BRIZBI VARANE *** III ***
MAISON DE KREST - SALLE DE PIRATAGE
La mission était simple : découvrir où cette femme cachait sa contrebande. Grâce aux coordonnées de son téléphone, j’avais cartographié tous les lieux qu’elle fréquentait. Ses déplacements suivaient un schéma quasi identique chaque semaine, avec des trajets toujours aux mêmes heures. Le lieu le plus plausible pour dissimuler ce genre de chose ? Les docks, le long du port. Il fallait que je partage mes trouvailles avec Krest. Il entra dans la pièce à ce moment précis.
— J’ai quelque chose, annonçai-je.
— Je t’écoute !
Je lui indiquai l’endroit sur la carte avec mon doigt sur l'écran.
— Je pense qu’elle cache tout ici. C’est l’endroit le plus isolé où elle se rend, et souvent de nuit.
Son visage s’éclaira.
— Super, p’tit génie, me dit-il en tapotant sur mon épaule. Reste ici. Attends qu’on revienne, je te donnerai ton argent.
J’attendis là, patiemment, pendant trois bonnes heures. C’était inhabituel que cela prenne autant de temps. L’heure avançait et je craignais que mes parents ne s’inquiètent, alors je lui envoyai un message pour le prévenir, pensant qu’il me paierait la prochaine fois qu’on se croiserait. Je rassemblai mes affaires et partis.
Il était déjà tard, et la nuit tombait sur Zylcon Plage. En longeant le rivage, je sentis cette douce odeur de feu de bois, si familière. Je me réjouissais d’avance de les retrouver tous, partageant un festin sur le sable. Mais la plage était déserte. Intriguée par cette odeur, je levai les yeux et aperçus des flammes qui s’élevaient non loin de chez moi. Mon cœur s’emballa, et je me mis à courir comme si ma vie en dépendait.
MAISON DES VARANE
Une fois arrivée devant la maison, l’inconcevable s’étalait sous mes yeux : mon foyer était en train de brûler. Des flammes dévoraient le toit, léchant les murs, et une fumée dense et épaisse s’échappait des fenêtres. Mon cœur s’arrêta un instant, puis j’entendis des cris à l’intérieur, des hurlements que je reconnus aussitôt.
— CALYSS ! criai-je, ma voix se brisant dans ma gorge.
Sans réfléchir, je me jetai vers la porte, déterminée à faire quelque chose, n’importe quoi, pour les sauver. Même si cela devait m'en coûter la vie. Mais avant même de l’atteindre, une douleur brutale éclata à l’arrière de mon crâne, me coupant dans mon élan. Je tombai au sol, mes membres engourdis et ma tête complètement groggy. En essayant de me relever, j’entendis cette voix glaciale, familière et cruelle.
— Tu pensais m’avoir comme ça, p’tit génie ?
Je levai les yeux, encore hébétée, et distinguai Krest, son regard de prédateur rivé sur moi. Je ne comprenais pas ce qu'il faisait là.
— C’était un piège, cracha-t-il. Aucune contrebande, juste des explosifs ! Tu m’as fait perdre la moitié de mes hommes !
Il se pencha, m’agrippa par les cheveux et approcha son visage du mien. Son regard brûlait de rage, et ses doigts me tiraient douloureusement le cuir chevelu. Il avait soif de sang et de vengeance.
— Tu pensais que tu pouvais me doubler sans en payer le prix ?
— Pourquoi… Pourquoi j’aurais fait ça ? balbutiai-je, terrifiée et impuissante.
Ses doigts se desserrèrent, et il relâcha ma tête d’un geste sec. Mon esprit était embrouillé, mais les cris venant de l’intérieur de la maison perçaient malgré tout, chaque hurlement de ma sœur et de ma famille déchirant mon cœur.
— Tu m’as déçu, p’tit génie, murmura-t-il, son regard implacable. Je croyais qu’on avait un deal…
Sans un mot de plus, il recula d’un pas, sortit son arme et la pointa droit sur moi. Sans aucune sommation, ni même que je n'aie le temps de comprendre ou de réagir, le coup partit.
Puis, plus rien.
QUELQUE PART
Quand je me réveillai, une douleur sourde me tordait la mâchoire. J’étais dans un lieu inconnu, une chambre tout à fait cosy et confortable. En me tournant, je remarquai un miroir. Je me relevai pour entrevoir mon nouveau reflet. La plaie laissée par la balle sur ma joue dessinait une croix nette, un X, comme une marque indélébile. Je touchai ma blessure, tentant d’évaluer la profondeur, quand quelqu’un entra sans frapper.
— Enfin debout ? demanda une voix acide.
Je redressai la tête et distinguai une femme au regard perçant et à la chevelure de feu. Elle ne souriait pas, mais un pli amusé soulignait le coin de ses lèvres.
— Qui êtes-vous ? murmurai-je, prête à me défendre.
— Manko. Manko Krane, annonça-t-elle, avec une assurance froide.
Ce nom frappa mon esprit comme un coup de poing. La femme dont j'avais traqué les déplacements le long des docks. C'était elle.
— Que voulez-vous ? hurlai-je, mes mots déchirés par la douleur.
Elle avança lentement, caressant le mur du bout de l’index en formant de petites vaguelettes.
— Oh, tu sais, tu as vraiment été une petite maline, murmura-t-elle avec un sourire feint. Mais j'avais plus malin que toi de mon côté. Grudor a immédiatement remarqué que mon portable était surveillé. On a laissé Zidur se précipiter droit dans le piège.
Les pièces s’imbriquèrent dans mon esprit, malgré la douleur, malgré l’épuisement.
