une allure éthérée. Son visage fin et gracieux était souligné par des pommettes saillantes et des lèvres naturellement dessinées. Sa silhouette, à la fois élégante et athlétique, révélait une vie de discipline, tandis que ses gestes, empreints de fluidité, trahissaient une grâce innée. Vêtue d'une combinaison rouge et or sophistiquée et ajustée, elle alliait simplicité et raffinement, éclipsant même les Gudjaniens les plus chics. Sa présence dégageait une noblesse silencieuse.
— Je vous présente la princesse Lilas, du royaume d'Ultya, situé dans la Galaxie du même nom.
Zorth se décala sur le côté pour la laisser s'approcher. Elle était suivie de près par un homme aux cheveux bleus et un autre à la peau ébène. Binny Ristoc se leva et lui adressa un salut de la main, assez brusque. Sylice resta là, immobile, indifférente à la scène qui se déroulait sous ses yeux. Le capitaine Dogast posa sa main sur son ventre, effectuant une révérence maladroite, avant que son regard ne croise enfin celui de Kybop.
Tout comme Sylice, la brune ne bougea pas. Après tout, elle n'était rien pour elle, une princesse d'une galaxie qu'elle ne connaissait même pas. Elle ne lui devait ni plus ni moins de respect qu'à quiconque dans cette pièce. Jamais sensible aux distinctions de rang, lasse de toutes ces politesses, elle décida enfin de prendre les choses en main.
— Que fait une princesse ici ?
— Bonne question ! lança Zorth, l'index pointé en l'air.
Kybop eut presque envie de donner un petit nom à son doigt.
— La princesse est essentielle au bon déroulement de cette mission.
— Ok... la mission Minden du roi Gotbrybe, bla bla bla, répliqua-t-elle d'un ton sarcastique.
— Un peu de respect ! interrompit l’espion aux cheveux bleus. On ne manque pas de respect à la famille royale.
Son visage resta étonnamment calme, malgré la véhémence de sa réplique. L'Eltanienne ne savait pas qui il était, mais elle devina qu'il valait mieux ne pas chercher à le provoquer.
— Pardonnez-moi, j'aimerais terminer les présentations, coupa Zorth. Voici Slikof De Xylis, et M. Kylburt. Ils viennent également de la planète Zoldello, le berceau du royaume d'Ultya.
Le conseiller royal fit un tour rapide des arrivants, mais une question persistait, et la curiosité de Kybop devenait bien trop pressante.
— Zorth, vous avez dit qu'il nous manquait quelqu'un.
— Oui, Kyb a raison. Qui manque-t-il encore ? ajouta Guitry.
Le conseiller royal remit en place le col de son costume violet avant de répondre, l'air un peu réticent. Kybop sentit qu'il n'était pas prêt à tout dévoiler.
— Eh bien, effectivement, il manque encore quelqu'un, admit-il, un peu nerveux.
— Qui ?
— Vous n'aimez donc pas les surprises, Mlle Flokart ?
— Pas vraiment. J'ai eu ma dose ces derniers jours. Et je ne sais toujours pas ce que je fous ici. Ni moi, ni Guitry.
— Oh, allez, je vous l'ai dit, s'amusa-t-il, un sourire jusqu'aux oreilles. Sauver l'univers, vous savez !
Kybop était prête à exploser, une supernova en puissance. Zorth ouvrit la bouche pour répondre, mais l'Adhara se leva soudainement, le coupant dans son élan.
— Cela devrait suffire ! Existe-t-il une mission plus prestigieuse que de sauver l'univers ?
L'enthousiasme de Binny envahit la pièce. Elle était bien la seule à être aussi enjouée ici. Les autres visages restèrent fermés, tendus. Certains acceptaient mieux que d'autres ce qui se tramait à bord de ce vaisseau. Les Ultyens, bien sûr, semblaient les plus à l'aise, puisque les ordres venaient directement de leur dirigeant.
— Je suis ici parce que mon père me l'a ordonné, attesta Lilas, d'un ton sec.
— Et nous étions ici pour assurer la sécurité de la princesse, informa Kylburt d'un ton militaire.
Slikof hocha la tête pour appuyer les dires de son acolyte.
— Le roi Gotbryde est un souverain avisé. Il n’aurait jamais mandaté une telle mission si elle n’était pas d’une importance capitale. C’est notre devoir, en tant qu’habitants de l’espace, de nous consacrer pleinement à cette tâche, précisa-t-il.
Le regard de l'Eltanienne se posa à nouveau sur la princesse d'Ultya et il ne fit aucun doute qu'elle était d'origine royale. Sa posture était impeccable, sa diction parfaite. Elle faisait preuve d’une grande éloquence devant son auditoire : sa voix portait, ses propos étaient clairs. Elle était habituée aux harangues pompeuses et ennuyeuses que l’on entendait dans un château.
— Je vous invite tous à prendre place autour de la table. Une liqueur pourrait certainement apaiser vos préoccupations, proposa le conseiller royal.
Kybop ne comprenait pas tous les mots de sa phrase, mais elle avait entendu "liqueur", et cela suffisait à la persuader de prendre place. Et elle n’était visiblement pas la seule.
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