II
TERRE II - CELLULE DE DEGRISEMENT
Fyguie et Houda viennent de passer la pire nuit de leur vie. Leur corps n'est que douleur. L'effet de l'alcool s'est dissipé, et les stigmates de la veille se sont manifestés comme par magie pendant leur sommeil. L'action anesthésiante de la liqueur de Sabran n'est déjà plus qu'un lointain souvenir. Les yeux rivés sur le plafond, les deux amis sont encore affalés sur leurs matelas de fortune.
— Je vais mourir, Fygs... gémit Houda.
— Ne m'en parle pas...
Il tente un mouvement pour se tourner vers Houda, mais la douleur le stoppe dans son élan.
— Tu crois qu'on s'est cassé quelque chose quand on est tombé ? demande la scientifique.
— Non, je pense qu'on est juste des jeunes vieux qui ont dépassé les bornes...
Ils étouffent un rire, provoquant des torsions de douleur.
— Putain... Le patron ne va pas être content... réalise Houda.
— Tu crois qu'on va avoir des ennuis ? s'inquiète Fyguie.
— Je ne sais pas... On devrait se mettre d'accord sur un plan !
— Un plan A ? propose le jeune homme sur un ton moqueur.
Ils éclatent de rire, se rappelant leur fiasco de la veille.
— On a franchement offert un spectacle navrant... avoue-t-il à demi-mot.
— Je trouve que notre prestation était tout à fait remarquable ! rétorque Houda, persuadée d'avoir raison.
— Oui... Pour des gens ayant bu un semi-remorque d'alcool...
Houda roule sur le côté, se tenant les côtes en riant, quand le bruit d'un loquet qui se déverrouille ravive chez eux la panique de la veille.
— Alors les génies ? Encore vivants ? sonde l'officier en pénétrant dans la pièce.
Aucun ne répond, le regard dans le vide.
— Ha... Ça bouge à peine, mon Commissaire.
Elle entre dans la cellule avec la démarche d'un comédien sur scène, la tête haute et le regard tourné vers l'horizon.
Les forces de police de Terre II sont réputées pour leur tempérament irascible, à bout à cause du manque de moyens et de la multiplication des délits sur leur planète. Tout le monde sait qu'ils ne font pas dans la dentelle, et les habitants en ont peur, se méfiant de leurs allées et venues.
Un proverbe local dit : « Ne frotte pas d'allumette sur un officier, sinon il prendra feu. » En d'autres termes, mieux vaut ne pas les provoquer.
Tous les agents portent une fleur blanche à leur poitrine, symbole de leur incorruptibilité, souvent remise en question par de nombreuses associations de victimes qui accusent les forces de l'ordre de bavures et d'autres bévues pouvant entacher leur prétendue honorabilité. La Commissaire Lofy Birland est connu dans toute la Galaxie pour son intégrité, mais une autre image d'elle est souvent dépeinte dans les articles de presse populaire, la présentant comme une femme froide, antipathique et présomptueuse. Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut lui enlever son élégance et sa beauté. Sa peau caramel, ses cheveux courts et élégamment bouclés, et son visage fin aux traits fermes et féminins dégagent une autorité naturelle. Elle est de celles qui obtiennent ce qu'elles veulent d'un claquement de doigts sec et franc.
— Levez-vous. On doit parler.
Retour à la case départ. Les voilà de nouveau dans les bureaux, et l'humeur n'est plus la même. Ils sont bien conscients qu'ils sont dans de beaux draps, qu'ils ont déconné... Fyguie décide d'entamer les pourparlers.
— Écoutez... C'est un malentendu.
L'officier Milo Kal et la Commissaire sont assis face à eux, les bras croisés. Lorsqu'il parle de malentendu, leurs sourcils se haussent en cœur, l'expression sur leurs visages disant : "Allez, mon grand, on t'écoute, sois convaincant." Le scientifique prend une profonde inspiration, tentant de calmer la pression.
— Nous étions ivres. Ma collègue et moi, et...
— Ivre ? Non, ce n'est pas vrai ! Birland affiche un sourire narquois.
— Oui... Je sais que tout le monde l'a remarqué. Je suis... Enfin, NOUS sommes désolés pour notre comportement.
Fygs jette un regard insistant à Houda, l'invitant à approuver ses propos.
— Oui, vraiment, nous sommes désolés, assure-t-elle, l'air fatigué.
— Qu'est-ce que vous foutiez dans le labo ? interroge la Commissaire, toujours suspicieuse.
— Un accident, un malheureux accident, Mme la Commissaire...
Il essaie de ne pas paraître trop intimidé, mais ses mains tremblent, et son mal de tête n'aide en rien.
