Scène II

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Le nom fut répété plusieurs fois et fit réagir Valjean avec empressement. L'ancien forçat se redressa et se rapprocha de l'homme noir. Parlant en anglais de son mieux.

« Qu'est-ce qu'il dit ?

- Pardon, monsieur ?, » demanda sans comprendre le chauffeur, surpris par cette explosion venant du paisible vieil homme.

Valjean était énervé par ses propres défaillances. Il tentait de se reprendre pour parler posément.

« Là ! L'homme qui parle ! Que dit-il ?

- La radio ?

- Que dit-il ?

- C'est la fréquence de la police. Ne dites pas que vous l'avez entendue. C'est interdit.

- Que dit-il ? »

Valjean prenait la voix autoritaire de M. Madeleine, elle fit plier l'homme noir.

« Il y a une manifestation des étudiants. Ils se battent avec les flics depuis ce matin. Un flic a été pris.

- Un flic ? »

Valjean désespérait de comprendre. On répétait encore le nom de Javert. La voix semblait affolée.

« Un policier. Un lieutenant appelé Javert.

- Lieutenant ?

- Vous devez appeler cela des...inspecteurs vous ? Non ? »

Inspecteur Javert !

Merde !

Une manifestation étudiante ?

Merde !

Sans réfléchir, Valjean lança d'une voix ferme au chauffeur :

« Emmenez-moi là-bas !

- Mais..., commença le chauffeur. Votre conférence ?

- Je ne sais pas si j'ai de l'argent... Je... »

Valjean fouilla fébrilement dans ses poches. L'argent était le nerf de la guerre. Il allait permettre de faire obéir le chauffeur. D'ailleurs l'homme ne s'opposait plus. Il attendait, curieux. Il ne comprenait rien à ce que voulait ce vieux blanc.

La voiture était arrêtée devant un lampadaire étrange, doté de trois couleurs. Là, il éclairait en rouge, assez inutilement d'ailleurs. La lumière n'était pas assez forte.

Valjean ne trouva rien dans ses poches. Il songea à sa valise et l'ouvrit après quelques minutes d'essais infructueux. A l'intérieur, il découvrit un petit miroir de poche, doté d'un verre noir là aussi, des dossiers et des rapports bien épais, des bourses de forme oblongue et plusieurs porte-monnaies. Il en ouvrit un et trouva plusieurs billets de banque.

« Combien pour me déposer là-bas ? »

Le chauffeur ne pouvait pas nier qu'il était intéressé. Il se doutait que l'homme assis derrière lui dans son taxi était riche. On ne dormait pas dans cet hôtel sans disposer d'une belle fortune. Mais l'homme n'était clairement pas dans son état normal.

Et puis ce vieil homme était célèbre. Il se nommait Jean Valjean, c'était un Français, un patron de plusieurs firmes transnationales, un philanthrope et un mécène. Sa voix se levait souvent pour lutter contre les inégalités et les injustices de ce monde. Un des sages de cette époque troublée. Là, il était attendu au siège de l'ONU, il devait tenir une conférence sur la situation des enfants dans le monde, il devait alerter les pays sur la malnutrition en augmentation et le problème du travail des enfants. Il était une personnalité connue dans les milieux politiques et économiques. Et voilà qu'il demandait à être emmené sur les lieux d'une révolte populaire. Il risquait de se faire voler. Tuer.

Merde !

Il était riche. Il y avait de l'argent à se faire. Mais ce n'était pas bien.

« Monsieur, murmura le chauffeur, ennuyé, je ne peux pas. Vous êtes attendu ! »

Valjean s'échauffa et répéta. Oubliée la bienveillance de M. Madeleine.

« COMBIEN ?

- Cinquante dollars !, » jeta le chauffeur, conscient de l'énormité de la somme.

Valjean compta plusieurs billets de banque et les tendit au chauffeur. L'homme secoua la tête et les prit. Puis, comme s'il prenait une décision définitive, il parla sèchement :

« Je vous dépose deux rues plus loin. Ce quartier est dangereux. S'il y a le moindre problème, appelez les flics !

- Merci !, » fit Valjean, chaleureusement.

Le ton et le sourire si heureux de son client rassérénèrent l'homme qui se fit plus conciliant.

« Ne prenez pas de risque ! Et allez voir les flics !

- Je serais prudent !

- Et pour l'ONU ?

- Dites-leur que je suis malade. L'hôtel confirmera.

