Scène II
Cela ne demanda que quelques jours à Jean Valjean pour se retrouver à la porte de M. Toutain. A la surprise générale.
Oui, il se compromettait gravement.
Un maire s’abaissant ainsi à réclamer son chef de la police. C’était du jamais vu.
Mais il n’en avait cure. Il en avait soupé de cette situation et la colère le portait toujours.
D’ailleurs, il n’oublierait pas de sitôt le regard horrifié que Javert lui lança en le voyant entrer dans la salle à manger de M. Toutain. M. Madeleine, dans son imposant costume noir, se tenait debout, les mains dans le dos.
On se leva avec empressement pour l’accueillir.
Javert travaillait avec son patron à la gestion des comptes du domaine. Il était officiellement le contremaître maintenant, il avait obtenu le privilège d’être considéré comme le premier des employés de M. Toutain. D’ailleurs, d’autres employés étaient là, se tenant humblement devant le maître, attendant les ordres de son second.
Et il était vrai qu’on parlait de mariage entre la fille de M. Toutain et le fringant contremaître. Javert n’avait que quarante ans, une bonne moralité et il était célibataire. Que demander de plus ?
« M. Madeleine ?, lança M. Toutain avec surprise. Que nous vaut le plaisir de votre visite ?
- Un courrier de Paris à destination de l’inspecteur Javert, répondit M. Madeleine, en appuyant bien tous les mots.
- L’inspecteur Javert ?, » répéta M. Toutain, encore plus désarçonné.
On se tourna vers l’ancien policier déchu. Javert était livide, il s’approcha sans rien dire, saisissant la lettre que lui tendait le maire de Montreuil.
On nota le tremblement des mains du contremaître du patron. Cela fut peut-être ce qui surprit le plus le public présent. Jamais on n’avait vu Javert autant troublé.
Javert lut le courrier et eut une grimace de dégoût.
« Inspecteur de troisième classe ? Sous les ordres de mes anciens officiers ? On se fout de la gueule de qui ?
- Inspecteur en poste à Montreuil, rectifia M. Madeleine. Sous mon autorité.
- Jamais !, » asséna durement le policier.
Leurs yeux s’accrochèrent. Le gris contre le bleu. Un rappel de la scène avec Fantine, n’est-ce-pas ?
« Javert ! Vous allez revenir à Montreuil ! C’est un ordre de votre supérieur ! »
Javert se mit à rire, dédaigneux.
« Merde Madeleine ! Je ne suis pas un chien à votre botte ! »
On commençait à comprendre la situation. Javert était parti pour incompatibilité d’humeur. Il était visible qu’il en fallait peu pour que les deux hommes se jettent l’un sur l’autre.
On comprenait encore moins la décision de M. Madeleine.
« J’ai demandé votre retour dans la police Javert car je ne veux pas que vous démissionniez par ma faute. Vous êtes un bon policier ! Le meilleur ! D’ailleurs le préfet de police a accepté votre retour et M. Chabouillet vous soutient toujours. »
M. Madeleine n’était conscient de rien. Valjean voyait son amant le refuser avec rage et cela le fouettait. Mais Javert était un peu plus conscient de la situation.
Il y avait M. Toutain, son patron, qui les observait, estomaqué. Jamais Javert ne lui avait répondu ainsi, un homme si dévoué et respectueux.
Il y avait les employés de M. Toutain, ses anciens collègues devenus ses subalternes. Ils le regardaient, goguenards, surpris, incrédules. Il allait perdre toute crédibilité s’il poursuivait ainsi.
« M. Toutain, pourrais-je me permettre de quitter la salle, monsieur ?
- Bien entendu, Javert. Une discussion avec M. Madeleine dans un endroit tranquille me semble indispensable. Prenez votre temps, messieurs. »
Voilà pour la bienséance.
Javert s’inclina respectueusement, se jurant de rattraper cette scène déplorable plus tard. Il quitta ensuite non seulement la salle à manger mais la maison elle-même, entraînant derrière lui M. Madeleine, accroché à ses pas, encore furieux de leur échange.
Convaincre Javert de revenir.
Il allait le faire ! De gré ou de force, Javert allait revenir dans sa vie et dans son lit.
Foi de Jean-le-Cric !
Il en avait soupé de ses vies qui les faisaient se croiser sans jamais vraiment s’aimer posément.
Javert réfléchit un instant. Où emmener Valjean pour discuter sans témoin avec lui ? Il n’était pas stupide, il se doutait de la tournure qu’allait prendre leur échange. Ils allaient hurler, se battre, peut-être baiser.
Le policier réfléchit puis prit une décision. Il entra dans l’écurie et sortit deux chevaux de leurs stalles. Il les prépara le plus rapidement possible.
« A cheval monsieur le maire ! Je vous emmène en balade !
