Scène V

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Un an ! Il avait attendu un an au bagne avant de pouvoir s'enfuir. Il s'était élancé pour sauver la vie de ce marin à bord de l'Orion puis s'était laissé tomber dans l'eau. Mourir noyé plutôt que de mourir enchaîné au bagne. Ses chances de survie avaient été moindres et il avait survécu.

Et la petite était là. A ses côtés. Face à l'inspecteur Javert qui semblait perdu. M. Madeleine le regarda en face, pleinement. Des yeux gris contre des yeux bleus.

Hé oui, inspecteur, parfois les criminels n'en sont pas vraiment et il y a des circonstances atténuantes...

« Vous allez bien Javert ?, fit le maire, perfidement.

- Oui, monsieur le maire, répondit humblement le policier.

- A la bonne heure. »

La petite Cosette bâilla à s'en décrocher la mâchoire. M. Madeleine la prit dans ses bras, heureux de sentir à nouveau ce poids plume entre ses bras. Il ne l'avait pas senti depuis des années.

« Une chambre, Javert. Vous pouvez me trouver cela ?

- Oui, monsieur le maire. »

L'inspecteur se leva et docilement mena son supérieur jusqu'à une chambre. L'aubergiste, une femme ronde et grasse avait prévu deux chambres pour les deux hommes. Un petit matelas avait été ajouté dans l'une d'elle. Il ne fallut qu'un instant pour que Cosette soit couchée, bordée, elle était déjà profondément endormie...

Les deux hommes la laissèrent seule.

Ils avaient à parler, n'est-ce-pas ?

Sans se concerter, ils quittèrent l'auberge. Ils s'installèrent, les bras appuyés sur une barrière, le nez en l'air, oubliant le froid et l'humidité. Il neigeait maintenant. M. Madeleine se sentait tellement soulagé. Il avait rarement ressenti cette sensation de paix dans sa vie.

« Du tabac à priser, monsieur le maire ?, proposa Javert.

- Pourquoi pas ? Merci Javert. »

Il ne savait pas priser mais il regarda le policier le faire. Mettre le tabac sur le plat de sa main, l'aspirer et éternuer et il l'imita...avant d'éternuer violemment. Un feu lui brûlait tout le système respiratoire.

« Seigneur ! Mais c'est horrible ! Comment faites-vous ? »

Javert rit. Il ne riait pas souvent mais la scène était amusante. Et voir le maire, si composé, le visage rougi et les yeux larmoyants valait le détour.

« Vous manquez d'entraînement, monsieur.

- Vous prisez beaucoup ?

- Pas assez souvent. Je ne prise que lorsque je suis content ou satisfait de mes affaires.

- Pas assez souvent ?

- Je n'ai pas beaucoup de raisons d'être satisfait, monsieur.

- Pourquoi ? »

Javert souriait. Il ne voulait pas répondre. Il songeait à la petite fille sauvée par M. Madeleine et...lui-même... Il avait fait quelque chose de bien aujourd'hui et une fois de plus c'était grâce à cet homme étrange.

« Connaissez-vous Toulon, M. Madeleine ?

- Non, inspecteur.

- J'y ai été garde-chiourme, je vous l'ai dit.

- Et alors ? »

Il faisait beau dehors. La nuit était profonde, les étoiles brillaient, il neigeait. Javert avait rangé sa tabatière, il regardait le ciel.

« Je suis désolé, monsieur le maire mais je me dois d'insister.

- A quel sujet ?

- Mon renvoi. Je ne suis pas digne de l'uniforme que je porte.

- Que ferez-vous ?

- J'ai quarante ans, des bras, je travaillerai la terre. Qu'importe ?

- Pourquoi insistez-vous ? »

Javert soupira.

« Vous m'avez empêché de commettre plusieurs fautes graves, monsieur. Une femme malade cruellement arrêtée, une enfant laissée à l'abandon, un homme injustement condamné, un rapport diffamant un maire bon et honnête. Je pense que la mesure est pleine. Je dois être chassé.

- Vous ne voyez que les erreurs Javert. Je vois pour ma part un policier intègre, un peu trop vif peut-être, mais courageux, dévoué, droit.

- Monsieur, je vous en prie.

- Vous avez mis fin à la contrebande à Montreuil, vous avez diminué le crime dans ma ville, vous contribuez au calme et à la paix. Javert, vous êtes un excellent policier et un excellent chef de la police. Je ne saurai me passer de vos services.

