Scène XVIII
Valjean reçut la visite de sa sœur et de son mari. Enceinte et accompagnée de ses filles. On découvrit l'histoire de cette malheureuse et de ses sept enfants. On comprit enfin la raison pour laquelle un homme aussi gentil que M. Jean Valjean avait pu aller au bagne.
Le mari était un policier.
Donc M. Valjean était un homme honnête ?
Le forçat ne put s'empêcher de rire lorsqu'on lui proposa d'entrer au conseil municipal.
Jean Valjean attendait avec impatience l'arrivée de Fantine à Montreuil-sur-Mer. Il allait lui offrir un poste, peut-être la marier ? Faire venir Cosette, peut-être l'adopter ?
Il rêvait tellement de sa petite Cosette.
Le temps passait si vite.
Trois ans.
Ce devait être sa dernière vie.
Javert se faisait rare. Le sergent travaillait dur. Il écrivait de façon erratique.
Ils ne se virent qu'une fois en trois ans.
Un voyage inattendu à Montreuil-sur-Mer.
Un homme demandant à rencontrer M. Valjean, le patron de l'usine de verroterie.
Quelques minutes d'attente dans un hall encombré de boîtes et d'outils.
Et enfin, un sourire professionnel destiné à accueillir un visiteur se transformant en un soleil éblouissant.
« Fraco ?
- Bonjour, M. Valjean. »
Cabotin, Javert se rapprochait lentement, histoire de faire admirer son uniforme neuf. Ses boutons brillants, son bicorne à cocarde tricolore, sa canne à pommeau plombé, ses bottes bien cirées, son épée d'officier...
Inspecteur de police !
« Tu as réussi ?, s'enquit Valjean, en souriant tellement que son visage pouvait se fendre.
- Inspecteur de troisième classe, opposa humblement le policier.
- Merde ! Allons fêter cela !
- Avec plaisir ! »
Ils ne s'étaient pas vus depuis trois ans.
Javert était un beau jeune homme maintenant, dans toute sa force, musclé par les patrouilles et la dure vie d'un policier, un peu trop maigre peut-être mais le salaire d'un policier était misérable. Valjean se promit de le nourrir avec soin durant son séjour à Montreuil-sur-Mer.
Valjean fit visiter la ville à son compagnon, lui montrant fièrement les remparts, l'usine, la rivière, le port. Déjà M. Madeleine dans son esprit.
Dans dix ans, Javert serait nommé en poste à Montreuil comme chef de la police. Non ?
Javert ne resta que trois jours.
Les deux hommes ne purent se permettre qu'une nuit d'amour dans la chambre louée de Jean Valjean. Les murs avaient des oreilles, les rues avaient des yeux, les gens étaient d'incorrigibles bavards.
Une seule nuit d'amour, la dernière nuit passée par l'inspecteur Javert à Montreuil. Les autres nuits, il fallut se contenter de dîner, de conversations, présenter le policier au chef de la police de Montreuil-sur-Mer, à M. Fauchelevent... Perdre un temps précieux en mondanités.
Oublier le goût de la peau de l'autre le temps d'un verre de vin.
Et rejoindre le néant.
Une nuit d'amour, quelques baisers, quelques caresses avant que le policier ne rejoigne son auberge la nuit encore jeune.
Trois ans !
L'Empire dominait la France. Le Consulat était mort et Napoléon Ier dirigeait en roi absolu. Les lois changeaient, le Code Napoléon régnait en maître. La police embauchait mouchards et indicateurs. On était moins amical avec l'ancien forçat, Jean Valjean.
Les hommes ne changent pas... Javert avait raison en fait.
Sous couvert de M. Fauchelevent, Valjean commença à moderniser la ville. La première école de charité fut ouverte puis il fut question d'un hôpital.
Valjean rencontra Sœur Simplice et les deux âmes pieuses se plurent aussitôt.
Et cependant, trois ans n'étaient rien face aux années qu'il restait à attendre avant de retrouver Fantine, Cosette...Javert...
Tout à coup, pour la première fois, Valjean se demanda s'il voulait vraiment vivre cette vie...
Cette seule nuit d'amour en trois ans fut un beau moment.
