Scène VII
Une voix retentit dans le lointain.
« JAVERT ! Où sont tes armes ? »
Javert ne répondit pas mais fit un geste très mal poli avec son majeur. Gregson apparut, un sac dans la main, toujours dans une matière indéfinissable pour Valjean.
« Je n'ai trouvé que ton pistolet à silex. Tes armes ?
- Je n'ai pas d'armes, Gregson. A part mon arme de service. Elle est restée dans mon bureau avec ma lettre de démission. Je ne collectionne pas les armes. Laisse le pistolet. J'y tiens, c'est un objet de collection, rare et cher.
- Cela reste un flingue ! Tu le récupéreras !
- Fais chier !
- J'ai pris tes médocs. Je laisse quelques somnifères à la garde de M. Valjean. »
Ce disant, Gregson tendit une petite boîte bien emballée au Frenchie.
« Tu vas l'aider à me coucher aussi ? Je veux mon histoire et mon bisou de bonne nuit.
- Va te faire foutre Javert ! Et à demain ! Bonne chance M. Valjean ! N'hésitez pas à appeler la police en cas de problème !
- Ne vous inquiétez pas, répondit Valjean en souriant. Je vais veiller sur lui.
- Il n'a pas mangé depuis deux jours et cette bière doit être le premier liquide qu'il absorbe depuis...je ne sais pas combien de temps. Il faudrait le faire manger.
- C'est ça, Gregson, ricana Javert. Je vais commander des pizzas ! Fous-moi le camp ! Et gaffe à mon pistolet ! »
Un dernier doigt d'honneur et le lieutenant Gregson était parti.
Dés son départ, Javert se permit de souffler un peu. Il se redressa et posa la bière à peine entamée sur la petite table basse. Il reprit le téléphone et appuya dessus. Le miroir noir s'éteignit et les visages disparurent.
« Maintenant que nous sommes seuls, M. Valjean, vous allez me dire la vérité ! Pourquoi vous m'avez sauvé aujourd'hui ? Deux fois ! Ce n'est pas le hasard !
- Je devais vous sauver.
- Pourquoi ? PUTAIN ! Pourquoi ?
- Vous devriez dormir Javert. Vous êtes épuisé. Vous n'avez pas dormi depuis des heures. Vous avez été capturé à la barricade et maltraité. Laissé des heures sans eau ni nourriture. Il faut...
- ASSEZ ! Je veux des réponses ! Pourquoi m'avoir sauvé ? »
Javert avait un regard fou.
Valjean eut peur tout à coup. Peur d'être seul avec lui.
« Vous ne méritiez pas de mourir ainsi. »
Cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus. Déjà aux barricades, cela n'avait pas suffi.
« Je n'étais pas à une barricade. Pourquoi vous êtes-vous excusé sur le pont ? Vous étiez désolé de ne pas m'avoir sauvé cette nuit-là. Quelle nuit ? Je ne vous connais pas !
- Vraiment ? Javert ! Vous ne me reconnaissez pas ? »
C'était au tour de Valjean de paraître paniqué. Javert l'examina attentivement, les yeux si proches du visage du vieux forçat. Reconnais-moi ! C'est moi !
« Je ne vous connais pas !
- Vraiment ? Javert ! Je vous en prie ! Nous nous connaissons depuis si longtemps...
- Que savez-vous de moi ? »
Un test ?
« Peu de choses en vérité. Vous êtes né en prison d'un for...prisonnier et d'une gitane. Vous avez été gardien de prison à Toulon. Vous avez été inspecteur de police à Montreuil-sur-Mer. Vous avez dénoncé le maire de cette ville comme ancien prisonnier. Vous avez demandé à être renvoyé et il vous a conservé à votre poste. Vous étiez un homme d'honneur et de devoir. Vous l'avez vu soulever une charrette et sauver un homme de la mort. Mince ! Je ne sais pas où vous en êtes aujourd'hui ? La Maison Gorbeau existe-t-elle toujours ? »
Javert était devenu livide. Il regardait Valjean avec une stupeur mêlée d'horreur.
« Comment...comment savez-vous tout cela ?
- Parce que je vous connais !
- Vous... Il vous a envoyé c'est cela ? Madeleine ? Vous avez été envoyé par ce criminel pour me sauver. Je...
- Non, non.
- C'est la seule explication. Il est le seul à savoir. Ma naissance. Ma demande de renvoi.
- Donc je vous connais !
- Les événements sont bons mais les noms sont faux.
