I
PIROS - SALLE PRINCIPALE
Dans le Piros, le prétendu pot de l'amitié suit son cours sans anicroche. Binny Ristoc, fidèle à sa réputation, enchaîne les godets de vin de Giskol sans la moindre hésitation. Pourtant, l'alcool semble glisser sur elle comme de l'eau sur une tache d'huile. Un exploit que les autres convives peinent à égaler. Guitry, un peu éméché, se laisse aller à une humeur bien plus avenante que d'habitude, relatant avec enthousiasme ses mésaventures avec ce qu'il appelle son « caillou de malheur ». L'Adhara, postée non loin, semble étrangement captivée, suivant ses gestes maladroits d'un regard mêlé d'amusement et de curiosité.
Dans un recoin de la pièce, Sylice guette la scène, immobile et silencieuse, tel un chat mesquin épiant des proies insouciantes. Ses yeux fendus d'une lueur calculatrice laissent deviner un esprit en ébullition. Si elle fomentait un plan pour nous assassiner dans notre sommeil, cela ne m'étonnerait même pas.
De l'autre côté, le Capitaine explique à Kylburt les subtilités de l'équipement dernier cri du vaisseau. Autour d'eux, des boutons clignotent sur des consoles de commande Tucanienne, semblant presque défier leur audace à les activer. Pendant ce temps, Zorth et Slikof trinquent avec entrain. Leur complicité est flagrante, tout comme l'attachement visible de la Princesse, qui reste perchée à leurs côtés, fragile comme un oisillon tombé du nid.
Et moi... j'observe.
L'air de rien, je fais mine de me servir un nouveau verre ou de piocher quelques victuailles tout en tendant l'oreille. Jusqu'à présent, rien de bien digne d'intérêt ne me parvient. Mais alors que je longe Zorth, un éclat de conversation accroche mon attention.
— J'aimerais m'entretenir avec vous seul à seul, Princesse, murmure-t-il, d'une voix à peine audible.
— Très bien. Où et quand ?
Je détourne les yeux à temps, feignant de ne rien entendre, mais mon esprit reste suspendu à cet échange. Lorsque je me retourne, ils ne sont déjà plus là. Slikof, lui, a rejoint le groupe de Binny et Guitry. Il les observe avec l'air grave de celui qui dissèque chaque mouvement sans jamais se laisser aller à un sourire.
La salle bruisse de conversations éparses et de rires étouffés, un ballet distrait où chacun joue son rôle. Personne ne semble prêter attention à moi. L'occasion parfaite pour m'éclipser.
Je quitte la pièce, mes pas résonnant doucement dans les couloirs métalliques du Piros. La lumière dorée de la lune de Cebelle filtre à travers les baies vitrées du pont, projetant sur les parois des reflets ondoyants.
Et c'est là que je les distingue. Deux silhouettes immobiles, postées à l'extrémité du pont vitré, avec l'espace en arrière-plan, vibrant de mille éclats.
Je m'approche doucement, veillant à ne troubler ni leur échange, ni l'harmonie presque sacrée de la scène. Devant moi, l'immensité galactique se déploie : la Lune Jaune et la Nébuleuse de la Rosette semblent danser ensemble, projetant des reflets opalescents sur les parois transparentes.
Ils se font face, leurs figures noyées dans l'obscurité, contrastant avec l'éclat scintillant des étoiles.
— Avez-vous l'Œil avec vous, Lilas ?
La princesse ne répond pas. En silence, elle tend sa main, laissant apparaître la bague.
L'Œil que porte Lilas est un anneau finement forgé dans un métal blanc, poli à l'extrême, surmonté d'une pierre d'un bleu clair, presque translucide, qui laisse passer la lumière. Simple à première vue, l'anneau dégage pourtant une présence énigmatique, comme s'il refermait quelque chose de bien plus grand.
— Voilà qui est parfait, murmure Zorth avec un sourire presque imperceptible.
— Pourquoi mon père tenait-il tant à ce que je l'emporte ? Ce n'est qu'un bijou...
Zorth écarquille les yeux, comme si ses paroles avaient profané un secret ancestral.
— Ce n'est pas un simple bijou, Princesse, dit-il en prenant délicatement sa main. Il appartenait à votre mère, la reine Calyssia, ainsi qu'à toutes celles qui l'ont précédée.
Il énumère leurs noms avec une révérence presque religieuse : Gylia II, Falbila, Saranthe... Une lignée royale qui semble remonter à l'origine des étoiles.
— Très bien, c'est une vieille bague, répond-elle avec une pointe d'agacement.
— Non, Lilas, insiste-t-il. Vous ne comprenez pas. C'est une relique. C'est une clef.
Une pause s'installe, comme s'il cherchait les mots justes pour atteindre la princesse.
— L'Œil est taillé dans une pierre énigmatique, une matière que même les plus grands scientifiques n'ont pu identifier. Cette bague... elle est intimement liée à la Prophétie.
Lilas fronce les sourcils.
— La Prophétie ?
— Celle de l'Équilibre, précise Zorth. Votre père a dû y faire allusion, non ?
Elle hoche la tête, pensive.
— Oui... Je me souviens vaguement...
Zorth relâche sa main et détourne son regard vers l'immensité galactique.
