Scène IV

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M. Toutain contemplait l’homme devant lui, le saint maire de Montreuil-sur-Mer et ne le comprenait pas.

Madeleine et l’inspecteur Javert semblaient aussi passionnés l’un que l’autre. On était en droit de se poser des questions sur la nature de cette passion.

« Vous êtes marié M. Madeleine ?

- Non, monsieur Toutain.

- Javert non plus. Il ne s’intéresse pas aux femmes.

- Si vous le dites. »

Un regard noir et sombre acheva de convaincre M. Toutain. Le patron se leva, il n’en avait que faire de la vie privée de son employé.

Il n’avait aucune plainte à formuler concernant le travail de Javert. Il devait être le seul à ne pas avoir baisé sa femme. Pas faute d’avoir essayé de le tenter, cependant. Cette foutue salope qui aguichait les hommes avec un sourire et un battement de cils.

Javert était toujours resté correct et froid en sa présence.

Oui, aucune plainte à formuler.

Et M. Madeleine retourna à Montreuil-sur-Mer par la première diligence possible.

Il avait disparu plus d’une semaine.

En fait, il retrouva ses fonctions de maire et de patron d’usine avec étonnement.

Aucune plainte venant de Paris.

Aucune enquête officielle contre lui.

Il fallait s’attendre à tout, malgré tout…

M. Madeleine avait eu raison.

Six mois ! Il avait fallu attendre six mois avant d’avoir des nouvelles de Javert. Un courrier de Paris reflétant le dernier reçu atterrit sur son bureau.

Monsieur le maire,

Nous avons bien reçu la nomination de l’inspecteur de Troisième Classe Javert pour votre ville. Par la présente, nous vous informons de la venue prochaine de votre nouvel inspecteur.

A dater de ce jour, l’inspecteur Javert est rattaché au service de la commune de Montreuil-sur-Mer. Lorsque le besoin s’en fera sentir, l’inspecteur Javert sera convoqué à Paris pour un nouvel examen de son dossier.

Veuillez agréer l'expression de nos sentiments les plus distingués.

Le préfet de police de Paris

LE COMTE D'ANGLES

Salopard de d’Anglès !

Il était visible qu’il ne souhaitait qu’une chose, renvoyer définitivement Javert de la police et souffleter ce petit maire arrogant qu’était M. Madeleine.

Il fallait redoubler d’attention !

Six mois et Javert revint tranquillement par la diligence.

Il arborait un visage impassible lorsqu’il descendit sur la grande place de Montreuil. Sa canne à la main et sa malle sur son épaule, il examina les environs. Mécontent de lui, mécontent d’être ici et prêt à se défendre à la moindre provocation.

Ridicule n’est-ce-pas ?

Personne ne l’attendait, donc Javert put respirer plus librement. Il hésita un instant avant de se décider pour le poste de police.

Commencer le grand cirque avant d’aller retrouver le maire.

Son entrée fut remarquée et remarquable dans le poste de police. On se leva avec respect, oubliant qu’il ne s’agissait plus que d’un inspecteur de Troisième Classe. Il n’était plus le chef, il était le moins gradé des officiers, juste au-dessus d’un sergent.

Javert eut un sourire sans joie et se mit au garde-à-vous, après avoir placé sa malle à ses pieds.

Pardieu ! Si les autres oubliaient sa position subalterne, il allait le leur rappeler avec soin.

« Inspecteur ?, » commença Walle, décontenancé.

On s’était approché, surpris, les mains tendues pour saluer l’officier, puis on se rappela enfin de la situation.

« Inspecteur Javert !, fit un homme, haut gradé. Heureux de faire votre rencontre ! »

L’inspecteur de Première Classe, Durand, le nouveau chef de la police de Montreuil. Son successeur ! Javert s’inclina respectueusement.

Walle ouvrit des yeux grands comme des soucoupes et les autres officiers retinrent leur souffle.

Javert n’était plus leur chef, c’était vrai ! Il était dégradé et M. Madeleine avait été jusqu’à Paris pour exiger son retour.

« Monsieur, lâcha du bout des lèvres Javert.

- J’ai entendu parler de vous, inspecteur, continua simplement Durand. Vous avez démissionné, c’est cela ?

- Oui, monsieur.

- Pour incompatibilité d’humeur avec le maire ?

- Entre autre, monsieur. »

Faites confiance à Javert pour compliquer les situations. Cette réponse alambiquée rendit curieux le chef de la police. L’inspecteur Durand était un bon policier, lui aussi, il ouvrit la porte de son bureau - l’ancien bureau de Javert ! - et y fit entrer ce dernier.