- Vous n'avez pas été à Toulon ?
- Ni à Montreuil. Je ne suis jamais allé en France.
- Vous parlez admirablement bien français pourtant ?!
- J'ai appris dans les orphelinats où j'étais. Et j'avais des prédispositions pour cette langue. »
Normal ! C'est ta langue natale Javert ! Ta langue !
« J'ai rencontré John Madeleine à la prison de Miami. Il était condamné pour avoir volé...
- Un pain !, compléta naturellement Valjean.
- Il a pris cinq ans car il faisait partie d'une bande de voleurs.
- FAUX !
- Il s'est évadé plusieurs fois.
- Dix-neuf ans de prison...
- Je l'ai retrouvé à Albuquerque. Maire de la ville sous le nom de John Fauchelevent. J'étais le lieutenant-principal.
- Et Fauchelevent ?
- Fauchelevent a soulevé une voiture pour sauver un type. Il avait la force de ce prisonnier. John Madeleine. »
La boucle était bouclée et tous les alias de Valjean avaient été utilisés. Dans le désordre mais tous présents. Il ne manquait qu'Urbain Fabre mais il n'avait jamais utilisé ce nom.
« Et vous l'avez dénoncé ! Après avoir tenté d'arrêter une prostituée et que Madeleine vous a empêché de le faire. Vous avez reçu une lettre vous traitant de fou et vous avez demandé votre renvoi. Le maire a refusé et vous a forcé à rester à votre poste. »
Cette fois, Javert se leva du canapé et s'éloigna de Valjean. Il devenait menaçant.
« A quel jeu tu joues Valjean ? Il t'a envoyé pour me sauver ou pour me tuer ?
- Il ne m'a pas envoyé !
- Ce n'est pas possible autrement ! »
Une illumination eut lieu.
Bien sûr que Javert ne pouvait pas le croire sur parole et Valjean était idiot de vouloir le convaincre de l'impossible.
« Y a-t-il une rue de l'Homme-Armé dans cette ville ?
- Non mais il y a un café de l'Homme-Armé.
- Demain ! Demain, je vous y emmènerai et vous aurez vos réponses.
- Pourquoi pas ce soir ?
- Parce que ce soir vous êtes fatigué, je suis fatigué, vous avez tenté de vous tuer et je vous ai sauvé. Je dois vous surveiller. »
Un nouveau ricanement, plein de dérision. D'amertume.
« Et vous allez me border aussi ?
- Vous n'êtes pas bien portant Javert. Je vais vous donner un des médicaments dont parlait le lieutenant Gregson. Vous allez manger et dormir.
- Je n'ai pas sommeil ! Je n'ai pas faim ! Je veux mes réponses !
- Vous n'aurez rien de plus ce soir Javert ! »
La voix avait claqué. M. Fauchelevent ! Javert s'était redressé imperceptiblement. L'inspecteur en chef soumis à son supérieur hiérarchique.
Ce fut un coup au cœur pour Javert, cette manière instinctive de réagir. Il examina Valjean puis sembla en prendre son parti. Il s'approcha et tendit la main.
« Filez-moi un somnifère. Je vais me coucher.
- Et le repas ?
- Je m'en fous. »
Valjean voulut discuter mais Javert laissait sa main tendue. L'ancien forçat sortit le petit paquet et l'ouvrit. Il n'y avait que deux ronds blancs. Il en prit un et allait le déposer au-milieu de la paume. Ce fut alors qu'il remarqua la main tremblante du policier, les doigts crispés.
« Javert, souffla-t-il. Vous allez bien ?
- Filez-moi ce putain de cachet et allez au diable ! »
Valjean obéit et il vit Javert prendre le cachet, le glisser dans sa bouche et finir d'un geste sa bouteille de bière.
Ceci fait, le policier s'en alla sans rien dire. Il disparut dans une pièce dont il claqua la porte. Valjean eut tout à coup peur pour le policier et le suivit.
Il le retrouva dans une chambre en train de contempler la fenêtre. La nuit.
« Dehors !, souffla Javert, las.
- Je voulais juste savoir...
- DEHORS ! Je ne vais pas me tuer avec un oreiller, ni me pendre au lustre.
- Bien... Bonne nuit Javert... »
Valjean sortit sous les rires affligeants de l'inspecteur...du lieutenant... Puis l'ancien forçat s'étendit sur le canapé. Examinant avec intérêt le grand miroir noir sur le mur.
Mais dans quel monde magique et pourtant terriblement familier se retrouvait-il ?
