I

7 minutes de lecture

PIROS - LABORATOIRE

S'il est bien une chose qui semble infinie, c'est une discussion entre deux scientifiques passionnés. Et c'est précisément ce qui se déroule dans le laboratoire du vaisseau. Sylice et Fyguie échangent sans relâche sur les résultats des examens récents.

— Ça veut dire... que mon sang n'a pas muté ? sonde Fyguie, hésitant.

— Non, votre génome est resté intact grâce à votre manque de mobilité à travers l'espace, répond Sylice d'un ton neutre.

Fyguie sent une pointe de vexation monter en lui, comme si sa sédentarité faisait de lui quelqu'un de moins accompli.

— Pourtant, je suis déjà allé sur Galia... une fois... marmonne-t-il, honteux, en fixant ses pieds.

Sylice esquisse un sourire en coin, amusée par sa susceptibilité.

— Ce n'est pas grave si vous n'avez pas beaucoup voyagé. Personne ici ne vous le reproche. Bien au contraire...

Fyguie, distrait, concentre son attention sur l'éprouvette contenant son sang, sans remarquer que Sylice s'est rapprochée.

— En revanche, il y a autre chose dont je dois vous parler, dit-elle, d'une voix calme mais tendue.

Elle tient deux feuilles entre ses doigts, ses yeux rivés sur les documents d'analyse.

— Qu'est-ce que c'est ? demande Fyguie, en fronçant les sourcils.

— C'est votre ADN... et un autre, explique-t-elle en désignant l'autre document, un éclat d'excitation dans le regard. Regardez, vous ne remarquez rien d'étrange ?

— Quatre-vingt-neuf pour cent identique ? s'écrie-t-il, abasourdi.

Sylice hoche la tête, un sourire satisfait sur les lèvres.

— C'est impossible ! proteste-t-il nerveusement, scrutant les feuilles avec insistance, comme pour y déceler une erreur.

— Si, dans un seul cas exactement, précise-t-elle avec assurance.

— Un clonage ? hasarde-t-il.

Elle secoue la tête, toujours concentrée sur les analyses.

— Non... Des jumeaux, lance-t-elle sans détour.

— Pardon ? ricane-t-il, incrédule.

— Vous avez très bien compris. Des jumeaux, répète Sylice, son ton aussi tranchant qu'un scalpel.

— Mais... il n'y a pas eu de jumeaux dans l'univers depuis des siècles ! réplique-t-il, la voix tremblante. Et même si c'était le cas, ils ne pourraient pas être identiques à 89 % !

— C'est vrai, admet Sylice, toujours imperturbable.

Le scientifique reste silencieux, ses pensées embrouillées par les données devant lui.

— Vous me perdez... murmure-t-il finalement.

— Une jumelle, révèle-t-elle, le regard perçant.

Il écarquille les yeux, choqué.

— C'est impossible. Les jumeaux identiques sont du même sexe. Et s'ils sont de sexes différents, cela entraînerait le syndrome de Turner chez la fille, ce qui ne colle pas ici !

— Vous avez raison. Mais il existe un cas rare : les jumeaux sesquizygotes, semi-identiques, explique-t-elle. Ils partagent 100 % de l'ADN de leur mère, provenant du même ovule, mais une proportion différente du père, due à deux spermatozoïdes distincts. Ici, vous avez 100 % de la mère et 78 % du père, ce qui donne...

— Quatre-vingt-neuf pour cent... complète-t-il à contrecœur. Mais... qui est cette personne ?

Sylice le fixe, impassible.

— Kybop. La fille désagréable avec la cicatrice sur le visage.

Un silence s'installe. Fyguie, secoué, prend un instant pour assimiler cette révélation.

— Elle est au courant ? finit-il par demander, la voix plus grave.

— Non. Pas encore. Je vous laisse le soin de vous en charger, répond-elle froidement en retournant s'asseoir à son bureau.

Fyguie serre les feuilles entre ses mains, son esprit tourmenté. L'idée de devoir affronter Kybop, cette jeune femme austère dont il ne connaît rien, de lui révéler cette vérité aussi improbable qu'inattendue, lui donne des difficultés à tenir sur ses jambes.

Il recule d'un pas et s'assoit lourdement sur la première chaise qui s'offre à lui. Comment trouver les mots pour révéler une telle nouvelle ? Et surtout, comment digérer lui-même cette réalité qui remet en question tout ce qu'il croyait savoir sur lui-même ? C'est-à-dire, pas grand-chose...

La pièce semble soudain plus petite, presque oppressante, et le regard insistant de Sylice n'arrange rien. Fyguie inspire profondément, cherchant à reprendre ses esprits, mais son souffle est court.

Il n'est pas certain d'être prêt à porter cette responsabilité, ni même à accepter la vérité. Pourtant, il sait qu'il n'aura pas le choix.

PIROS - CABINE DE BINNY RISTOC

Dans la cabine sobre de Binny, Guitry se tient debout près de la fenêtre-écran, observant le décor fictif projeté sur le mur. Les chambres du vaisseau sont toutes identiques : fonctionnelles, presque austères, et dépourvues de véritables fenêtres. Les paysages artificiels semblent pourtant vivants, mais cette imitation ne lui paraît pas suffisante.

Pourquoi ne pas simplement installer de vraies fenêtres pour admirer l'immensité de l'espace ?

Finalement, Guitry la rejoint sur le lit, face à cette vue factice qui semble rendre mélancolique la jeune Adhara. Il s'installe à ses côtés, observant le paysage numérique qui défile devant eux. Les montagnes, les forêts, les lunes lointaines...

– Un paysage ? demande-t-il en désignant les écrans d'un coup de menton.