- Bien monsieur. »

Cela fit rire le chauffeur. Ce vieux blanc si bien habillé jouant les espions comme dans un mauvais film. Mais c'était un rire jaune. Le vieux blanc ne devait pas s'attendre au danger de la rue.

Le véhicule roula encore quelques rues puis s'arrêta. Valjean se battit quelques minutes avec la poignée de la porte puis enfin, il réussit à l'ouvrir. Et se retrouva dehors. Le chauffeur le regarda avec inquiétude...puis s'en alla...le laissant seul au-milieu d'une rue.

Complètement perdu. Isolé au-milieu de la foule.

Merde...

Puis Valjean songea à l'inspecteur Javert et se mit en marche.

Il dut arrêter quelques personnes pour leur demander le chemin. On le regarda avec stupeur mais on lui répondit poliment. Une jeune femme l'entraîna même jusqu'à l'angle d'une rue. Là, elle lui indiqua un bâtiment encerclé par des hommes, habillés de noir avec des bandes jaunes brillantes sur eux. Ils étaient nombreux et armés.

« La police ! Attention à vous ! »

Attention à vous !

Elle ne croyait pas si bien dire.

Valjean ne voulait pas parler à la police. Il voulait Javert ! Il continua à avancer. Contournant le bâtiment. Le vieux forçat évadé était bon à l'escalade. Ce fut en escaladant des murs qu'il échappa plusieurs fois aux argousins, à la police. A Javert.

Il se décida. Avisant une sorte de grosse boîte métallique qui puait horriblement, il glissa sa valise dedans. La cachant de son mieux. Il la retrouverait plus tard.

Et il se mit à grimper un immeuble. Haut. Mais il avait repéré un balcon par lequel il pouvait espérer atteindre le bâtiment surveillé par la police.

De balcon en balcon, de mur en mur, Jean-Le-Cric atteindrait sa cible.

Et ce fut ce qu'il fit.

Ce fut long.

Dieu que ce fut long ! Et dangereux ! Les murs de pierre de ces immeubles étaient bien lisses, il y avait peu de prises pour avancer. Mais ce fut possible.

Atterrissant sur le premier balcon, Valjean sauta sur un balcon en face. S'accrochant au métal et cherchant à stabiliser ses pieds.

Ce fut long.

Après le balcon, un escalier de métal. Magnifique ! Un bel ouvrage. Valjean n'avait jamais vu cela.

Peu à peu, Valjean se rapprochait des policiers en contre-bas et devait se cacher d'eux. Il les entendait s'interpeller.

On parlait de Javert. Toujours prisonnier. Vivant ? Aucune idée !

Aucune idée !

On se préparait à attaquer le bâtiment. Tant pis pour Javert ! Tant pis...

Cela serra le cœur de Valjean qui poursuivit sa route.

Et précautionneusement, en rampant, en s'accrochant, Valjean approcha d'une fenêtre et l'ouvrit. Et se laissa tomber à l'intérieur d'un immeuble. Il espéra que c'était le bon.

Il sut dés l'instant où un canon de pistolet se posa sur son front que c'était le bon.

« Merde ! Un type ! ENJOLRAS ! »

Un homme, très jeune, le tenait à bout portant.

Valjean reconnut un des jeunes de la barricade de Saint-Merri et crut devenir fou. Encore plus, si c'était possible.

« ENJOLRAS !

- QUOI JOLY ?

- Il y a un type qui vient de tomber d'une fenêtre !

- QUOI ?

- PUTAIN VIENS ! »

On grogna et on s'approcha.

Valjean était assis sur ses fesses. Au-milieu d'une gigantesque pièce qui devait être un hangar vue la présence de boîtes de bois (?) dispersées ici et là. Un entrepôt ?

Et Enjolras apparut. Le jeune chef de la barricade, les cheveux blond cendré, un homme magnifique. Il s'approcha et examina Valjean avec suspicion. Lui aussi portait un pistolet glissé dans la ceinture de son pantalon.

Enfin. Une sorte de pistolet car Valjean ne connaissait pas ses armes.

« Merde !, fit simplement Enjolras.

- Tu vois ?

- D'où il vient ? »

Ils parlaient anglais les jeunes étudiants. Ils semblaient perdus en voyant ce visiteur inattendu.

« Un espion comme l'autre flic ?

- Non, » répondit un autre étudiant.

Un troisième jeune s'était approché. Valjean le reconnut aussi mais fut bien incapable de placer un nom sur ce visage. Il l'avait vu en sang. Mort !