Il avait du dormir. Des heures ? Sans doute pas. Ce fut le bruit qui le réveilla. Un claquement clair.
Il se redressa et constata qu'on avait déposé sur lui une couverture. Délicate attention. Valjean se leva et s'étira.
« Café ?, demanda une voix un peu plus sereine que la veille.
- Ce ne serait pas de refus. »
Valjean rejoignit Javert. Le policier était assis sur une chaise haute, comme un tabouret. Devant lui il y avait deux tasses de café chaud et du pain. Des œufs. Du jambon. Du fromage. De la confiture. Valjean avait faim et en fut gré pour le policier.
« Merci Javert.
- Je n'ai pas de viennoiseries. Servez-vous !
- Et vous ?
- Pas faim. Juste du café et un morceau de pain. Amplement suffisant. Et une cigarette. »
Sans écouter les remarques de Valjean, Javert saisit sa tasse et fila s'asseoir sur le canapé. Prestement, il fit réapparaître les images parlantes sur le miroir. Valjean le rejoignit, à nouveau sous le charme.
Et tout à coup, Valjean entendit son nom ! On parlait de sa conférence et du scandale qu'elle avait provoqué dans les hauts lieux de la politique.
« Vous avez donné la parole à ces idiots ?, demanda Javert, surpris.
- J'ai réussi à obtenir... »
Et Valjean se tut, choqué de ce qu'il s'apprêtait à dire. Il n'était pas prudent d'avouer au policier que c'était le prix de sa vie. Laisser parler les étudiants !
« J'ai réussi à obtenir que les manifestants aient le droit de s'exprimer. »
Un reniflement de dédain et Javert lança :
« Ils ont déjà bien assez de suiveurs comme cela sur Facebook ou Twitter. »
De nouveaux mots inconnus. Valjean souriait, silencieux. Il écoutait le discours de l'homme à l'écran. Il était en train de parler de la manifestation.
Et puis...
Et puis il évoqua les événements qui avaient eu lieu dans le Bronx la veille. Javert se crispa et parut gelé sur place.
« Une fusillade a eu lieu dans le Bronx hier en fin de journée. Un mort et trois blessés graves. Une guerre de gang certainement. Un policier pris à partie a été sauvé in extremis par un promeneur. Courageux, l'homme n'avait pas hésité à parlementer avec les criminels et à risquer sa vie pour sauver le policier. L'identité des deux hommes n'a pas encore été découverte. Si jamais...
- Il s'agissait de Madeleine et de ce connard de Javert ! »
Javert jeta violemment sa tasse contre le mur.
« PUTAIN ! »
Javert se laissa tomber en avant. Les bras devant lui, enserrant sa tête. Il souffrait atrocement.
« Une vie consacrée à l'ordre. La loi. Il a tout bousillé. Il devait me tuer. Car c'est ainsi. C'était son droit.
- Javert... Vous devriez vous reposer.
- Une vie de merde ! Voilà ce que je suis ! Autant mourir ! Je me croyais un bon flic. Irréprochable.
- Javert ! Vous êtes un bon policier. »
Valjean regrettait d'avoir insisté pour rester près de Javert. En fait, il ne le connaissait pas. Il connaissait sa vie, la sienne, leurs interactions, mais il n'avait pas assisté à sa crise de conscience. Puis Valjean songea à Paris.
Mais ce que murmura Javert le décontenança :
« Qui es-tu ? Valjean ! Ce nom ne me dit rien et cependant... A force de le répéter... Valjean ! Il me semble familier. Mais... Comme quelque chose de très éloigné. Nous nous sommes rencontrés ?
- En France !, dit aussitôt Valjean.
- Je n'ai jamais été en France.
- A Paris !
- C'est une histoire de fou ! Comment Madeleine a-t-il pu savoir que j'allais me tuer ? Comment a-t-il pu t'envoyer me sauver ? Que ce soit à l'entrepôt Musain ou au pont de Brooklyn ?
- Il s'agissait de l'entrepôt Musain ?
- Oui, bien entendu. C'est là que les Amis de l'ABC se réunissait. J'étais sur leur piste depuis des semaines. Un gamin m'a reconnu et m'a dénoncé.
- Où est Gavroche ? »
Javert sursauta. Valjean était indéfinissable. Comment savait-il cela ?
« Le nommé Marius l'a renvoyé chez lui. Pour ne pas qu'il se fasse tuer.
- Bien ! »
Mieux que la dernière fois.
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