— Nous faisions une course ridicule pour rentrer chez nous et avons traversé ce bâtiment.
— Le sol s'est effondré sous nos pieds ! s'écrie Houda en levant la main, comme une élève. C'est pour ça qu'il y avait de la poussière partout. Vous avez bien vu le trou au plafond, non ?
L'officier réprime son agacement en serrant les dents.
— Qui pose les questions ici ?
— Vous !
Ils répondent en cœur, le ventre noué de peur, complètement soumis à l'autorité.
— Bien, on est d'accord sur ce point, reprend d'un air satisfait l'officier Kal. Je ne pense pas m'être présenté. Je suis l'adjoint du Commissaire, Milo Kal. Pendant que vous décuviez comme deux lamentables larves, nous avons fait quelques recherches. Arrêtez-moi si les informations sont incorrectes.
Il sort un dossier du tiroir à sa droite, et le lâche sur le bureau, faisant s'envoler des petits post-it un peu partout.
— Bien. Houda Monty : astrophysicienne. Vingt-cinq ans.
— Vingt-quatre, proteste immédiatement Houda.
L'officier resserre ses doigts sur le papier.
— J'aurai vingt-cinq ans demain... marmonne-t-elle, agacée.
— Bref ! coupe-t-il sèchement. Dutarienne. Originaire de Duta dans la Galaxie D'Yzon. Vous travaillez pour l'ASIPY.
L'Agence Spatiale Inter-Planétaire Yzonnienne. Ce n'était pas la plus prestigieuse des agences de l'espace, certes, mais elle était à l'origine de nombreuses découvertes scientifiques notables : la composition de la matière noire, la stabilisation des trous de ver pour la téléportation, ou encore la création d'une puce psychokinétique. Elle n'avait donc pas à rougir face aux autres agences spatiales à travers les galaxies.
— Ensuite... M. Flokart Fyguie. Physicien. Vous travaillez ensemble. Vingt-cinq ans, originaire de Terre II. Aucun d'entre vous n'est fiché chez nous.
Les deux amis laissent échapper un soupir de soulagement.
— Partons du principe qu'on vous croit, souligne la Commissaire Birland. Je ne veux plus jamais voir vos tronches dans nos bureaux, les génies. Compris ?
Alors que Houda et Fyguie s'excusent dans une atmosphère déjà tendue, une déflagration monumentale secoue soudainement le poste de police. L'explosion retentit comme un rugissement sourd, faisant vibrer les murs et envoyant un souffle violent à travers la pièce. Les vitres se brisent en mille éclats de verre, projetant des morceaux tranchants dans toutes les directions. La lumière vacille, et en un instant, la pièce est plongée dans une obscurité effrayante, déformée par la poussière qui envahit l'air.
Le souffle de l'explosion projette certains des officiers au sol, sous la violence de l'onde de choc. Ceux qui restent debout, tremblants, tentent de se mettre à l'abri au milieu de cette scène chaotique. Des papiers, des dossiers et des objets de bureau sont emportés dans les airs comme une tempête de confettis.
Fyguie, qui s'était instinctivement protégé derrière son bras, retire lentement la main qu'il avait placée comme bouclier devant son visage. Son regard se pose sur le carnage autour de lui. Le poste de police, autrefois ordonné, est désormais sens dessus-dessous : des bureaux renversés, des étagères écroulées sous le poids de la destruction, et des débris éparpillés partout, certains brisés en mille morceaux. Le sol est jonché de morceaux de verre, de métal tordu, et des fragments de meubles.
Le cœur de Fyguie s'emballe tandis qu'il cherche à retrouver son amie.
— Houda ! Tu vas bien ?
Sa voix tremble de nervosité alors qu'il aperçoit Houda qui a basculé de sa chaise sous l'impact. Elle est à genoux, cherchant à se relever, sa silhouette vacillante sous l'effet du choc. Ses yeux sont encore écarquillés par la peur, tout comme lui, elle se demande ce qui se passe.
— Oui... Putain, c'était quoi ça ? bredouille-t-elle, la voix presque inaudible sous l'émotion.
Avant qu'il n'ait le temps de répondre, deux silhouettes se dressent à côté d'eux. Birland et Kal, d'un mouvement rapide, prennent position pour les protéger, formant un bouclier humain entre Houda, Fyguie et la porte dévastée. Leurs corps sont tendus, prêts à réagir à tout instant, l'instinct de survie dominant sur la confusion.
Puis, au milieu de la fumée qui s'élève toujours du sol, deux ombres émergent des cendres comme des spectres fantomatiques. Leur apparition est sinistre, comme si l'explosion n'avait fait qu'ouvrir la voie à leur venue. Elles s'avancent, l'une après l'autre, indifférentes à la destruction qui les entoure.
