XXIe siècle - New-York - Scène I
Ce fut l'appel de son nom qui le réveilla. Instantanément. Son nom ! Et il se retrouva, en pleine panique, dressé sur un lit, les yeux écarquillés et le dos couvert de sueur froide.
Merde ! SON NOM !
D'ailleurs, on le répéta, comme pour être sûr qu'il l'avait bien entendu.
« M. Valjean ! Il est huit heures ! »
Il respirait fort, haletant presque. Il devait se reprendre, se calmer. Trouver une faille, une possibilité de fuir.
D'ailleurs, où était-il ?
Il regardait partout, examinant les lieux et désespérant de ne pas les reconnaître. Une chambre. Simple. Des rideaux épais devant les fenêtres atténuaient la lumière.
Où était-il ?
Qui l'avait amené là ?
La police ?
Il n'était pas menotté ! Il n'était pas enchaîné !
Ce n'était pas la police.
Il respira plus lentement, restaurant son calme. Se reprenant peu à peu...
Cette chambre était simple, un lit, un tapis épais, une table de chevet. Peu de choses à noter. Sur la table de chevet se trouvaient un livre épais qu'il identifia aussitôt comme une Bible, une paire de lunettes, un chapelet avec des perles de jais noirs.
Son chapelet !
Donc il était venu sciemment ?
Précautionneusement, il se leva. Posant ses pieds sur le sol, surpris par l'épaisseur du tapis. Riche. Il était dans une auberge de très bonne qualité, manifestement, vue la propreté de la literie, des lieux et l'épaisseur du tapis.
Il remarqua, posée sur une table contre un mur, une valise. Il s'en approcha et l'ouvrit. Dedans il y avait des vêtements de bonne coupe. Ils paraissaient adaptés à sa taille et à ses épaules si massives.
Sa valise ? Ses habits ?
Mais que diable faisait-il ici ?
Étourdi, Jean Valjean retourna s'asseoir sur le lit. Ce n'était pas la police qui l'avait amené là. On l'aurait jeté dans une cellule avec force coups de matraque. Ce devait être Cosette et Marius. Mais pourquoi ? Où étaient-ils ? L'avait-on déposé dans un hôtel de luxe pour soulager une conscience ?
Oui, il était le papa de Cosette mais pas au point de vivre chez les Pontmercy. C'était cela ?
Mais pourtant...pourtant, Valjean se souvenait si bien. Il n'allait pas bien. Il se mourait. Il le savait, il l'avait senti et les prières de Cosette résonnaient encore dans son esprit, ses larmes brûlaient encore ses mains. Lui demandant de vivre, lui interdisant de mourir.
Il était mort ? Non ?
Valjean ne comprenait rien mais une chose était certaine pour l'ancien forçat : il devait partir d'ici. Ce lieu dans lequel on connaissait son vrai nom était dangereux pour lui. Le salut était dans la fuite avant que...quoi que ce soit se passe.
Une lumière filtrait à-travers les rideaux, suffisante pour lui permettre de s'habiller. Il n'avait pas trouvé de chandelles ou de briquet pour s'éclairer.
Il ne lui fallut pas longtemps pour se retrouver correctement vêtu et coiffé. Il découvrit tout à coup un miroir derrière une sorte de paravent de bois accroché au mur. Un étrange miroir en verre noir dans lequel il se voyait comme un fantôme.
Un miroir en jais ?
Il se trouva acceptable et se décida à partir.
Il saisit la poignée de la porte et, respirant un grand coup, sortit de la chambre, prêt à tout...sauf à rien... Valjean se retrouva dans un large couloir, avec plusieurs portes de chambres. Un grand hôtel vraiment.
Il nota le numéro de sa chambre, la 117.
Marchant à pas comptés, Valjean avança dans le couloir, ne rencontrant pas âme qui vive. Avec un peu de chance, il découvrirait une porte de sortie et fuirait les lieux sans problème. Un escalier apparut enfin et Valjean le descendit avec empressement.
Ce fut plus angoissant dans le hall d'accueil de l'hôtel.
Un gigantesque hall de verre et de lumière, magnifique et coloré l'éblouit. Il resta estomaqué quelques minutes à examiner tout. Les lampadaires brillant intensément, les murs couverts de peintures étincelantes, le sol fait d'un marbre veiné de la meilleure qualité.
Marius et Cosette avaient installé Valjean dans la meilleure auberge de Paris...voire du monde...
Et un homme l'interpella, le faisant sursauter. Un jeune homme, souriant de façon professionnelle, un employé de l'hôtel sans nul doute.
