Scène III
On resta estomaqué. Parler devant les pays membres de l'ONU ? C'était inespéré. C'était inouï.
« Et comment ce serait possible ?, demanda Enjolras.
- Parce que je suis Jean Valjean, lança l'ancien maire de Montreuil avec aplomb. On m'écoutera et ainsi on vous écoutera.
- Merde !, fit Marius. Tu imagines ça Enjolras ?
- C'est pour cela que vous êtes venu ? »
Mentir. Encore. Il le fallait bien.
« Oui ! »
Et M. Madeleine savait mentir avec conviction. Une lueur d'espoir. Une possibilité de continuer à vivre. Et de lutter. On en oubliait les cris, les tirs et les tambourinements à la porte. La police arrivait.
« Quand ?
- Je ne sais pas. Je devais faire une conférence aujourd'hui. Ce sera la vôtre !
- Quel tapage médiatique Enjol' ! Tu imagines ? La gueule de Bamatabois ? »
Nouveau coup au cœur. Bamatabois ?
« Ne t'excite pas Joly, reprit Enjolras. Je n'y crois pas un seul instant. »
On se mit à tirer dans la porte et la porte allait céder. Un groupe d'étudiants débarqua dans la salle, affolés. Il allait falloir lutter pour sa vie maintenant.
« Putain ! La porte va lâcher ! »
Enjolras regardait Valjean, Valjean regardait Enjolras. On se jaugeait.
« Si tu nous as menti... Je te jure...
- Il faut sortir d'ici !, opposa fermement Valjean. Retrouvez-moi...où je dois faire ma conférence...
- Au siège de l'ONU ?, demanda Joly.
- Oui. Laissez-moi une heure et j'arrive. »
Enjolras hésita mais le bruit d'une porte qui explosait le ramena à lui.
« OK ! On se barre ! Dans une heure M. Valjean. »
Et ce fut la débandade.
Les étudiants se mirent à fuir. Ils quittèrent la salle. Il devait y avoir une porte quelque part. Valjean espéra que la police allait les rater.
Puis Valjean songea à sa mission et se précipita dans l'angle où devait se tenir Javert.
Et il le vit.
Et il déglutit.
C'était bien Javert !
Un homme, grand, habillé de vêtements déchirés, était assis sur une chaise, les bras coincés dans les barreaux de la chaise et menottés, laissés dans un angle douloureux. Le visage était couvert de contusions. La lèvre fendue saignait et du sang coulait aussi d'une arcade sourcilière. Il semblait blessé à un bras, vue la tâche rouge qui maculait une manche de la chemise. Il ne portait pas de favoris mais une barbe légère, il était juste mal rasé. Et il avait toujours ses yeux clairs, froids et perçants. Javert !
Un instant, un éclair brilla dans le regard du policier, comme s'il avait reconnu Jean Valjean. L'ancien forçat en frémit, fou d'espoir et d'inquiétude. Et la lueur disparut.
Javert ne le reconnaissait pas.
L'inspecteur fixait le vieil homme sans sourciller.
« Hé bien, monsieur, prononça Javert dans un français parfait. Je suppose que des remerciements sont de mise.
- Quoi ?
- Vous venez de me sauver la vie, monsieur. Et aussi celle de ces jeunes imbéciles. »
C'était dit sans sourire, sans plaisir. Valjean s'approcha lentement et examina les menottes.
« Les clés sont dans la poche de ma veste. Là sur le sol. »
Valjean chercha le vêtement et se mit à fouiller avec soin. Il sortit un objet dont la forme lui sembla étrange et une clé.
Il observa l'objet, une carte carrée, dans une matière brillante, indéfinissable, on voyait un dessin particulièrement ressemblant de Javert, ce devait être son insigne de police. Ainsi, l'inspecteur avait commis la même erreur dans ce monde qu'à Paris en 1832. Venir déguisé à une révolte d'étudiants en amenant ses papiers d'identité.
La clé permit d'ouvrir les menottes en un temps record.
Javert se redressa et se frotta les poignets avec soin.
« Merci, monsieur. »
La porte avait enfin sauté, des bruits de fusillade retentissaient. Valjean s'inquiétait pour les jeunes hommes, pour Marius, son gendre.
Que devait-il faire maintenant ?