- Monsieur, s'il vous plaît... »

Javert ne put finir sa phrase. Deux lèvres lui avaient coupé la parole et lui prenaient son souffle. Il n'était pas un pédéraste. Il n'avait jamais été attiré par les hommes. Et cependant, il répondit au baiser avec ardeur. Deux mains fortes saisirent la taille de M. Madeleine pour le rapprocher.

« A quel jeu jouez-vous monsieur ?

- Je ne sais pas..., murmura M. Madeleine.

- Je n'ai jamais... Je...

- Moi non plus. »

Un fin sourire sur les lèvres, Javert embrassa à nouveau la gorge de son supérieur.

« Alors tu n'étais pas honnête dans ma chambre !? Pourquoi as-tu fui ?

- Je ne savais pas comment tu allais réagir... Je ne sais toujours pas si tu es honnête, toi.

- Une preuve ? C'est ce que tu désires de moi ?! »

Un halètement lui répondit lorsque Javert avait saisi une des mains de M. Madeleine pour la poser fermement sur son sexe. Dur, gonflé. Oui le policier ne jouait pas. Peut-être au départ c'était le but, mais il avait changé.

« Et maintenant ? Me crois-tu ? »

M. Madeleine ne put rien dire lorsque Javert relâcha sa main pour glisser ses doigts sur son entrejambe, tâtant la dureté qui tendait le pantalon de monsieur le maire.

« Bien, je vois que nous sommes tous les deux honnêtes ce soir.

- Javert... Dieu, Javert... Il ne faut pas...

- Mon prénom est Fraco. Quel est le tien ?

- Jean..., » gémit M. Madeleine.

La main de Javert se faisait plus entreprenante et le malheureux maire était submergé. Si Javert jouait avec lui, il devait être pleinement satisfaisait. Une bouche revint sur la sienne et le baiser se faisait plus profond.

« Jean... Je l'aurais parié, n'est-ce-pas ?

- Je t'en prie.

- Nous avons deux chambres. Veux-tu venir avec moi ? »

Est-ce que Javert jouait un rôle ? Putain, comme Valjean aurait aimé le savoir. Il se cambrait dans le toucher de Javert. Il ne le croyait pas lorsqu'il affirmait n'avoir jamais fait cela.

« Nous sommes devenus fous.

- Le veux-tu Jean ?

- Oui... »

Et cela sonna comme une reddition.

La chambre de l'inspecteur Javert était petite mais propre. Le policier avait pris les devants mais une fois devant le lit, il perdait de son assurance.

C'était vrai qu'il n'avait jamais couché avec quelqu'un et surtout pas avec un homme. La sodomie, la fellation, la pédérastie, toutes ces pratiques contre-nature dont il avait été le malencontreux témoin au bagne l'avaient dégoûté de l'amour. Il avait usé avec joie de sa matraque à Toulon pour punir tous ces dépravés. Et aujourd'hui, il était en train de jouer la même comédie de l'amour.

Sauf qu'il désirait furieusement l'homme dans ses bras.

Il avait donc puni à tort dans le bagne aussi ?

Quant à M. Madeleine, il luttait pour reprendre pied. Profitant du calme relatif de son compagnon pour se reculer, lâcher les épaules du policier, se reprendre.

Dieu, il avait envie de Javert mais il crevait de peur de se déshabiller devant lui.

Et sa seule expérience sexuelle remontait à quelques jours. Il était encore trop novice dans ces jeux-là.

Avant que tout cela n'aille trop loin, M. Madeleine se voulut raisonnable.

« Ce n'est pas prudent, Javert. »

Ces mots réveillèrent le policier et le firent revenir à lui.

« Quoi ? Que nous baisions ou que nous le fassions ici ? »

Les mots crus déplurent à M. Madeleine mais ils ne faisaient que refléter la réalité.

« Les deux ! »

Javert eut un rire un peu hystérique. Non, ce n'était pas prudent. Lentement, le policier retira son col de cuir puis son uniforme, faisant glisser le tissu épais sur ses épaules. Dévoilant à nouveau la chemise blanche. Séducteur ?

« Que veux-tu exactement Madeleine ?

- Ce n'est pas prudent, répéta le maire de Montreuil, pâlissant.

- Alors retourne dans ta chambre. Je ne saurais trop te conseiller de dormir avant de retrouver tes responsabilités de maire et de directeur. »

Javert ne s'approcha pas de Madeleine. Il était fatigué. Puisque cet homme impossible ne savait pas comment agir avec lui, il n'allait pas jouer les chiens excités par une chienne en chaleur.

« Javert... Je suis désolé...

- Bonne nuit, monsieur.