Les policiers Birland et Kal, toujours devant les scientifiques, les empêchent de voir clairement ces visiteurs inattendus. Cependant, bien que leur vue soit obstruée, ils entendent les paroles du Commissaire. Un souffle, un soupir lourd de malaise, s'échappe d'elle, qui semble reconnaître l'une des silhouettes.
— Manko Krane...
Le nom est prononcé avec gravité, un murmure qui porte en elle une menace voilée. Fyguie, à genoux et encore sous le choc, serre la main de Houda, cherchant une échappatoire dans le chaos total qui les entoure.
PIROS - SALLE PRINCIPALE
Tout le monde se regarde dans le blanc des yeux, entre méfiance et jugement. Zorth et le Capitaine, dans un rôle inattendu, se chargent du service, et bientôt, chaque convive se retrouve avec un verre bien rempli.
Du vin de Giskol ?
Étrange... Je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi il a choisi cet alcool, habituellement réservé aux pactes solennels, ceux que l'on scelle dans l'urgence ou dans l'ombre.
— Bon ! Mes chers amis, Princesse Lilas, dit-il en faisant un geste respectueux de la main. Je lève mon verre à notre rencontre.
Il attend un instant, observant ses convives. Guitry est le premier à se lever, imitant Zorth plus par impatience de s'enivrer gratuitement que par respect. Un sourire en coin, il lève son verre. Suivent Binny, Sylice, Kylburt et Slikof. Il ne reste plus que la Princesse et moi.
Je croise son regard. Un défi tacite s'installe entre nous, un échange silencieux mais lourd de signification. Ses yeux ne quittent pas les miens, comme si elle attendait que je me lève avant elle, comme si, en tant que Princesse, il était de son droit de demeurer assise alors que tout le monde se plie à la règle. Une Reine et ses sujets, comme il se doit.
Soudain, une petite tape derrière ma tête me tire de mes pensées. Guitry, l'air malicieux, vient de briser la guerre d'ego silencieuse entre la Princesse et moi, un claquement net à l'arrière de mon crâne. Je roule des yeux, soupirant, mais je me résigne. Il n'y a plus de place pour la résistance. Une fois debout, la Princesse Lilas se lève à son tour, une expression condescendante qui danse sur ses lèvres.
— Je porte un toast à cette équipe incomplète.
Elle n'a pas besoin d'ajouter davantage. Les verres se lèvent, une vague de cliquetis se répand dans la pièce, suivie d'un silence éphémère alors que chacun se rafraîchit le gosier.
— Demain, destination Terre II, pour récupérer le chaînon manquant, clame Zorth avec enthousiasme.
L'annonce tombe comme un couperet, et dans l'air lourd qui suit, l'ombre d'un avenir incertain plane au-dessus de nous.
VILLE DE DURIAN - POSTE DE POLICE
Le commissariat de Durian, d'ordinaire un lieu de travail ordinaire pour les policiers, semble aujourd'hui méconnaissable. C'est un bâtiment banal, encombré de bureaux, de papiers éparpillés et du brouhaha incessant des affaires en cours. Mais en cet instant précis, l'atmosphère prend une tournure sinistre, presque irréelle. Les murs, déjà fragilisés par l'explosion, tremblent encore sous les échos de rires glacés.
— Qui sont les deux idiots qui ont traversé le plafond de mon labo ?
La voix perce l'air, tranchante, froide et menaçante, saturée de mépris. Les mots résonnent dans l'espace comme une menace inéluctable. Une seconde silhouette, jusqu'alors perdue dans la fumée, émerge de la poussière près de Manko et prend la parole.
— N'ayez pas peur, montrez-vous, mes p'tits lapins ! lance-t-elle d'un ton moqueur et provocateur, ses yeux brillant d'un éclat malicieux.
Les deux femmes semblent se délecter du chaos qu'elles ont créé. Leurs rires emplissent la pièce, transformant l'atmosphère en un étrange spectacle macabre. La plus petite, une blonde éclatante, tient un détonateur dans les mains, un sourire carnassier dessinant ses lèvres sous l'éclat de ses cheveux. À côté d'elle, la plus grande, charismatique, porte un FuzionS45, une arme d'une puissance destructrice capable de tout anéantir sur son passage.
Leurs postures dégagent une assurance déstabilisante, comme si la destruction qu'elles causent et la terreur qu'elles inspirent ne sont que des pièces accessoires dans leur jeu cruel et calculé.
— Merde... Dans quelle merde on s'est fourré ? s'angoisse Fyguie, son regard trahissant un mélange de panique et de confusion. Il ressent la pression s'intensifier, la situation glissant inéluctablement vers une confrontation inévitable.
Annotations
Versions