« M. Valjean ! Vous voilà enfin ! J'allais remonter vous chercher ! »
L'homme avait un accent assez prononcé. Anglais ? Valjean était livide, cherchant à se reprendre. L'employé fronça les sourcils, inquiet tout à coup.
« Vous allez bien, monsieur ? Je savais que la climatisation était trop forte ! Voulez-vous un analgésique ? »
L'homme s'inquiétait, s'approchant encore de lui. Valjean cherchait quoi dire, il ne comprenait pas tout ce qu'on lui disait.
« Non, merci. Je vais bien. »
Valjean grimaça intérieurement en entendant sa voix, rauque et incertaine. Cela ne rassura pas l'employé. Évidemment. Il allait devoir faire mieux.
« Vous me semblez fatigué, monsieur. Je vous l'avais dit que vous n'étiez pas raisonnable, hier soir.
- Hier soir ? »
Valjean savait qu'il allait passer pour un fou mais il devait savoir. Sa question fit rire le jeune homme.
« M. Valjean ! Voyons ! Allez suivez-moi ! Nous vous avons prévu un petit-déjeuner continental ! »
Le jeune homme se mit à marcher, Valjean se colla à ses talons, bien obligé. Il ne pouvait pas espérer fuir alors qu'il y avait des témoins.
Car il y avait des témoins maintenant. Des employés, hommes, femmes, travaillaient ici ou là. On nettoyait, on portait des valises, on entraînait des clients. Valjean en vit plusieurs qui regardaient avec attention une petite boîte noire. Un miroir de poche certainement.
Valjean songea à son aspect négligé et baissa la tête.
Le jeune employé le mena jusqu'à une salle, vaste et fastueuse, où plusieurs tables se trouvaient. Des personnes prenaient leur petit-déjeuner. Et pour la première fois, Valjean les entendit parler de près.
En fait, ils ne parlaient pas français mais anglais. Tous ! Un anglais difficile à suivre. Même pour M. Madeleine habitué à traiter avec les marchands britanniques. Peut-être des Américains ? Mais alors où était-il ? Cosette et Marius l'avaient-ils envoyé aux États-Unis ?
Non... Impossible ! Il n'aurait pas dormi pendant trois mois. Le trajet à-travers l'Océan Atlantique était si long... Pour l'Angleterre, c'était plus court mais il s'en souviendrait ! Tout de même ! Peut-être était-il devenu fou ?
Le jeune homme le contemplait avec compassion en lui servant une tasse de thé, bien chaude et en déposant des tranches de pain beurré devant lui.
« Vous avez trop travaillé hier soir, M. Valjean ! Vous êtes rentré à minuit ! J'espère que ce soir, vous serez plus raisonnable ! Ils peuvent survivre sans vous !
- Qui ?, osa demander Valjean, saisissant avec précaution un morceau de pain. S'attendant à ce qu'on l'arrête en le traitant de voleur.
- M. Valjean !, opposa l'employé en riant. Votre secrétaire ne nous avait pas prévenu que vous étiez si amusant. Avez-vous votre mallette ?
- Ma mallette ?, » répéta Valjean, sans comprendre.
Le jeune homme secoua la tête, riant toujours et, se mettant tout à coup à parler anglais, il appela une des employées. Celle-ci hocha la tête et disparut en faisant de grandes enjambées.
« Karen va vous amener votre mallette, ainsi lorsque le taxi sera là, vous pourrez partir. Vous avez à peine le temps, M. Valjean, la conférence est à neuf heures et demie. Et avec ces embouteillages... »
La conférence ? Le taxi ? La mallette ? Les embouteillages ? Valjean aurait voulu répéter chaque mot ou quasiment mais il n'osa pas. Il passait déjà assez pour un insensé.
Valjean mâchonna lentement son pain. Surpris de ne plus sentir de douleurs au-niveau de ses dents. Il avait toujours eu une dentition douloureuse, un cadeau de Toulon et de toutes ces années passées sans soins dentaires.
Le jeune homme ne le quittait pas. Il semblait vraiment préoccupé maintenant. Il sortit une carte de visite de sa veste et la tendit à Valjean.
« Si jamais vous n'allez pas bien, M. Valjean, conférence ou pas, vous rentrez à l'hôtel. Ils sauront se passer de vous. Vous trouverez bien le temps de parler du Tiers-monde et de la situation des enfants aux Nations Unies plus tard. Vous appelez ce numéro et nous envoyons un taxi pour vous ramener ! »
Encore une avalanche de mots inconnus. Valjean sourit, le plus gentiment possible. Peut-être était-ce le monde qui était devenu fou ?
Où était Cosette ? Où était Marius ? Sa logeuse ? Même Javert aurait été un véritable réconfort.
