EPILOGUE *** I ***

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GALAXIE D’ELSO – PLANETE WADI – SIHAA – CENTRE DE SOIN SINA

Les mains jointes, la tête posée sur ses paumes, Kybop n’arrivait pas à détacher ses yeux de la capsule Cryostaseuse. Une symphonie de bips et de bruits électroniques accompagnait ses doutes. Lilas était à l’intérieur, plongée dans un état de pause. La princesse, les cheveux détachés, flottait silencieusement dans le module. Malgré la pâleur due à son état critique, sa beauté demeurait inégalée. La cicatrice imposante qui marquait sa gorge ne faisait que rappeler à l’Eltanienne la violence de l’attaque qu’ils avaient subie. Elle s’en voulait d’avoir laissé leur dernier échange être si froid. Elle n’avait pas su maîtriser sa colère, et Lilas en avait été la cible, sans autre choix que de l'absorber. Mais depuis qu’elle veillait à son chevet chaque jour, Kybop s’était fait une promesse : au moment où elle ouvrirait les yeux, ce serait son visage qu’elle verrait en premier.

Après l’assaut du Piros, Dogast avait posé le vaisseau sur cette planète, non loin de Kapu. D’apparence désertique, la sécheresse régnait partout. Sa surface, composée principalement de basalte noir et de sable, ne laissait présager aucune civilisation… et pourtant. À peine le train d'atterrissage avait effleuré le sol qu’un comité d’accueil nous avait pris en charge. De vieilles connaissances du capitaine. Une aubaine.

Ils nous avaient déroulé le tapis rouge, portant les premiers soins à ceux qui en avaient le plus besoin. C’est ainsi que Lilas s’était retrouvé enfermé dans cette boîte conçue par le Dispositif Lazare, une référence en matière de médecine d’urgence. Qui aurait cru qu’un tel équipement serait disponible ici, aussi loin d’Hasture ?

À notre grande surprise, cette planète, Wadi, n’était pas aussi inhospitalière qu’elle en avait l’air. Recouverte à 90 % de sable et de pierre sombre, elle abritait çà et là de petites oasis de vie, souvent protégés par d’imposantes chaînes de montagnes. Ils les appelaient : les vallées de l’Espoir. Il y en avait cinq : Hubb, Sa'ada, Najah, Sihaa et Amal. Kybop, Lilas, Dogast et Katany se trouvaient au cœur de l’une d’elle : Sihaa.

Cette citadelle, aux allures de village, s’étendait en un enchevêtrement de grandes rues désordonnées, couvertes d’un sable poudreux et rougeâtre qui tourbillonnait au gré du vent. La plupart des habitants de la vallée étaient drapés de grands châles colorés. La couleur, voilà ce qui définissait réellement cet endroit. Les maisons, faites de briques, allaient du noir profond au rose tendre. Les Sihaates utilisaient toutes les pierres que leur offraient les environs, conférant à leur cité une palette aussi éclatante qu’inattendue.

C’était ici qu’ils étaient depuis bientôt un mois.

SIHAA – MAISON DE SAYF

Dogast avait été ravi de retrouver son vieil ami. Lorsque les choses avaient mal tourné, il avait été le premier auquel il avait pensé. D’abord par souci de praticité, car il se trouvait non loin de leur destination, tout comme Ebredes, mais aussi parce qu’il savait que Sayf Darwan ferait tout son possible pour les remettre sur pied. Les deux hommes se connaissaient depuis longtemps, ayant fait leurs premières armes dans les rangs des pilotes de Duta. Un lien s’était forgé dès les premières semaines de service. Tous deux, originaires d’horizons lointains, étaient de véritables bout-en-train : les premiers à commettre des bêtises et les derniers à obéir sans broncher. Deux électrons libres dans une institution aussi rigide qu’un bloc de quartz.

Le capitaine n’aurait jamais cru le revoir un jour, et encore moins autour d’un verre de leur boisson préférée : un whisky du Sextant.

— Comment va la p’tite ? demanda Sayf.

— Laquelle ?

Dogast faisait tourner les glaçons de son verre, observant avec envie le liquide brun, presque caramel.

— Celle qui flotte.

— Elle flotte toujours… regretta-t-il en sifflant son verre.

— Et la ronchonne ?

Un rire fit dévier l’alcool dans la gorge serrée de Dogast, qui manqua de s’étouffer.

— Katany n’est pas ronchonne. Elle a l’esprit critique.

Sayf lui sourit, semblant détecter une affection particulière de son ami pour la jeune fille.

— Et sa prothèse Synteks ? Elle s’en sort ?

— Elle s’entraîne. C’est une bête de travail. Elle ne sait pas s’arrêter. Mais bon, je pense qu’elle cherche surtout à oublier la perte de sa mère…

— Pauvre gamine…

Les deux hommes trinquèrent une fois de plus, puis le capitaine proposa un cigarillo à Sayf, qui accepta avec joie. Il en saisit un entre ses doigts et l’inspecta avec une pointe de nostalgie.

