Scène V

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Il ne resta plus que Valjean, seul, à la chaire de l'orateur. L'homme qui l'avait si bien accueilli vint le chercher avec un sourire forcé, poursuivant ses applaudissements.

« Ce n'était pas tout à fait le discours prévu, M. Valjean, mais vous voyez que votre conférence a plu. Une fois de plus, on va parler de vous !

- Est-ce une bonne chose ?

- Vous devriez rentrer à l'hôtel, monsieur. J'ai fait venir un taxi.

- Est-ce si mauvais ?, » sourit M. Valjean.

Le sourire forcé disparut comme neige au soleil.

« M. Bamatabois ne va pas apprécier. J'ai pris la liberté d'annuler vos conférences de la semaine, M. Valjean. Je crois qu'un retour anticipé en France ne serait pas mal venu.

- Je vais le considérer, monsieur...?

- Simplice, monsieur. »

Simplice ?

Fort bien, on lui sauvait la mise donc. On lui permettait de disparaître et c'était Simplice qui jouait ce rôle, comme de juste. Valjean récupéra rapidement ses affaires et disparut du bâtiment officiel, suivant prestement M. Simplice. On le regardait passer, soit avec une haine qui le fit frissonner, soit avec une admiration qui le troubla.

Dieu ! Mais les États-Unis étaient-ils devenus une monarchie absolue ?

M. Simplice le fit monter dans un taxi et lui souhaita un bon retour. Prompt.

Un nouveau taxi.

Le retour à l'hôtel.

Le magnifique sourire sur les lèvres du jeune homme à l'accueil avait disparu. M. Valjean était devenu indésirable.

« Un appel pour vous, M. Valjean. »

On était très formel maintenant.

« Un appel ?

- Votre fille je crois. Elle vous demande de la rappeler.

- La rappeler ? »

Ce jeu de répétition eut le mérite de faire lever les yeux au ciel au jeune employé.

« Votre fille vous a appelé au téléphone, rappelez-la le plus tôt possible. Votre conférence à l'ONU doit être connue en France maintenant. »

C'était tout. L'homme lui tendit une clé et retourna à son travail. Méprisant.

Valjean retourna dans sa chambre, fier de ne pas se perdre.

La chambre 117.

Il y entra et se sentit soulagé lorsqu'il entendit le déclic de la clé dans la serrure.

Appeler ?

Comment cela appeler ?

Les rideaux avaient été ouverts, la chambre était toujours en l'état. Seulement on avait tout rangé, tout nettoyé. La lumière était encore bien forte, le jour était loin d'être terminé, Valjean put examiner les lieux.

Une chambre, un lit et une petite pièce où il n'était pas encore entré. Il fut estomaqué de voir une salle d'eau. Mais c'était un palais cet hôtel !

Il joua avec un objet brillant et de l'eau coula. Magique ! Il actionna d'autres leviers et l'eau devint chaude. Des bouteilles multicolores sentaient très bon. Savon, shampoing... Une toute petite pièce disposant de vitres épaisses et d'un sol carrelé semblait être l'endroit prévu pour se laver. Et une chaise de céramique blanche semblait faire office de toilettes.

Valjean utilisa les deux.

Et se sentit tellement bien lorsqu'il fut propre, net et soulagé.

Il n'avait pas mangé depuis le matin. L'après-midi touchait à sa fin.

Et ce fut là qu'un bruit attira son attention.

Il avait ouvert sa valise, sortit des vêtements propres et s'était habillé avec soin.

Le bruit était joli. Une petite musique douce. La même mélodie, encore et encore. Il se mit à chercher sa provenance. Elle venait de sa valise. Plus précisément du miroir de verre noir...qui indiquait Cosette.

Fébrilement, Valjean toucha le miroir, appuyant un peu partout et une voix se fit entendre. Il reconnut la voix de Cosette et en aurait pleuré de joie.

« Papa ?

- Dieu ! Cosette ! Où es-tu ? »

Un rire amusé lui répondit. Décidément, tout le monde le prenait pour un comique.

« A la maison, papa, où veux-tu que je sois ?

- A la maison ?

- A Paris ! As-tu dormi ces jours-ci ? M. George m'a dit que tu sortais toutes les nuits pour t'occuper des pauvres dans Haarlem ! Papa !