Puis Valjean se souvint. Javert était mort, noyé dans la Seine. Un moment de folie.
La femme était revenue, une petite valise noire, très fine dans la main puis elle prononça quelques mots dans l'oreille de l'employé qui hocha la tête, approbateur.
Enfin, la femme repartit à son travail et l'homme reprit son discours incompréhensible.
« Votre taxi est là. Voici votre mallette. Je vais expliquer au chauffeur ce qu'il doit faire de vous. Vous serez de retour vers dix-sept heures normalement. »
Il attendait, une réponse, un signe, quelque chose montrant qu'on l'avait compris. Valjean se décida et ouvrit la bouche, murmurant doucement :
« Dix-sept heures, très bien. »
Puis Valjean se leva, il avait à peine touché à son repas. Trop nerveux, trop anxieux. Le jeune homme était soucieux.
« Vous devriez remonter vous coucher, M. Valjean. Je vais faire prévenir le directeur de votre absence.
- Non, » opposa Valjean, un peu précipitamment.
Et voyant le regard surpris de l'employé, l'ancien forçat se fustigea de son impatience et reprit plus calmement :
« Je ne voudrais pas rater la conférence. »
Et il sourit, espérant retrouver le visage impassible de M. Madeleine. Cela marcha car l'homme sourit à son tour, un peu rasséréné.
« Dans ce cas, suivez-moi, M. Valjean. »
Et Valjean suivit le jeune homme. Il avait reçu de ses mains la petite valise noire.
Il se retrouva dans le hall de l'hôtel, ils passèrent par une porte étrange, en verre, elle tournait sur elle-même pour laisser sortir les gens. Un vrai conte de fée.
Pour se retrouver sur le trottoir en pleine vision d'apocalypse.
Valjean devint blême de terreur.
Il n'était pas à Paris. Il n'était pas en France. Il n'était même pas à son époque. Ce n'était pas possible. Les rues étaient remplies de monde, de bruit, de fumée. Il y avait des immeubles si haut, si beaux, tout de verre et de pierre. La Tour de Babel ? Il y avait des...choses...des véhicules se déplaçant tout seuls, sans chevaux. De la magie ?
M. Madeleine connaissait l'existence des trains à vapeur inventés en Angleterre par Stephenson. Mais ça !
Le jeune homme glissa ses mains sous le bras de Valjean pour le retenir. Le vieil homme vacillait. Dés cet instant, Valjean eut envie de rester cloîtré dans l'hôtel. Il lui semblait un havre de paix.
« Vous êtes souffrant monsieur ! Je vous ramène à l'intérieur ! Vous avez du attraper froid hier soir ! A vouloir visiter ces malheureux junkies !
- Je vais bien. Juste un peu fatigué. »
Valjean avait répondu en anglais. Cela fit sourire le jeune homme. Puis la vitre de la...chose...posée devant eux s'abaissa et un visage noir, un peu fâché cracha quelques mots en anglais.
Le jeune homme acquiesça et ouvrit la porte arrière. Un canapé de cuir apparut. Lentement, il aida Valjean à s'asseoir puis il échangea quelques mots avec le chauffeur.
M. Madeleine connaissait l'anglais, il savait très bien le parler. Forcément, il avait commercé avec les Anglais alors qu'il possédait son usine de Montreuil-sur-Mer. Il comprit qu'on parlait de lui, on demandait de faire attention au vieux Français. Il devait être malade.
Le chauffeur noir se mit à rire et lança, amusé :
« Il est pas habitué à New-York le Frenchie ?
- C'est un homme bien. Faites attention à lui.
- Je sais. Pas de problème. Je vais en prendre soin ! »
Donc il était à New-York. Aux États-Unis. Mais comment était-il arrivé là ? Mystère.
Cosette et Marius avaient dû se débarrasser de lui en fait.
Le jeune homme salua puis la porte se referma. Valjean se sentit oppressé dans ce véhicule si bien fermé. Ce n'était pas un fiacre ou une diligence, il n'y avait pas de courant d'air. Il faisait bon. Trop bon. Inhabituel.
Le chauffeur ne s'intéressa pas plus que cela à ce vieux blanc fatigué, assis derrière lui. Avec soin, il farfouilla un...je-ne-sais-quoi...devant lui et par magie des voix se firent entendre dans la voiture.
Un homme parlait en anglais et Valjean avait du mal à comprendre tous les mots. On parlait de révoltes, de coups de feu, de morts, de police...
Valjean écoutait et s'affolait. Que se passait-il ? Où l'emmenait-on ? A la mort ? Puis un nom fut perceptible et acheva de l'épouvanter.
JAVERT
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