Puis, des hommes lourdement armés pénétrèrent enfin dans l'entrepôt. Javert se leva aussitôt et leva les mains en l'air, imité par Jean Valjean.
« Ils sont sortis par l'arrière !, cria l'inspecteur en revenant à l'anglais. Est-ce que Gisquet a fait ce que je lui ai conseillé ?
- Javert !!! Toujours vivant ?
- Cela a l'air de te faire plaisir Gregson ! »
On s'approcha de Javert qui avait baissé les bras, toujours imité par Valjean. Une partie de la troupe poursuivit son chemin à la poursuite des étudiants en fuite. Quelques personnes restèrent près de Javert. Ignorant superbement Jean Valjean. Enfin des casques furent retirés et des visages souriant apparurent, soulagés. Il y avait même des femmes parmi les policiers ! Cela choqua Valjean.
« Putain ! T'es un connard Javert ! Rester en mode silencieux pendant vingt-quatre heures !
- Et tu voulais que je fasse comment Gregson ? Que je demande à ces marioles de me permettre de téléphoner à la police pour pas que mes collègues s'inquiètent ?
- Connard, répéta l'homme, mais c'était dit dans un rire. Rassuré. T'es blessé ?
- Fatigué, affamé, maltraité mais vivant.
- T'es blessé ?, » répéta plus fermement le policier.
Les yeux clairs de Javert se mirent à étinceler de colère. Valjean reconnaissait le regard de son chef de la police de Montreuil avec stupeur.
« Le bras.
- Que t'ont-ils fait ?
- Rien d'important Gregson. Ce...
- Merde Javert ! Tu réponds clairement aux questions ou je te jure que tu vas te retrouver à la circulation pendant six mois !
- Une petite séance de torture. Pour avoir des informations sur nos effectifs et nos intentions.
- Que leur as-tu dit ?
- D'aller se faire foutre !
- Javert... »
Gregson avait saisi le bras de Javert. Prestement, il déchira la manche de la chemise et une plaie sanguinolente apparut. Cela fit siffler le policier et serrer les dents de Javert.
« Couteau ? Pourquoi ne t-ont-ils pas découpé entièrement ?
- Leur chef a un cœur tendre, souffla Javert en fermant les yeux. Il voulait me garder comme otage. Il a calmé ses chiens.
- Je vais les choper et les foutre en tôle. Chabouillet va hurler de rage en apprenant cela !
- Je suis vivant. Je suis désolé d'avoir raté la mission.
- Ta gueule Javert ! Tu raconteras tes conneries plus tard. Tu vas à l'hôpital. »
Le policier s'était relevé. Il avait fait un bandage de fortune sur la blessure de Javert. Sur un geste de son chef, le dénommé Gregson, un homme avait sorti un de ses petits miroirs noirs de sa poche et s'était mis à...parler...avec ?! Valjean ne comprenait rien de ce qu'il voyait mais l'homme semblait en conversation avec le dit-miroir ?!
Puis, on se tourna enfin vers Jean Valjean.
« Et ce monsieur ? Il me semble que je vous connais ?!
- C'est Jean Valjean, répondit Javert, le magnat de l'industrie. Il m'a sauvé la vie. »
Maintenant que la tension retombait, Javert semblait épuisé. Il avait pâli. Gregson le força à se rasseoir sur sa chaise de torture. Javert ne lutta qu'un instant. Pour la forme.
« Sauvé la vie ?
- Je ne comprends pas pourquoi..., murmura Javert.
- J'ai entendu le nom de l'inspecteur et j'ai appris qu'il était en danger, expliqua maladroitement Valjean, ne sachant pas utiliser les mots désignant toutes les choses qu'il avait vues, ne comprenant pas la moitié des mots utilisés par les policiers. J'ai voulu le sauver.
- Je ne comprends pas pourquoi..., répéta Javert, paraissant au bord de l'évanouissement.
- Putain Javert ! Reste conscient ! L'ambulance arrive !
- Ils allaient me tuer dés que tu avais fait sauter la porte Gregson. Un miracle... »
Javert se mit à rire avant de sombrer définitivement. Valjean se jeta sur lui pour le retenir, l'empêcher de tomber sur le sol.
« Merde !, fit simplement l'inspecteur Gregson en se précipitant aussi sur Javert, inconscient. Il a du mentir sur ses blessures. Que fout cette ambulance ? »
Il saisit son propre miroir noir et se mit à pianoter avec entrain.