— Vous saviez… Vous saviez que j'avais géolocalisé votre cachette ? finis-je par lâcher dans un souffle.
— Bien sûr. Et tu avais vu juste, tout était là. Tu es sacrément douée, fit-elle, haussant un sourcil avec une reconnaissance perverse. On a tout déménagé avant de s’installer pour attendre Zidur. Et toi, ajouta-t-elle avec un éclat de satisfaction cruelle dans les yeux, tu as fait exactement ce qu’il fallait pour nous livrer cet idiot.
— Vous avez tué ma famille ! m’emportai-je, mes poings serrés de rage.
Sans réfléchir, je me jetai vers elle. Manko réagit d'un geste rapide, sortant une arme qu’elle pointa sur moi, l’acier froid à quelques centimètres de mon visage.
— Du calme, ma belle. Je n’ai tué personne. Seulement les hommes de Zidur. C’est lui qui, sous le coup de l’émotion, a fait ses propres déductions, t'accusant de traîtrise.
Elle abaissa l’arme sans me quitter des yeux, sa voix tombant dans un ton presque désolé, mais étrangement déconnecté.
— Je n’ai rien à voir avec l’incendie de ta maison. Ce n’est pas moi qui ai craqué l’allumette. Je suis même désolée pour toi, conclut-elle, s’avançant, tandis que je m’effondrais, brisée. Quand j’ai compris que Zidur avait commis une erreur, j’ai pris soin de te ramener ici.
Je tombai à genoux, le souffle coupé, mon cœur en ruines. Krane se pencha, une main froide se posa sur ma joue blessée, chaque mot de sa bouche s’infiltrant en moi comme un poison.
— Regarde-toi, tu n’as plus rien, murmura-t-elle d’une voix douce, presque tendre. Ton père, ta mère, ta sœur, ton frère... Ta maison, ta vie… Elle énumérait chaque perte avec une précision impitoyable, ses doigts me maintenant dans ce cauchemar. Tu es vide, ma belle. Tu es devenue inatteignable, indestructible.
Je ne répondis rien, mon esprit englué dans sa voix envoûtante. Sa main glissa sur mon épaule, et son sourire se fit plus intense, presque chaleureux.
— Viens avec moi, sur Terre II, proposa-t-elle avec une douceur trompeuse. Avec ton intelligence et… Elle effleura du regard la plaie sur ma joue, ta force, on pourrait faire de grandes choses, toi et moi.
Manko Krane souriait toujours, son visage illuminé par une fierté dévorante, presque maternelle.
— Ne t’inquiète pas, tu t’y feras, me souffla-t-elle. Tu es exactement là où tu devais être.
Les mots résonnèrent en moi, comme si cette femme était en train de donner un nouveau sens à ma vie.
PIROS - CABINE D'HOUDA
Houda n'eut plus le regard dans le vide. Le récit de Brizbi la happa, et elle y reconnut sa propre douleur dans le son passé terrifiant.
— Et tu l’as suivie, bien entendu, sinon tu ne serais pas ici, dit-elle, la voix teintée d’une empathie profonde.
— Oui, j’étais brisée, avoua Brizbi, un air coupable sur le visage. Je n’avais plus rien à quoi me raccrocher. Elle était la seule branche à laquelle je pouvais me tenir dans cette tempête. Toute ma famille est partie, emportée par les flammes et tout cela par ma faute. Qu’est-ce que j’aurais dû faire ?
Brizbi, tenant toujours les mains d’Houda dans les siennes, joua nerveusement avec ses doigts.
— Je n’étais pas en mesure de prendre de nouvelles décisions. Krane m’offrait une échappatoire, une situation clé en main. Il me suffisait de la suivre, de me plier à ses directives, sans craindre de perdre quoi que ce soit, puisque, de toute façon, je n’avais plus rien à perdre.
Brizbi, avec une franchise troublante, parla de ce vide qui façonna son existence, et étrangement, cela ne la rendit pas malheureuse. Elle repensa aux mots de Krane : tu es exactement là où tu devais être. Et c'était ce qu'elle pensait aujourd'hui, auprès d’Houda.
— Chaque jour, je me regarde dans le miroir, et je vois cette croix sur ma joue. C’est comme une tache indésirable qu’on barre sur une feuille, une erreur, une rature... Mais je suis là, avec toi, à retrouver foi en quelque chose. Je reprends le risque de perdre à nouveau quelqu’un qui m’est cher. Je sais que cela peut sembler prématuré. Mais comme je te l’ai dit, tu iras mieux. Tu n’oublieras jamais, mais tu iras mieux. Et je serai là pour toi.
Les yeux d'Houda s'animèrent d'une lueur d'espoir, même si ses lèvres tremblèrent.
— Merci…
Houda fondit en larmes dans les bras de Brizbi qui n’attendait que ça, touchée par la confiance qu'elle lui accorda.
— Je resterai là autant de temps que tu en as besoin, murmura Brizbi, la voix douce comme une caresse, à l’oreille d’Houda. Je ne partirai pas.
— Promis ?
Un frisson transperça l’échine de Brizbi, la voix de son père résonnant dans son esprit, lui posant la même question des années plus tôt. Elle réalisa alors à quel point il avait raison de la mettre en garde. Elle se dit que dans la mémoire réside la clé : se souvenir des moments importants où l’on a pris de mauvaises décisions, pour éviter de les reproduire. Brizbi savait qu’aujourd’hui, il n’y aurait pas de fausses promesses, parce qu'elle se souvenait et se souviendrait toujours de l'odeur de la fumée consumant sa famille.
— Promis, dit-elle avec conviction, son regard ancré dans celui d’Houda.
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