- Javert ! Nous devons parler !, grogna Valjean.
- Pas ici ! Il y a des cabanes de berger abandonnées dans les champs aux alentours. Nous y serons tranquilles.
- Soit ! »
Et ils montèrent à cheval avant de piquer un galop.
La colère les portait toujours alors qu’ils poussaient leur monture. Javert examinait les environs, cherchant un endroit calme et sûr.
Il préféra entrer dans une cabane perdue au-milieu de tout. La nuit allait tomber lorsqu’ils pénétrèrent dans la maison abandonnée, ouverte à tout vent, un toit abîmé montrant les étoiles mais une structure encore solide.
On attacha les chevaux à des poteaux vermoulus, désignant d’anciennes stalles à bestiaux. Puis Valjean bloqua la porte en déplaçant de lourds morceaux de bois, empêchant quiconque d’entrer...ou de sortir...
Javert le contemplait, les yeux étincelants toujours de rage.
« Ne va pas détruire la maison !, grogna l’argousin au forçat.
- Je sais ce que je fais, » répondit avec vigueur le forçat à l’argousin.
Puis, il se releva et essuya ses mains sur le costume de Monsieur Madeleine, salissant le tissu précieux avec de la poussière et de la crasse.
Ils allaient hurler, se battre et peut-être baiser. Il fut très vite évident qu’ils allaient commencer par la fin au regard du baiser possessif que Valjean donna à Javert, ravi de la réponse toute aussi chaude de ce dernier. Ensuite, Valjean repoussa Javert jusqu’à ce que son dos percute violemment le mur de pierre, le faisant gémir de douleur. Il l’épingla brutalement, retenant ses mains et glissant sa cuisse entre ses jambes, forçant Javert à les écarter pour lui.
Javert luttait mais la force de Jean-le-Cric était bien au-delà de ses capacités, il était submergé. Valjean se pencha pour conquérir les lèvres de Javert, pillant sa bouche, mordant sa langue.
« Je vais te baiser si fort, souffla le forçat dans le creux de l’oreille du garde-chiourme, que tu vas me ressentir durant des jours. A chacun de tes pas.
- Que de la gueule !, » grogna Javert avant de reprendre la bouche de Valjean, mordant férocement la lèvre inférieure, presque à tirer du sang.
Le forçat était fort, il bloqua d’une main les doigts de Javert avant de se charger de son propre pantalon, l’ouvrant avec violence, dévoilant son sexe dur et gonflé.
« J’ai risqué ma liberté pour toi, salopard. Je suis allé à Paris voir ton minable préfet et j’ai exigé ton retour. Je me suis abaissé pour toi ! MOI !
- Dieu…, je ne t’ai rien demandé... »
La bouche de Valjean se faisait vicieuse, elle mordait fort le cou du policier, aspirant la peau. Il voulait le marquer.
« Ils refusaient de m’obéir ! Le crois-tu ? J’ai tapé du poing, j’ai hurlé ma colère.
- On ne peut pas tous te céder, hein Madeleine ? Moi comme les autres !
- Je me serais perdu pour toi. Et tu oses me refuser ? »
Le pantalon baissé sur les cuisses, Valjean se recula, laissant un peu d’espace à Javert. Juste ce qu’il fallait pour le déshabiller à son tour. Sans douceur.
« Mets-toi nu !, » ordonna Valjean, les mains se posant de chaque côté de Javert, sa bouche revenant taquiner sa nuque.
Javert gémit mais se soumit. Il retira ses bottes de son mieux, puis son pantalon, ses bas. Il aperçut la virilité impressionnante de Valjean et s’inquiéta de ce qui allait se passer. Tout à coup, il eut peur de la suite, la colère disparut pour laisser la place à l’appréhension.
« Tu as de l’huile ?, demanda-t-il pour reprendre le contrôle sur la situation.
- Debout ! »
Javert se redressa, droit contre le mur. Il n’était plus si sûr de lui. Mais Valjean était hors de lui, il ne voyait que Javert, il ne se souvenait que de son refus de le suivre, il se rappelait avec âcreté de toutes ces vies passées à danser l’un autour de l’autre. D’un geste assuré, Valjean saisit la taille de Javert et le souleva de toute sa force. Coincé contre le mur, Javert n’avait d’autre choix que de se laisser porter, ses jambes encerclèrent naturellement les hanches du forçat et ses mains se posèrent sur les épaules de ce dernier.
« Jean ? Doucement, je t’en prie.
- Tu mendies maintenant ? »
Une parole prononcée d’une voix dure et Javert sentit des doigts explorer sa fente. Glisser sur son anus. Le policier se contracta mais il ne pouvait rien faire.
« Calme-toi ou ce sera plus douloureux !
