II
PIROS - CABINE DE KYBOP ET GUITRY
Nous sommes retournées au vaisseau sans encombre mais dans le plus grand silence. De longs échanges ont eu lieu dans la Salle Principale. Nous avons rapporté au reste de l'équipage tout ce que nous avons vu, entendues, ressenti, comme un trophée brandit devant une foule en délire. Je n'aime pas ces effusions. Je me suis rapidement retirée dans ma cabine.
Après une douche apaisante, je me suis mise dans des vêtements confortables et me suis allongée sur le lit. Mon esprit est à la fois plein et vide. Des mots tournent en boucle dans ma tête, comme une petite musique agaçante.
Originels, Portail, Équilibre, Déséquilibre, Divergent, Œil, Golts, Univers, Sang-Rouge...Fyguie... Mon frère jumeau ?
Comment c'est possible ?
Et ma vie me revient à la figure, violente, comme un coup porté dans le plexus, me coupant la respiration, m'arrachant ce qu'il me reste de certitudes.
Pourquoi est-ce que je n'ai aucun souvenir ?
Je fouille dans ma mémoire, je creuse avec désespoir, mais tout ce que je trouve, c'est un abîme silencieux. Aucun visage, aucune voix, rien qui puisse me rappeler qui j'étais avant Eltanin. Juste cette cicatrice, fine et pâle, trace muette du dernier événement marquant de ma vie. Mon seul héritage.
Peut-être que ce sont toutes ces années dans les mines qui ont effacé les fragments de ma vie d'avant. Ces bas-fonds suffocants, emplis de ténèbres et de poussières, ces nuages toxiques qui s'immiscent dans la chair, dans l'esprit, jusqu'à dissoudre tous vos neurones restants. Ces roches saturées de gaz neurotoxique... Peut-être ont-elles rongé ma mémoire, tout comme elles rongent les corps. C'est une pensée froide, presque apaisante, parce qu'elle donne un sens à ce vide. Cela expliquerait bien des choses.
Mais il y a des jours, sombres et amers, où je ne peux m'empêcher de croire qu'il y avait une intention derrière tout cela. Que ceux qui m'ont envoyée là-bas savaient exactement ce qu'ils faisaient. Qu'ils espéraient que je n'en ressorte jamais. Et pourtant, je suis là. Vivante. Emportée dans une épopée qui me dépasse... Cette rencontre avec l'Oracle en est le parfait exemple.
Qu'a dit l'Oracle à Binny ? Où est cette foutue confrérie ?
Il faut que je stoppe le fils de ma pensée...
Soudain, une envie irrésistible de voir la princesse me traverse l'esprit. Dernièrement, ses preuves d'empathie à mon égard m'ont fait du bien et je sais où la trouver. Il est évident qu'elle est là, collée à la vitre du pont, admirant les étoiles.
PIROS - PONT
Je me hâte de la rejoindre et réalise que je commence à la connaître, car elle se trouve exactement à l'endroit où je pensais la trouver.
— Bonjour.
Elle reconnaît ma voix mais ne se retourne pas et continue son observation silencieuse.
— C'était une sacrée journée, n'est-ce pas Mlle Flokart ?
— Oui. C'était... Intéressant... Et inutile à la fois.
Mon ton sarcastique ne lui échappe pas
— Pourquoi inutile ?
— Nous n'avons pas appris grand-chose. J'avoue que quand on m'a parlé d'un Oracle, je m'attendais peut-être à un peu plus. Je pensais qu'il me sortirait nos noms, nos adresses, votre numéro de compte en banque...
Lilas mordille sa lèvre pour retenir un ricanement.
— Vous n'êtes vraiment pas quelqu'un de positif. N'est-ce pas ? lance-t-elle en levant un sourcil.
— Parce que vous l'êtes ? Rétorqué-je, croisant les bras.
— Oui, je pense. Une personne positive ne refuse pas de voir le côté négatif des choses, elle refuse juste de s'attarder dessus, affirme-t-elle en inclinant légèrement la tête.
Son petit ton moralisateur ne m'échappe pas.
— Alors heureusement que je suis là. Sinon, qui s'y attarderait ?
— Mais est-ce bien nécessaire ? demande-t-elle, l'air perplexe.
— L'Oracle a dit : en toute chose, existe son contraire, imité-je grossièrement. Vous êtes positive, je suis négative. Ainsi, nous pouvons exister.
Elle remue la tête avec un certain amusement.
— Vous vous cachez derrière l'humour et le sarcasme pour ne pas montrer votre inquiétude.
— C'est une bonne cachette, finis-je par avouer.