— Votre père appartenait autrefois à une Confrérie. Une organisation secrète qu'il a quittée après la mort de votre mère. Il pensait que son implication était la cause de sa disparition.
Lilas reste silencieuse, absorbée par ces révélations.
— Cette Confrérie... Que faisaient-ils ?
— Je l'ignore, répond Zorth en baissant les yeux. Mais je sais que leur mission avait un lien direct avec la Prophétie. Ces derniers mois, votre père semblait avoir renoué avec eux. Il était... différent. Inquiet.
Il s'interrompt, son ton devenant plus grave.
— Avant notre départ, il m'a confié des noms, des lieux, une destination. Et il m'a dit : "Nous devons sauver l'univers."
Lilas le fixe, son expression oscillant entre fascination et incompréhension.
— Sauver l'univers ?
— Ce sont ses mots, affirme Zorth. Et il m'a demandé de ne rien révéler tant que nous ne serions pas tous réunis à bord du Piros.
Un long silence s'étire entre eux, seulement troublé par l'éclat des étoiles.
— D'accord, murmure-t-elle enfin. Je vous fais confiance, Zorth.
Il incline légèrement la tête, reconnaissant.
Leur conversation dérive ensuite vers des sujets plus légers. Mon esprit, déjà saturé de tout ce que j'ai entendu, se détourne lentement. Avec une ultime observation furtive, je décide de regagner discrètement la salle des festivités.
DURIAN - POSTE DE POLICE
Le chaos règne en maître entre les murs dévastés du commissariat. Houda et Fyguie, perdus au milieu de ce carnage, échangent un regard désespéré, incapables de trouver une issue.
La Commissaire, visiblement furieuse, se tourne vers la femme à la chevelure de feu. Une tension électrique s'installe alors que les mots claquent dans l'air.
— Quel plaisir de vous revoir, Krane.
Sa phrase est arrachée à ses lèvres, ses dents serrées à l'extrême. En réponse, Krane esquisse un sourire carnassier, presque grotesque tant il déforme son visage.
— Plaisir partagé, Commissaire Birland.
— Depuis quand faites-vous exploser des commissariats ? Vous êtes passée au niveau supérieur, à ce que je vois.
— Depuis que vous fouinez dans mes affaires ! hurle Krane, la rage flamboyant dans ses yeux.
Un silence oppressant s'installe. Personne n'ose bouger, tous rivés sur la femme qui l'accompagne, tenant un détonateur fermement dans sa main. Une menace silencieuse, mais claire.
— Où sont les deux abrutis qui ont atterri dans mon labo ?
Houda et Fyguie, tapis au sol parmi les gravats, tentent de disparaître davantage.
— Pourquoi ? Ce ne sont que deux pauvres âmes qui se sont retrouvés là par accident, rétorque sèchement la commissaire.
— Faux ! Ils ont pris quelque chose qui m'appartient.
Le visage d'Houda trahit sa culpabilité. Fyguie la fixe, incrédule.
— Houda... marmonne-t-il entre ses dents.
— Je... Je ne m'en souvenais plus, mais... j'ai pris ça quand on était là-bas, avoue-t-elle à contrecœur, sortant un papier chiffonné de sa poche.
— Tu plaisantes ?! souffle Fyguie, les yeux écarquillés.
— Je ne sais pas ! J'ai vu des formules, et... mon cerveau de scientifique s'est éteint ! Je l'ai pris, voilà ! J'étais bourrée !
Avant qu'elle ne termine, Milo surgit, arrachant le papier de ses mains avec exaspération.
— C'est ça que vous cherchez ? lance-t-il, brandissant le document bien haut.
Les yeux de Krane s'illuminent. Un sourire en coin, elle hausse un sourcil, son expression oscillant entre satisfaction et provocation.
— Je vois que vos idiots sont aussi de petits voleurs...
— On n'aime pas les voleurs, renchérit son acolyte, d'une voix menaçante.
Le binôme de Krane avance à travers les débris, imperturbable.
Grande et élancée, elle porte une tenue qui détonne dans cette scène de violence : un uniforme d'étudiante à carreaux jaunes et noirs, sa jupe trop courte flottant à chaque pas. Ses cheveux blonds, tressés volumineusement sur le côté gauche, contrastent avec l'imposante cicatrice en forme de croix qui orne sa joue droite. Son teint hâlé et ses yeux noisette brillent d'une assurance presque insolente.
Arrivée face à Milo, elle le dévisage avec une lenteur calculée, ses yeux l'étudiant comme un prédateur face à sa proie. Passant sa langue sur ses lèvres, elle arbore un sourire provocateur, défiant toute autorité.
— T'es mignon toi...
Il serre les dents faisant ressortir sa mâchoire saillante. L'Officier Kal lui tend le document, qu'elle récupère accompagnée d'un clin d'œil aguicheur avant de repartir à l'entrée du commissariat. Tout du moins ce qu'il en reste.
— Que je ne vous revois pas traîner autour de mes labos, Commissaire.
— Sinon la prochaine fois... rajoute la jeune femme en uniforme d'écolière.
La blonde effrayante mime l'égorgement avec son doigt tout en tirant la langue. Elles tournent toutes deux les talons sans craindre une action de la part des services de police. C'est dire si cette femme fait sa loi sur Terre II.
Une fois disparues, Milo attrape les deux idiots en question par le col, pour les jeter en cellule à nouveau.
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