– Oui. Cela me rappelle Adhara, répond-elle doucement.

– C'est comme ça, là-bas ?

– Pas vraiment. C'est bien plus sauvage, réplique-t-elle, son regard se perdant dans les fleurs multicolores.

Elle s'avance, tend la main et effleure le champ de fleurs virtuel, pensive. Puis, comme transportée par ses souvenirs, elle accompagne ses mots de grands gestes enjoués, recréant la scène dans son esprit.

– Ici, il y aurait de grandes montagnes. Pointues, hautes, le sommet envahi d'une neige éternelle. Là ! Des roches grisâtres et acérées à leurs pieds. Par-là, il y aurait une forêt à perte de vue. Verdoyante, sauvage, incontrôlable !

Elle bouge avec vivacité, ce qui ravit Guitry. Il prend plaisir à la regarder s'extasier, comme si elle revivait sa maison devant ses yeux.

– Dans le ciel, on verrait les deux lunes de la Galaxie D'Yzon, trôner comme deux mères protectrices.

Le peuple d'Adhara voue une dévotion sans faille aux deux lunes d'Yzon : Astéria et Phébé, filles du ciel et de la terre. Elles ne sont visibles simultanément que depuis Adhara, tandis que les autres planètes n'en aperçoivent qu'une à la fois. Lorsqu'elles s'alignent, elles projettent une lueur jaune pâle sur le reste de la galaxie. Cependant, la planète maternelle de Binny bénéficie d'un mouvement orbital unique, lui permettant de savourer la douce lumière rouge amarante d'Astéria et le scintillement vert jade de Phébé. Cette vue imprenable sur ces deux astres renforce les croyances de ce peuple superstitieux, comme s'ils détenaient un privilège inestimable : être les seuls dans toute leur galaxie à contempler un tel spectacle astral.

– Tu l'as quittée depuis longtemps ? demande Guitry, sa voix trahissant une pointe d'intérêt.

Elle se mord la lèvre, laissant apparaître ses canines anormalement longues, caractéristiques des Adharas.

– Trop longtemps... murmure-t-elle, son regard toujours perdu dans ce décor artificiel. Mais j'avais bien trop à faire ailleurs.

Cette dernière phrase éveille la curiosité de Guitry.

– Ailleurs ? répète-t-il, intrigué.

Elle secoue la tête, comme pour chasser ses pensées et se recentrer.

– Oublie. Ce n'est pas substantiel. Et toi alors ? Tu viens d'Eltanin, c'est ça ?

Ce changement de sujet le déstabilise. Il a l'impression d'avoir raté quelque chose d'important, mais il finit par accepter cette nouvelle direction de la conversation et répond.

– Oui... Rien de bien intéressant à son propos. Pas de lunes colorées, pas de montagnes majestueuses... Juste un gros caillou... Rempli de cailloux... répond-il en souriant.

Il se remémore tous les moments passés sur cette planète de malheur. Cela le rend mélancolique. Cet endroit l'a vu naître, mais ne le verra pas mourir, et cette idée le soulage. Il se fend d'un plus grand sourire en y pensant.

– Née Eltanin, mort ailleurs, lira-t-on sur ma pierre tombale, pense-t-il.

Binny s'installe auprès de lui sans un mot, et ils se retrouvent tous deux face aux paysages qui ont fait naître cette conversation. Un bavardage sans grand intérêt, réveillant chez chacun quelque chose de plus profond. Des regrets, de la tristesse, des souvenirs, un manque...

Ils restent là, côte à côte, en silence. Emportée par la chaleur de l'instant, Binny laisse tomber sa tête sur l'épaule de Guitry, qui, à son tour, incline sa tête sur la sienne.

– Tu as une idée de ce qu'il se passe ? demande-t-il sur un ton plus sérieux.

– Je n'en suis pas sûre. Mais je veux être là pour le voir.

Guitry esquisse un tendre rictus. Il sait qu'il aurait pu répondre la même chose.

PIROS - COCKPIT

Zorth vire et tourne dans l'étroitesse du cockpit, ses gestes maladroits trahissant une hésitation qui ne lui ressemble pas. Il semble incertain de ses directives, mais s'efforce de maintenir une apparence de confiance, comme pour dissimuler ses doutes aux yeux du capitaine.

– Pourquoi Eredet ? questionne Dogast, visiblement déconcerté.

Zorth s'entortille les doigts, un geste nerveux qu'il n'essaie même pas de masquer. Il est clairement stressé, mais il s'efforce de maintenir un sourire, bien que celui-ci semble plus forcé qu'à l'accoutumée.

– C'est une bonne question, Dogast...

Crylon laisse échapper un rire court, presque moqueur.

– Vous n'en savez rien, hein ? Vous savez, vous avez le droit de ne pas tout savoir, Zorth.

Kydine semble apprécier la sollicitude de Crylon, son visage marquant une légère reconnaissance.

– Je sais, mais... j'aimerais pouvoir éclairer toutes les lanternes qui habitent ce vaisseau. J'ai conscience que beaucoup restent dans l'ombre.

– Moi, tout ce que j'ai besoin de savoir, c'est la destination. Cette information me suffit amplement.

Le Gudjanien lui donne deux petites tapes sur l'épaule, sa main légèrement trop ferme.

– Je dois retourner voir si tout se passe bien. Veuillez m'excuser, Capitaine.

– Très bien. On arrive dans une demi-heure, pour votre information.

Zorth hoche la tête, signe qu'il a bien entendu, mais son regard reste perdu, comme s'il cherchait une réponse ailleurs. Après un instant de silence, il se détourne et disparaît dans les couloirs du Piros.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire A.Gimenez ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0