- Bonne nuit... Inspecteur... »

Ce fut une nuit difficile. Valjean la passa au côté de la petite Cosette endormie avec sa poupée dans ses bras. Son petit ange. Il mit longtemps à s'endormir mais il était tellement heureux de retrouver sa fille...et tellement énervé par Javert...

Le lendemain eut lieu la même scène que la veille.

Les deux hommes prirent leur petit-déjeuner en chiens de faïence, laissant Cosette entre eux à dévorer le pain et le lait.

La diligence allait emporter tout le monde en direction de Montreuil.

M. Madeleine n'était pas mort. Son usine fonctionnait toujours. L'inspecteur était muselé.

Le voyage en diligence fut une épreuve. La tension était palpable entre les deux hommes. Cosette, inconsciente, se sentait de plus en plus en confiance et se rapprochait de plus en plus de M. Madeleine. Elle l'aimait déjà.

Mais les deux hommes ne se supportaient plus, c'était visible.

Javert restait droit et stoïque, assis comme une statue et Valjean, silencieux et discret, était un fantôme... Écho d'un futur voyage en diligence après les barricades...

A Montreuil, le policier salua avec déférence son supérieur hiérarchique et rejoignit aussitôt son poste.

M. Madeleine fut accueilli à bras ouverts par Sœur Simplice et put présenter sa fille à Fantine. La malheureuse pleura de joie en retrouvant son enfant. Peut-être allait-elle survivre ?

Les jours passèrent.

Maintenant Jean Valjean ne savait pas ce que le futur lui réservait. Normalement, il aurait du se retrouver à Toulon. Marqué au fer rouge, enchaîné et menotté. Jean-Le-Cric de retour au bagne.

M. Madeleine poursuivait ses tâches. Il organisait la ville, gérait son usine, parlait enfin d'agrandissement... Il voulait adopter la petite Cosette, malgré les rumeurs qui se diffusaient en ville sur lui et la prostituée. Cosette était considérée comme sa fille naturelle. Le maire n'en avait cure. Même si cela lui coûtait son mandat. Il n'en avait jamais voulu.

Cosette vivait chez lui, lui redonnant le sourire et le rendant heureux. Tout le monde le vit dans Montreuil.

Le maire, si taciturne, si malheureux, était enfin heureux. Et cela était du à cette petite fille sortie de nulle part. On en fut content. Le maire était toujours bien aimé de ses administrés.

Quant au chef de la police, c'était une autre histoire.

L'inspecteur Javert était l'efficacité faite homme. On commençait à parler de lui avec respect, avec crainte aussi. L'homme était partout. Il se tuait à la tâche, prenait des quarts de travail à rallonge, négligeait sa santé. Dévoué au travail et à son poste. Il multipliait les enquêtes, les surveillances, les arrestations. Il protégeait avec hargne les habitants de Montreuil, se mettant lui-même en danger pour eux. Il avait même accepté de travailler pour une autre municipalité, gérant deux postes pour ne plus arpenter les pavés de Montreuil à chaque heure de sa vie. Il fut remarquable et imprudent. Le maire en reçut des échos du fond de sa mairie. On le félicita d'avoir un chef de la police aussi exceptionnel. On lui proposa même de l'échanger, comme si Javert n'était qu'un simple cheval de travail.

« Trois jours. Monsieur le maire. L'inspecteur est à son poste depuis trois jours sans avoir pris un peu de repos.

- Je vais lui en parler Walle. »

L'inspecteur Walle était un homme pondéré, assez corpulent, très loin de la frénésie de Javert. Mais il manquait d'intelligence et ne savait pas voir plus loin que le bout de son nez, contrairement à son chef, bien plus clairvoyant. Là, il était venu voir le maire en désespoir de cause, assez inquiet pour son chef.

« Monsieur l'inspecteur n'a jamais été prudent mais hier soir, il a failli y rester. Il ne dort pas assez monsieur et ses réflexes s'en ressentent.

- Je vais le convoquer. Amenez-le moi ! »

L'inspecteur Walle hocha la tête, content de voir le maire se charger aussitôt de son problème. Le chef de la police avait évité de peu une blessure mortelle au couteau la veille au soir, une simple bagarre de taverne mais le policier était clairement épuisé. Il ne s'était pas reculé assez vite et l'arme avait frappé l'épaule.

Une blessure sans gravité.

Un coup de chance que la poitrine ne fusse pas touchée. Mais c'était le signe qu'il fallait que Javert lâche du lest et prenne un congé pour raison de santé.

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