Javert avait dévoré des yeux Valjean tout le temps du repas, écoutant d'une oreille distraite les explications alambiquées de l'associé de Valjean et ancien patron, M. Fauchelevent. L'usine, la ferme...oui, oui... C'était sans intérêt pour le policier au regard des yeux d'azur de son amant. Valjean était si beau. Assis à table, face à lui, dans un costume sur mesure, d'une couleur gris anthracite. Sa barbe grisonnante était bien coupée et ses lèvres pleines étaient rougies par le vin.
Il était magnifique et inconscient de l'effet qu'il avait sur le policier. Enfin, il semblait.
Les deux dernières nuits avaient été chastes, un baiser volé dans une ruelle à proximité de l'auberge de Javert. Rien de plus. Trop de danger, trop de passants, trop ostensibles. Valjean ne possédait qu'une petite chambre meublée, rien de vraiment adapté à un amour illicite.
Javert logeait dans une des rares auberges de la ville mais chacun savait son métier, on le connaissait maintenant comme l’ami de M. Valjean. Dangereux !
Mais putain ! Trois ans !
Les journées avaient été consacrées à des promenades, des visites. Le gendarme, M. Magnier, fut content de montrer à ce jeune inspecteur de police comment diriger un poste de police. Les deux hommes avaient été séparés la plupart du temps, il y avait l'usine, le domaine agricole, la mairie... Et ils n'étaient que deux amis.
Déjà la visite du bureau de M. Valjean à son usine avait provoqué un rougissement si intense de ce dernier que son associé, M. Fauchelevent et son secrétaire, M. Brissac, s’étaient inquiétés pour lui.
« Tu veux de l’eau Jean ?, demanda l’aîné, inquiet.
- Vous voulez un peu d’alcool, monsieur ?, ajouta M. Brissac, prêt à partir quérir le médecin.
- Non, non. C’est juste la chaleur des fours, expliqua Valjean maladroitement.
- Nous y sommes restés trop longtemps, c’est vrai, rétorqua M. Brissac, soulagé.
- Un verre d’eau te fera du bien tout de même, » conclut M. Fauchevelent, d’une voix autoritaire.
Attentionné M. Fauchelevent. Il alla chercher de l’eau, demandant à un des employés de l’usine, affolant les ouvriers à l’idée que le patron soit malade. Mais comment avouer la vérité ?
Valjean ne faisait pas de malaise. Il avait juste capté le regard intéressé de Javert en visitant son bureau. La brusque montée du désir visible dans les yeux clairs de son amant à la vue de son bureau.
Un meuble large, épais, en bois solide...juste ce qu’il fallait pour que le policier puisse baiser le patron dessus.
Et c’était cette pensée inappropriée qui l’avait fait rougir, surtout en sentant l’excitation le prendre. Javert avait tout compris bien entendu, il souriait, amusé tandis qu’il se plaçait prudemment derrière le meuble. Cachant sa propre excitation en se livrant à un examen plus poussé du bois de qualité du bureau du patron de l’usine.
« Un beau meuble n’est-ce-pas ?, lui avait demandé fièrement le secrétaire.
- Un meuble solide, répondit sobrement le policier, les dents serrées pour ne pas dévoiler le baryton profond de sa voix, rendu rauque par le besoin.
- Du chêne massif ! Un meuble que ne déjugerait pas l’Empereur lui-même.
- Certes. »
Laconique mais il fallait se calmer sinon la scène deviendrait outrageante. Valjean but avec avidité l’eau fraîche apportée par Fauchelevent, il remercia avec effusion l’employé qui s’en était chargé. Parler en tant que patron le calma.
Surtout s’il évitait de regarder Javert, penché ostensiblement au-dessus de son bureau, un sourire illisible sur les lèvres.
Salopard de Javert !
Valjean faillit s’étouffer avec le verre d’eau.
On abrégea la visite.
Ce soir était le dernier soir.
Demain Javert repartait pour Paris, rendre visite à son protecteur, recevoir les félicitations d'usage pour sa montée en grade et peut-être une nouvelle mutation. Quitter Marseille pour une autre ville. Peut-être Lyon ? Ou Montreuil-sur-Mer ?