« C'est Jean Valjean, le riche philanthrope. Il est à New-York pour le sommet de l'ONU.

- Qu'est-ce qu'il fout là ?

- Je suis venu vous parler !, » répondit Valjean.

On sursauta, surpris d'entendre le vieux Frenchie s'exprimer aussi bien en anglais. Valjean profita de la confusion générale pour se lever. On avait cessé de le menacer avec une arme. Il se sentait un peu plus en confiance. Le jeune qui l'avait reconnu vint aussitôt lui prêter main forte. Valjean remercia dans un sourire. Il faisait tellement déplacé avec sa politesse guindée et son costume de prix.

« Comment vous êtes entré ?, demanda Enjolras, toujours méfiant.

- J'ai escaladé les murs. »

Cela fit rire tout le monde. Puis on comprit que le vieux ne plaisantait pas.

« Sérieux ?

- De quoi vous voulez nous parler ? »

Le jeune chef était surpris maintenant et perturbé. Manifestement, il ne savait pas comment réagir.

« Je veux vous sauver la vie. »

Tous ces jeunes étaient morts à Paris. Était-ce la raison pour laquelle il était là ? Les sauver ? On se mit à ricaner, un peu méprisant, un peu étonné.

« Nous sauver ? Occupe-toi de tes miches grand-père !

- Vous allez mourir ! La police est dehors, elle a encerclé le bâtiment. Ils sont armés et...

- Nous avons un putain d'otage. On n'hésitera pas à le tuer s'ils viennent.

- Un otage ?

- Un putain de flic. »

Ils avaient l'air de vouloir attaquer dehors, malgré la vie de l'un des leurs.

« Au nom de quoi ?, demanda Valjean, fâché qu'on attache si peu d'importance à la vie d'un être humain, quel qu'il soit, même celle d'un policier. Même celle de Javert.

- Je suis d'accord avec lui, » lança une nouvelle voix.

Valjean devint livide en la reconnaissant et il se tourna pour voir le nouveau venu. C'était Marius Pontmercy ! Mais où était Cosette ? Son épouse ? La fille chérie de Valjean ?

« Marius !, » murmura l'ancien forçat.

On fut estomaqué, surtout le dénommé Marius qui rétorqua :

« On se connaît ?

- Où est Cosette ? »

Marius rougit intensément puis répondit sèchement :

« Elle est partie avec son père je ne sais pas où. C'est Fauchelevent qui vous envoie ? »

Fauchelevent ?

Valjean était fou !

« Mais... Mais...

- Vous allez partir M. Valjean, lui lança gentiment le jeune homme qui l'avait reconnu. Il va y avoir du grabuge ici. La police va venir et on va se battre.

- Mais pourquoi ?

- Pour la liberté !, s'écria Enjolras, exalté. Pour ses lois indignes de l'État ! Ce qu'il fait est une honte ! Vive la liberté ! »

Et en chœur, les étudiants hurlèrent :

« Vive la liberté ! »

Et un rire amusé retentit, plein de mépris, dans un angle de la pièce :

« Vive la mort ! C'est tout ce que vous allez récolter les gamins !

- TA GUEULE ! »

Le bruit d'une gifle retentit et calma celui qui avait parlé. Valjean aurait reconnu la voix entre mille, c'était Javert ! Javert était là ! Javert était vivant !

Dieu !

A la barricade de Saint-Merri, Valjean avait obtenu la vie de l'espion Javert en sauvant celle d'Enjolras. Là, il n'avait rien fait pour mériter un tel honneur.

Comment faire pour sauver Javert ?

Et sauver Marius ?

Et peut-être ses amis ?

Des bruits de fusillade retentirent tout à coup. On tirait sur les vitres, brisant le verre. Une pluie d'éclats tomba dans le hangar. Cela aurait du signer la mise à mort du policier mais on tergiversait, perturbé par l'arrivée du vieil homme.

« Putain !, clama le dénommé Joly. Ils arrivent. »

Valjean réfléchissait vite. Le plus vite possible. Puis il songea à ce qu'il était. Une sorte de personnalité politique ? C'était bien cela ? Il allait falloir jouer là-dessus et redevenir M. Madeleine.

« Je veux vous donner la parole !, lança Valjean, pressant.

- La parole ? Quelle parole ?, fit Enjolras, suspicieux.

- J'ai le droit de parler...à l'ONU... Une conférence. Je vous laisse parler à ma place et expliquer vos demandes. »

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