- Je suis tellement heureux de t'entendre ma chérie. »

La voix se tut, cessant ses réprimandes avant de retentir à nouveau, plus inquiète que jamais.

« Papa, tu vas bien ?

- Je vais bien. Tu me manques.

- Papa, tu n'es parti que depuis trois jours.

- Peut-être, mais il n'empêche que tu me manques.

- Comment s'est passée ta conférence papa ?

- Mal, ma chérie.

- Mal ? Je ne comprends pas.

- Il faut que je rentre... Je dois partir...

- Mais qu'est-ce qui s'est passé ?

- Je ne peux pas rester ici. Je...

- Calme-toi papa. Je vais demander à M. Laffitte de t'appeler demain. Il arrangera ton retour. Il est tard papa. As-tu mangé ?

- Non, avoua Valjean, dépité.

- Souviens-toi de ce que le médecin a dit ! Tu dois manger papa. Nous avons failli te perdre il n'y a pas longtemps ! Tu m'as juré de prendre soin de toi.

- Oui, ma chérie.

- Bien. Je vais te laisser. Marius m'attend. A demain papa !

- Attends ! Est-ce que tu connais Javert ?

- Javert ? Non. Qui est-ce ?

- Il n'y a aucun Javert dans notre vie ?

- Papa. Tu m'inquiètes. Rentre le plus tôt possible. Je vais essayer de trouver M. Laffitte dés ce soir.

- Et Javert ?

- Je ne connais aucun Javert, papa, mais je ne sais presque rien de ta vie. Bonne nuit papa. Mange bien ! »

Et le son se coupa. Valjean parla encore et encore mais c'était fini. Par contre, cette conversation avait donné la vie à son miroir de poche. Maintenant, des chiffres apparaissaient. Ce devait être l'heure : 18 h 35 et la date : 6 juin 2019. Valjean dut s'asseoir, en lisant ces chiffres. 2019 ? Hier il était en 1833.

Toutes les personnes qu'il connaissait étaient mortes depuis plus d'un siècle. Sa Cosette, son Marius... Qu'est-ce qui s'était passé ?

On frappa plusieurs fois à la porte avant qu'il ne réagisse. Il se leva et ouvrit. Une jeune femme, de couleur de peau noire, entra dans la chambre, un plateau dans les bras.

« Service d'étage, monsieur Valjean. Votre repas.

- Merci, mademoiselle, » fit Valjean, très poliment.

Cette gentillesse, un peu excessive, fit sourire la jeune servante qui s'approcha du vieil homme. M. Valjean semblait tellement abattu. Il examinait son téléphone, un peu perdu.

« Vous avez un souci avec votre téléphone, monsieur ?

- Mon téléphone ? »

Elle désigna le miroir en souriant toujours. Il sauta sur l'occasion.

« Oui, je n'ai pas l'habitude de me servir de ces engins. Je ne sais pas...

- Montrez ! Je suis une experte ! »

Au diable le service de chambre ! La jeune femme s'assit sur le lit au côté du beau vieillard, si poli et si gentil. Elle saisit le téléphone et l'examina.

« Votre batterie est presque à vide. Vous devriez la recharger. Voyons les applications ! »

Valjean brûlait de l'interroger. Encore.

« Ma batterie ?

- Là, ce symbole ! Il ne reste que 20 % de charge, il va vous lâcher en pleine conversation. Ou en pleine partie de Candy Crush. »

Elle rit et montra le symbole. Il ne comprenait rien mais rit avec elle. Puis elle continua à regarder les différentes fonctionnalités du téléphone. Valjean regardant avec elle. Elle ouvrit la galerie de photos et Valjean ne riait plus.

Il venait de voir Cosette. Sa Cosette. Et Marius. Et Cosette. Et même lui. Doucement, il saisit le téléphone des mains de la jeune femme et laissa cette dernière lui montrer comment bouger les images.

« C'est un bon téléphone, il fait de belles photos. C'est votre fille ?

- Oui. C'est Cosette. Et son mari, Marius.