Ce soir, Valjean avait rejoint Javert dans l'auberge de ce dernier. Une dernière partie d'échecs. Imprudent mais il fallait qu’ils se voient. Qu’ils s’aiment.
Une dernière partie d’échecs avant que Valjean ne quitte Javert pour de bon.
Ils se retrouvèrent nus l'un contre l'autre dans le lit du policier. Valjean gémissait fort tandis que le policier le caressait et le suçait avec vigueur. Des doigts cherchant sa prostate. Javert était devenu bon à ce jeu.
« Dis-moi si je te fais mal, soufflait Javert dans le creux de l’oreille du forçat.
- Continue… Je t’en prie… »
Un rire essoufflé. Ils avaient beaucoup bu ce soir et ils s’étaient aussi enivrés de se regarder toute la soirée.
« Impatient ! Je ne veux pas te faire de mal. »
Javert apprenait la retenue, il commençait à devenir un bon amant. Doux, attentionné et habile. Quelques doigts encore, une bouche pour clore des gémissements et Valjean n’était plus conscient de rien. Sauf du plaisir fulgurant qu’il ressentait, noyé dans une douleur délicieuse.
« Prends-moi ! Fraco !
- La prochaine fois je vous baiserai sur votre beau bureau, monsieur le singe [le directeur], » sourit l’argousin tandis qu’il abandonnait la lutte et s’enfonçait doucement dans Valjean.
Et ils durent taire leurs gémissements. Mordre leurs lèvres.
Imprudent ! Mais ils avaient besoin de faire l’amour.
Trois ans !
Dieu que c’était long.
Valjean levait les yeux et regardait le visage concentré et couvert d’une fine pellicule de sueur de son compagnon. Il le trouvait beau ainsi, les cheveux lâches retombant sur ses épaules et glissant sur son torse au mouvement rythmique, l’éclair de ses yeux gris n’apparaissant que fugacement, la peau sombre brillant à la lueur de la bougie.
« Je t’aime, » murmura Valjean.
Cet aveu réveilla Javert qui cessa de bouger pour se pencher vers Valjean et capturer sa bouche. Un baiser profond, sensuel, plus de langue qu’autre chose.
« Je t’aime, maudit forçat. Voyons si nous pouvons te faire perdre l’esprit, tu me sembles encore trop conscient des choses.
- Je ne suis conscient que de toi.
- C’est déjà trop ! »
Javert se retira tout à coup, surprenant Valjean, puis il le fit se coucher sur le ventre avant de le pénétrer à nouveau. Profondément.
« Et maintenant ? Arrives-tu encore à parler ?
- Dieu…, » gémit Valjean.
Un ricanement vite perdu dans le murmure d’un prénom.
« Jean... »
Les mains de Javert caressaient le dos, si large et si musclé de Valjean, suivant les cicatrices de coups de fouet, retraçant la colonne vertébrale… Un si bel homme. 24601… Puis il se coucha de tout son long sur son amant afin d’embrasser sa nuque, ralentissant les poussées, murmurant des paroles pleines de tendresse dans le creux de l’oreille.
« Je t’aime… »
Il ne fallut pas longtemps pour les amener au bord du précipice.
« Touche-moi… Fraco, je t’en prie... »
Une plaidoirie transformée en gémissement lorsque Javert força Valjean à relever une jambe afin de lui laisser accéder à son entrejambe. Ses longs doigts s’enroulèrent autour de son sexe et caressèrent durement.
Il ne fallut pas longtemps pour les amener à perdre pied dans le plaisir.
Valjean fut défait le premier, les doigts de Javert serrant toujours sa bite et la branlant efficacement, Javert le suivit de près, l’orgasme de Valjean déclenchant le sien.
« Mon Jean… Mon tendre... »
Il était rare que Javert se permette de tels surnoms, Valjean en fut tellement heureux.
« Je t’aime Fraco. »
Javert libéra doucement Valjean avant de se coucher contre lui, le forçant à se remettre sur le dos pour qu’il puisse s’étendre sur sa poitrine large de forçat.
« Je t’aime Jean... »
Imprudent mais le sommeil vint les saisir là.
Quelques heures volées à une vie...
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