Sa main rencontre la mienne, avec la délicatesse que je lui connais. M'attendant à ce qu'elle me dise quelque chose, je tourne ma tête dans sa direction. Mais rien. Elle demeure silencieuse. Le regard plongé dans l'immensité de l'espace. Alors qu'elle est entièrement absorbée par les objets célestes qui nous entourent, mes yeux s'égarent sur les contours de son visage, révélant une beauté sans égale. C'est comme si je contemplais un trésor caché, un objet précieux que je découvrais pour la première fois. Ses traits sont si parfaitement dessinés que chaque courbe semble avoir été soigneusement sculptée. Ses lèvres, fines et délicates, forment un arc parfait, tandis que ses yeux en amande, d'un noisette très clair, lui confèrent un air félin et une grâce naturelle qui me captive instantanément.
À cet instant précis, la musique agaçante qui tournait en boucle dans ma tête a cessé. Tout a cessé de fonctionner d'ailleurs...
Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Pensé-je en remuant la tête.
DURIAN - COMMISSARIAT
Le Commissaire Birland et son bras droit, Milo, échangent d'une voix tendue.
— Il faut comprendre ce qu'il se passe, rugit Birland, les poings serrés. Cette fille, ce vaisseau, les scientifiques... Krane, Varane. Tout ce chaos !
— Oui, un véritable bordel, approuve Milo en hochant la tête.
L'agacement est palpable. Milo déteste perdre le contrôle, tout comme Birland. Se redressant, il fixe sa collègue.
— On doit consulter les caméras de la ville et demander l'appui du SIS, décrète-t-il. S'ils sont fichés, on les retrouvera.
Le SIS est le Service Intergalactique de Sécurité. L'agence possède tous les moyens biométriques d'identification possible : ADN, Digital, Iris... Si la personne est fichée, ils la trouveront. Lofy acquiesce devant cette proposition et s'empresse de rajouter :
— Et on garde un œil sur Manko et Brizbi. Hors de question qu'elles filent sans qu'on le sache.
L'officier Kal esquisse un sourire crispé.
— Exact. C'est fort probable qu'elles tentent quelque chose...
Une fois cette procédure tacitement conclue entre eux, chacun s'active à sa tâche.
GOLTON II - LES TRESFONDS
Fiora attend avec impatience le rapport de ses deux gorilles, quand Drike montre enfin le bout de son nez.
— Nous avons deux noms et quelques infos, proclame-t-il fièrement.
Sans répondre, elle leur fait comprendre avec un regard assassin de vite déballer ce qu'ils ont.
— Un Capitaine de Vaisseau du nom de Crylon Dogast.
— Et le fidèle conseiller du roi. Zorth Kydine, ajoute Bogz d'un ton peu assuré.
— Encore cette minuscule petite merde ! Ce vaurien est vraiment une plaie... crache Fiora avec fureur.
Bogz et Drike font silence. Ils savent que lorsque Fiora s'énerve, mieux vaut ne pas l'interrompre.
— Continuez ! exige-t-elle d'un ton menaçant.
— La princesse a été évacuée du Palais, annonce Drike en soufflant de désespoir.
— QUOI ?! Où est-elle ?!
Drike a du mal à ne pas tressaillir en l'entendant lui hurler dessus.
— Nous pensons qu'elle est avec Zorth, finit-il par avouer.
Fiora descend les marches dans un silence inquiétant. Elle s'approche lentement des deux frères. Fiora Golt est une femme qui dégage une aura menaçante, comme si une ombre noire la suivait à chacun de ses mouvements. Bien que sa taille soit modeste, elle inspire un danger imminent et une soif de vengeance que l'on ressent jusque dans ses gestes. Son visage est marqué par une colère intense, avec des rides du lion profondément gravées entre ses sourcils, témoins de ses fureurs passées et de son tempérament impitoyable.
Ses cheveux noirs sont plaqués contre son crâne, lisses et brillants, semblant presque se fondre avec sa peau bronzée et métissée. Ce contraste saisissant accentue son regard doré, des yeux perçants et scintillants, comme tous ceux de son peuple, les Golts. Elle ne s'habille que de noir, une couleur qui devient une extension de son être, enveloppant sa silhouette d'une froideur intimidante. Fiora est une force silencieuse, et son allure ne laisse aucune place au doute : elle est dangereuse, et elle est prête à tout. Sa mâchoire est tendue comme le fil bandé d'un arc, prêt à faire mouche. Son visage vient souffler ses mots contre celui de Drike.
— Et depuis quand tu es autorisé à penser, Drike ? articule-t-elle lentement, comme un prédateur prêt à sauter sur sa proie à la moindre erreur.
Il déglutit de peur.
— Nous allons vous confirmer cela, Fiora, tremble Drike en détournant son regard vers le sol.
Elle le fixe sans même cligner des yeux une seule fois.
— C'est ça... Confirmez-moi tout cela, menace-t-elle en abaissant la voix.
La tension redescend.
— Mais je vais venir avec vous cette fois. Plus on est de fous, plus on rit, n'est-ce pas ?
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