- Dieu, Jean. Non. »
Et les doigts de Valjean pénétrèrent d’un coup sec le corps de Javert. Ce dernier posa sa tête contre l’épaule de Valjean tandis qu’il était fouillé sans pitié par les doigts carrés et calleux du maire de Montreuil. Mais était-ce encore le maire de Montreuil ? Aujourd’hui, Javert avait affaire à Jean-le-Cric. 24601 voulait sa revanche.
« A Toulon, jeta haineusement Valjean. A Toulon, combien de fois tu m’as fait cela, hein Javert ? »
L’argousin ne répondit pas, il était à l’agonie. Nul plaisir ne se faisait ressentir, juste une douleur fulgurante et une honte sans fin. A Toulon, il utilisait du pétrole ou du suif. A Toulon, il ne faisait que son devoir et il le faisait vite et bien. A Toulon, il ne blessait pas et il prenait garde à bien laver ses doigts. Humidifier, lubrifier…
« Maintenant, à moi !, » grogna le forçat.
Valjean dégagea ses doigts sans douceur avant de glisser sa bite dans l’anus de Javert. Si serré, si chaud...si bon…
Et il força le corps de Javert à le prendre. Des poussées profondes, brutales. Valjean était tellement en colère contre Javert.
Il avait tout risqué pour lui. Sa position, sa liberté, Cosette… et ce jobard avait l’audace de le refuser avec mépris ?
Il allait payer et il allait obéir ! De gré ou de force, il allait le suivre à Montreuil.
Les poussées étaient profondes, si profondes. Valjean gémissait son plaisir à chaque coup, c’était bon ainsi debout contre un mur.
Est-ce que le Javert du XXIe siècle connaissait cela ?
Il se promit de l’essayer avec lui.
Mais au bout de plusieurs minutes, Valjean comprit enfin que quelque chose n’allait pas. Lui-même gémissait, murmurant le prénom de Javert, se perdant dans le plaisir de leur accouplement. Mais Javert ne disait rien.
Il avait laissé sa tête contre l’épaule de Valjean et il se taisait. Valjean ralentit ses mouvements et repoussa Javert contre le mur. Il voulait voir son visage. Il fut horrifié de ce qu’il vit.
Javert laissa sa tête cogner contre le mur, il avait fermé les yeux et des larmes coulaient sur ses joues, du sang tâchait ses lèvres, il s’était mordu jusqu’au sang. Valjean cessa aussitôt de prendre Javert, il se retira doucement.
« Fraco ? »
Javert ne répondit pas, il desserra lentement son emprise sur le forçat avec l’aide de ce dernier. Valjean jeta un regard paniqué autour de lui, il y avait du foin sur le sol. Des ballots assez anciens et pleins de poussière, il y étendit doucement son compagnon.
« Fraco ?, reprit Valjean, affolé. Je t’en prie, parle-moi ! Même si c’est pour me hurler dessus ! M’insulter. Je suis désolé. »
Il y avait eu des viols à Toulon.
Jean-le-Cric en avait été témoin.
Mais jamais la victime et encore moins l’investigateur.
« Je suis désolé…, » répéta Valjean, caressant les cheveux dénoués de Javert.
Précautionneusement, le forçat se rhabilla puis remonta le pantalon du policier. Javert se défendit mollement contre les mains le manipulant.
« Merde ! Je t’ai fait du mal ! »
Cela acheva de briser le forçat qui se mit à pleurer.
Les caresses dans ses cheveux et la voix effrayée qui lui parlait réveillèrent Javert qui revint à lui.
La vision des yeux bleus d’azur posés sur lui provoqua un mouvement de panique chez le policier. Javert tenta de se reculer mais la force de Valjean le retint encore.
« Putain ! Lâche-moi !, hurla Javert.
- Je suis désolé. Pardonne-moi !
- LÂCHE-MOI ! »
Valjean laissa partir Javert qui se releva avec une grimace éloquente. Valjean se releva à son tour et s’approcha calmement du policier.
« Il faudrait t’examiner, murmura le forçat. Laisse-moi voir, s’il te plaît.
- Tu ne me touches pas !
- Fraco…
- Tout cela pour ça ?! Tu voulais baiser un argousin ? M’enculer ?
- Mais non. Je voulais te faire l’amour. Je…
- Faire l’amour ?! Bon Dieu ! Tu mériterais que je te fouette jusqu’au sang 24601 ! »
Les chiffres furent crachés avec haine.
Valjean se laissa s’asseoir sur le foin, immensément las. Peut-être allait-il se réveiller à Montreuil en 1807 ? Ou à Paris en 2019 ? Il avait foiré cette vie.
Voyant son compagnon plus calme et vraiment incapable de monter à cheval pour le moment, Javert s’assit à son tour sur le foin.
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