- Une belle fille. Alors où est votre cordon de recharge ? »

Comme il ne savait pas, elle roula des yeux et fouilla dans la valise. Elle en sortit un petit câble inconnu de Valjean. Il l'avait trouvé mais n'avait pas su quoi en faire. Elle reprit le téléphone et le brancha à un trou dans le mur avec le cordon.

« Voilà, demain matin, il sera comme neuf. Bon, je dois y aller. Je reviendrai dans une heure pour chercher le plateau. Déposez-le devant la porte ! »

Il n'avait osé rien dire. Il l'avait laissée agir à sa guise même s'il serait resté des heures à regarder les photographies de sa fille chérie. Elle était magnifique.

Le repas était bon.

De la viande, des légumes, du pain. Valjean mourrait de faim, il dévora tout et but un grand verre de vin. Puis, il se retrouva désœuvré.

Il ouvrit la valise et sortit les rapports. Il voulait comprendre qui était le Jean Valjean de 2019.

Donc il ne se cachait pas, il n'avait pas été forçat, il n'avait aucune cicatrice de coups de fouet, aucune trace de fers à sa cheville. Il n'y avait aucun inspecteur Javert dans sa vie. Il ne comprenait pas la raison de sa présence ici.

Il laissa la plateau à la porte comme demandé et s'étendit sur le lit, se laissant dériver vers le sommeil...

Ce fut au-milieu de la nuit que la révélation se fit jour. Il se redressa, en pleine crise de panique.

Le 6 juin 1832 ! Javert n'était pas mort le 6 juin mais le 7 juin ! Il s'était noyé dans la Seine. Prestement, Valjean se releva. Il ne savait pas quelle heure il était mais il savait qu'il devait agir. Et agir vite.

Il n'avait pas retiré ses vêtements pour dormir, encore un peu perdu dans ce monde.

Il quitta la chambre précipitamment et descendit au rez-de-chaussée. Un employé à l'accueil le vit venir avec stupeur.

« M. Valjean, vous auriez du appeler, nous serions venus...

- Y a-t-il un pont dans cette ville ?

- Un pont ? Bien sûr, plusieurs ponts même ! »

Quel drôle de type quand même ce Frenchie !

« Le plus dangereux ?

- Dangereux ?

- Si vous vouliez vous suicider !

- Le pont de Brooklyn !, répondit l'homme sans hésiter.

- Il me faut un taxi, maintenant !

- Mais monsieur... Il est minuit passé...

- MAINTENANT !

- Très bien, M. Valjean ! »

Valjean n'aimait pas donner des ordres, il n'aimait pas jouer M. Madeleine mais il n'avait pas le choix. Il se sentait tellement idiot. Il avait sauvé Javert en le libérant à la barricade mais en fait il n'avait rien sauvé du tout. Le policier s'était suicidé quelques heures plus tard dans un accès de folie.

Pourquoi ?

Valjean ne l'avait jamais su mais il ne fallait pas réfléchir beaucoup pour comprendre qu'il était responsable en partie de cet état d'esprit.

Valjean attendait impatiemment, faisant les cent pas dans le hall d'accueil, devant les yeux de plus en plus étonnés de l'employé.

Enfin, un homme entra dans l'hôtel.

« On a demandé un taxi ? »

Valjean ne répondit pas et rejoignit le chauffeur.

« Je voudrais aller au pont de Brooklyn !

- A cette heure ? Je croyais que c'était une urgence... Je...

- Au pont. C'est une urgence. »

L'homme ne dit rien et emmena ce vieux fou de Français.

Et ce qui se passa ensuite prouva au chauffeur de taxi à quel point le Français avait raison. Il y avait urgence.

Car le pont n'était pas désert à cette heure indue de la nuit. On approchait d'une heure du matin et un homme se tenait seul sur la rambarde de métal du pont, prêt à sauter.

« Merde !, » fit simplement le chauffeur.

Le taxi se gara en catastrophe au-milieu de la route. Le chauffeur lança à Valjean qui sortait de la voiture :

« J'appelle les flics ! »

Valjean ne répondit pas. Il était sur la chaussée. Il courait vers l'homme. Il courait vers Javert. C'était ce qu'il aurait du faire à Paris. Il y a deux cents ans.

« JAVERT ! NE SAUTE PAS ! JE T'EN PRIE ! »

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