Puis les hommes revinrent enfin de leur mission. Mécontents.
« Alors ?, grogna Gregson.
- Raté, chef.
- Quoi ?
- Ils avaient des vélos.
- QUOI ?, répéta Gregson, plus fort. Vous vous foutez de ma gueule ?
- Des vélos, c'est pas idiot. Pour aller plus vite se perdre dans la circulation.
- PUTAIN ! »
Ce fut tout.
Quelque part, Valjean était soulagé. Il avait compris qu'on avait raté les étudiants. Il avait réussi un exploit qu'il n'avait pas réussi la première fois : sauver tous les jeunes révoltés de la barricade. Cela l'étourdit. Puis ses pensées revinrent sur Javert.
L'homme était pâle comme un linge et complètement inconscient de tout.
« Bon, lança Gregson, plus calmement. Nous avons toujours Javert. Il va nous donner les noms de ces types et on pourra les serrer.
- Je n'en connaissais aucun, lieutenant, rétorqua le policier. Je crois que c'était des inconnus de nos services. Des étudiants ?
- Javert nous en dira plus. Peut-être aussi notre célèbre philanthrope ? »
On s'adressait à lui. Valjean le comprit aux regards posés sur lui avec insistance. L'ancien forçat sourit, très M. Madeleine. Illisible.
« Je ne les connaissais pas, répondit-il. Je ne suis venu que pour l'inspecteur Javert.
- Pourquoi ? »
Pourquoi ?
Oui pourquoi ?
Parce que Javert était le seul visage qu'il voulait voir ! Parce qu'il devait le sauver à cette barricade, non ? Comme avant. Comme toujours. C'était écrit ! Puis Valjean songea à la Seine et de nouveau son cœur connut un mouvement de panique.
« Il faut adjoindre une garde pour surveiller Javert ! »
Cela surprit les policiers qui entouraient l'homme politique et industriel français. Notant ses vêtements froissés et salis, ses chaussures éraflées, l'examinant avec des yeux de policier. Comment était-il entré dans ce bâtiment placé sous bonne garde ? L'affaire n'était pas claire.
« Pourquoi ?
- Javert est en danger !, lança tout à coup Valjean et chacun put remarquer l'angoisse qui transparaissait dans sa voix.
- Comment cela ?, demanda-t-on, plus conciliant. Les étudiants ont dit quelque chose ?
- Non, non. Mais Javert ne doit pas être laissé seul. Il risque de vouloir... De tenter... De se suicider ! »
Gregson examina froidement les yeux de Valjean, fermement, longuement puis il lâcha :
« Anderson, tu accompagnes Javert à l'hôpital et tu restes de surveillance. Je t'enverrais quelqu'un pour te relever de ta garde à midi. »
Puis, continuant à regarder Valjean, il ajouta :
« Satisfait ?
- Oui, inspecteur.
- Donc Javert est votre ami ? »
C'était la seule explication plausible. Que dire d'autre ? Javert était sa Némésis, son gardien à Toulon, son chef de la police à Montreuil, son chasseur à Paris. Toujours sur ses talons, toujours dans ses pensées. Un cauchemar !
« Oui, un ami, rétorqua Valjean.
- Il ne nous a jamais parlé de vous. Mais il faut dire que Javert ne parle pas beaucoup de lui. Vous nous ferez un rapport complet, M. Valjean ? »
Valjean allait rétorquer bêtement « un rapport sur Javert ? » lorsque heureusement pour lui un bruit terrible résonna dans la rue. Les policiers furent soulagés, encore.
« Voilà les secours ! Putain ! Il était temps ! »
Des hommes vêtus de couleurs chatoyantes, bizarres, apparurent, portant une civière. Ils se précipitèrent sur les policiers. Et en parlant le moins possible, ils se chargèrent de Javert. Le coucher sur la civière et l'emporter loin de tout.
« Pouls rapide, pas bon ça. Mais c'est rien de grave. Il sera sur pied dans quelques jours, expliqua un des infirmiers.
- Et même moins que cela, le connaissant comme je le connais, opposa Gregson, d'une voix lasse. Prenez soin de lui ou le divisionnaire va vous arracher la tête ! »
Ce fut tout. Javert était parti.
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