— Ce bon vieux bâton d’la joie… Je nous revois à l’aérogare de Duta… Soufflant notre nuage de vanille pour impressionner les jeunes demoiselles.

— Ça n’a jamais fonctionné, rit Dogast.

— Tu parles, on puait le tabac plus que la fleur tropicale.

Le bruit du tabac qui se consume coupa l’anecdote.

— Et maintenant ? Vous allez faire quoi avec tout ce bordel ? questionna Sayf.

— On attend. Zorth nous dira quoi faire.

NAJAH – SALLE D’ETUDE – UNIVERSITE ALHAZEN

La Vallée de Najah était le berceau du savoir de cette planète. Les écoles et universités y pullulaient comme des mauvaises herbes. Ses habitants, les Najhatis, évoluaient entre les bâtiments, les bras chargés de livres. Les uniformes étaient de rigueur, chaque établissement affichant fièrement ses couleurs. Ici, l’ambiance était feutrée, une immense bibliothèque à ciel ouvert où le silence régnait en maître. Aucun bar, aucun fêtard—un havre de quiétude idéal pour les chercheurs.

Sylice, Fyguie et Houda y avaient trouvé refuge dès leur arrivée. Ils ne pouvaient rêver mieux : le matériel et les ressources mises à leur disposition dépassaient leurs espérances. Lors de l'attaque, Sylice et Houda avaient mené un tout autre combat dans le laboratoire.

Leur course contre la montre pour élucider le mystère de la fusion de la relique avec le doigt de Tyra n’avait pas abouti. Du moins, pas sur le plan scientifique. Cependant, à la suite du décès du prince Hyldon, l’impensable s’était produit : l’œil s’était défusionné, libérant enfin Tyra de ce fardeau. Le deuil d’une épouse et d’une fille les avait finalement réunies.

Une nuit, elles avaient partagé des souvenirs de moments tendres, évoquant, bien entendu, les nombreuses maladresses d’Hyldon. Lors d’un rire sincère échangé, la relique s’était illuminée d’une nouvelle lueur, avant de se désolidariser du doigt de la princesse, comme par enchantement. Saranthia avait compris : l’anneau était intimement lié à leurs sentiments. L'événement qui s'était déroulé lors de sa propre crise de colère, sur le pont du Piros, lui revint soudain en mémoire. Milo avait raison, l'anneau réagissait à leurs émotions.

Cette résolution, fondée sur de simples états d’âmes, n’avait pas vraiment satisfait Sylice, qui n’en démordait pas : il doit forcément y avoir une explication rationnelle ! Houda avait pourtant bien tenté de lui dire qu’on ne pouvait pas tout résoudre avec des équations et des calculs, mais l’Hasturienne ne voulait pas entendre raison. Elle avait poursuivi ses recherches sans relâche, s’enfonçant dans l’immense toile d’Akasha, le moteur de recherche aussi ancien que l’humanité. C’est ainsi qu’une amitié s’était tissée entre elle et Houda. Les deux jeunes femmes fouillaient les écrits qu’elles avaient trouvés sur ce journal étrange, découvert lors de l’assaut. La signature était toujours la même : N.R., Kapu, suivie de la date. Le site regorgeait d’un nombre impressionnant de photos de la planète, ainsi qu’une multitude de textes et rapports. Mais impossible d’en connaître le propriétaire, ni de comprendre pourquoi il répertoriait toutes ces informations.

— Ce type, ou cette femme, a vraiment passé tout son temps sur Kapu. Un véritable ermite, souffla Houda.

Elle s’étira longuement, les bras tendus, toujours assise sur sa chaise, engourdie par de longues heures passées devant l’écran.

— Que cette personne répertorie des infos, soit. Mais la vraie question, c’est pourquoi.

— Un scientifique ? Ou simplement un explorateur ? Cette planète n’est pas très connue, peut-être qu’elle regorge de ressources ou d’autres éléments de valeur qui pourraient faire le bonheur d’un riche promoteur minier.

— Quand on regarde l’ensemble du site, toutes ces informations ont été récoltées sur plus de vingt-cinq ans. S’il faisait ça pour le compte de quelqu’un… pourquoi pendant aussi longtemps ? Il se serait résigné depuis des lustres.

Houda inspira profondément en haussant les épaules.

— Binny, quand elle était la porteuse de lanterne, elle voguait à travers l’univers avec un but précis. Mais lui… il ne bouge pas. Ce qu’il cherche semble être sur Kapu.

— Peut-être est-ce un Sang-Rouge ou un partisan de la prophétie de l’équilibre, qui cherche le portail. Comme nous, supposa la rousse.

— Eh bien, ça promet… S’il ne l’a pas trouvé après plus de vingt ans de recherches… comment allons-nous faire ?

Au même moment, Fyguie fit une entrée fracassante en chutant lourdement. Le jeune homme, visiblement peu conscient de ses propres limites physiques, venait de succomber sous le poids de la pile de livres qu’il portait. Les deux spectatrices échangèrent un regard amusé, tentant tant bien que mal de dissimuler leurs rires.

— Hey ho ! Aidez-moi au lieu de vous moquer ! protesta-t-il en se redressant tant bien que mal.

Elles s’empressèrent de lui porter secours. Houda ramassa les livres éparpillés tandis que Sylice l’aida à se relever, avant de déposer un doux baiser sur ses lèvres.

— Tu sais, tu pourrais faire plusieurs voyages au lieu de risquer ta vie pour la science, plaisanta sa petite amie.

Le regard plus niais que jamais, il acquiesça doucement.

— Beurk, asséna la jolie rousse en grimaçant. Je vais rendre, vos mielleries me tuent.

Le couple l’attrapa par le cou, chacun se plaçant d’un côté de la jeune femme pour la maintenir en otage entre eux.

— Et toi alors ? Ta moitié, elle est où ? questionna Sylice avec malice.

— Sûrement à un endroit que j’ignore… encore, grogna-t-elle, visiblement agacée.

AMAL – TEMPLE RIDWAN

Dozik passait le plus clair de son temps à prier. Depuis son arrivée dans la Vallée, avec Slikof et sa sœur, il s'était découvert une foi ardente. Il admirait les valeurs partagées par les différents peuples de cette planète et en avait adopté les préceptes en un rien de temps. Certainement guidé par le deuil de sa mère, il n'avait rien trouvé d'autre à quoi se raccrocher pour ne pas sombrer.

La Vallée d’Amal était la plus petite. Ici, la foi régnait en maître. Les Amalites se rassemblaient autour du partage de la bonne parole et étaient missionnés pour voyager, répandre leur croyance sur Wadi et dans les planètes environnantes. Le précepte fondamental de cette planète était le partage, une valeur essentielle depuis la fondation de leur civilisation. Construite autour de cinq petites communautés, Wadi avait dû compter sur la coopération pour assurer sa survie.

Chaque recoin de vie possédait ses propres ressources. Tandis que la vallée de Hubb regorgeait de fruits, Najah détenait le savoir, Sihaa apportait les soins et Sa’ada offrait la stabilité. Amal était le lien qui unissait l’ensemble, répandant des messages de paix et un esprit de conciliation qui, bien souvent, permettait de rendre justice. Chaque force contribuait à l’unité de cette planète, formant un équilibre inébranlable. L’entente était primordiale pour que Wadi subsiste, et cette idée séduisait la jeune tête rose.

Assis sur le banc en bois du temple Ridwan, il serrait entre ses doigts une petite statuette en bois, représentant un ratel à tête d’oiseau. Cette fusion des deux animaux ressemblait à une chimère, tout droit sortie d’un livre pour enfants. Et pourtant, elle était l’heureuse représentante de leur foi. Elle incarnait l’histoire tirée de leur saint texte : celle d’un oiseau qui guidait le ratel vers les ruches de miel. En retour, lorsque celui-ci parvenait à la trouver, il la brisait pour se nourrir du précieux liquide et des larves, tandis que l’oiseau profitait des restes.

Ce système de partage permettait aux deux espèces d’accéder à une nourriture qu’elles auraient eu du mal à obtenir seules. C’était un bel exemple de coopération dans la nature, où chacun trouvait son intérêt.

Dozik laissa perler une goutte de tristesse le long de sa joue, repensant encore et encore à la dernière image de sa mère dans la capsule, quelques secondes avant qu’elle ne se désintègre. Une femme souriante, leur offrant une expression rassurante alors qu’elle se savait perdue. Il lui vouait une véritable admiration et un amour infini. La larme finit sa course sur la commissure de ses lèvres, dessinant un léger sourire. Le souvenir était douloureux, mais le visage de sa mère lui arrachait toujours un rictus doux-amer. Dozik aimait le fait qu’il se souvienne encore parfaitement de ses traits. Il renifla et essuya sa joue de la longue manche beige de sa robe traditionnelle des Amalites, qu’il portait fièrement.

Un homme interrompit sa soliture :

— Bonjour Dozik. Tu penses encore à ta mère ?

— Oui, comme toujours Rami…

Rami Al-Nour lui sourit avant de s’installer à ses côtés. L’homme, âgé d’une cinquantaine d’années, était un Lieur de renom dans la Vallée. Il avait accompli de nombreuses missions à travers l’univers et avait propagé le message du ratel à tête d’oiseau avec succès. Son temps de missionnaire était révolu, et il officiait désormais au sein des temples de la planète.

Son regard était d’une tendresse infinie. Les ridules autour de ses yeux et au coin de ses lèvres trahissaient une vie entière marquée par les éclats de rire. Il portait la robe des Lieurs les plus expérimentés, d’un pâle violet, accompagnée d’une ceinture dorée. Sa peau couleur sable faisait ressortir le vert de ses yeux et ses cheveux poivre et sel, qu’il avait tressés avec une élégance certaine.

— J’ai croisé ta sœur hier soir.

— Ah… Tu as bien de la chance. C’est à croire qu’elle a oublié que j’existe.

— Ne dis pas ça, rit Rami. Elle fait son deuil, comme toi.

— Non, pas comme moi, se renfrogna le jeune homme.

— Vous vous retrouverez. Laisse-lui du temps.

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