« Racontez-moi ça Javert ! Je serais curieux de savoir ce qui vous a fait partir ainsi et ce qui a poussé M. Madeleine à réclamer votre retour à Paris ! »

Javert obéit.

Walle leva les yeux au Ciel. Imbécile de Javert !

L’inspecteur Walle avait voulu une arrivée en douceur. Personne ne souhaitait poser de problème à Javert.

M. Madeleine avait fait la morale à tout le monde.

Javert revenait !

On fut abasourdi en apprenant la nouvelle.

Javert revenait mais il était dégradé. Il se trouvait en bas de l’échelle. Il était sous surveillance étroite.

On ne voulait pas de conflits.

Et voilà Javert qui ruait déjà dans les brancards ! L’inspecteur Durand aimait beaucoup M. Madeleine, il était dévoué au maire de Montreuil. Il en fallait peu pour qu’il soit remonté contre Javert.

Cela dura une heure avant que le chef de la police libère son nouvel officier. Javert ne montrait rien, son visage restait froid et impassible. L’inspecteur Durand était un peu moins habile à ce jeu, mais il posa une main sur l’épaule de Javert dans un geste réconfortant.

Tout n’était peut-être pas si négatif ?

« Bienvenu Javert ! Walle va te trouver une chambre à louer. Tu commenceras demain ! Tu as de l’expérience, on va l’utiliser à ton avantage et remontrer à ces idiots de Paris que tu vaux quelque chose.

- Merci, monsieur.

- Va te reposer Javert. »

Mais avant qu’il ne quitte le commissariat, soulagé que cela se soit passé si bien, Durand lança, une légère menace dans la voix :

« Mais si jamais je te vois tourner autour de M. Madeleine, Javert, j’en ferai part aussitôt à Paris et je te casserai sans ménagement. Me suis-je fait bien comprendre ?

- Très bien, monsieur.

- M. Madeleine a jugé bon de te faire confiance. Je veux bien le faire aussi. Ton dossier est bon. Meilleur que le mien. On devrait réussir à travailler ensemble.

- Je le pense, monsieur. »

Un renvoi, une mise en garde mais Javert s’attendait à pire.

Walle se plaça respectueusement à ses côtés lorsque les deux hommes se retrouvèrent sur le trottoir.

« Alors vous avez une chambre pour moi inspecteur ?

- Oui, enfin… Oui.

- Je vous remercie, inspecteur.

- C’est normal, mons… Javert... »

Un sourire amusé. Walle était perdu.

Les mois prochains promettaient d’être follement passionnants...tt Javert se mit à rire silencieusement, tandis que Walle hésitait à saisir sa malle.

La chambre était modeste. Adaptée au salaire misérable de l’inspecteur de troisième classe Javert, car cela aussi avait changé.

Walle se tenait dans l’entrée, attristé de voir son ancien chef logé dans de si piètres conditions.

« Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour vous monsieur ?

- Rien, merci inspecteur. »

Un nouveau sourire. Javert s’amusait de troubler autant son ancien officier.

« Bien, bien. Je vais vous laisser... »

Et il disparut, tellement incertain de ce qu’il devait faire avec Javert.

Dés l’inspecteur Walle parti, Javert s’assit sur le lit. Il prit sa tête à pleines mains. Putain ! Que foutait-il là ?

L’entrevue à Paris avait été terrible.

Le préfet de police et le secrétaire du Premier Bureau avaient été d’une froideur extrême. On lui avait patiemment expliqué les démarches de M. Madeleine.

On avait insisté sur le rôle de M. Madeleine.

On avait prévenu, menacé, répété…

Une seule plainte et il retournait à Toulon. Et pas du côté des garde-chiourmes.

Javert avait supporté cela stoïquement, les yeux fixés sur le mur du fond, suivant du regard une fissure perdue dans le stuc.

« Vous avez compris Javert ?, avait hurlé le comte d’Anglès.

- Oui, monsieur.

- Comportez-vous bien !

- Oui, monsieur.

- Rejoignez votre nouveau poste inspecteur. »

Une inclinaison du buste.

« Et n’espérez pas venir à Paris ! »

Un raidissement imperceptible dans les épaules. Javert revenait dans les rangs de la police mais sa carrière était brisée.

« Oui, monsieur. »

Oui, monsieur…

Javert serra ses cheveux avec désespoir. Il se jeta sur sa malle et sortit une bouteille d’alcool. Il ne s’embarrassa pas d’un verre et but à même le goulot.

Que foutait-il là ?

Il n’en savait foutrement rien.

Le lendemain, l’inspecteur de Troisième Classe Javert se tenait à son poste, droit, raide, imposant. Il avait dû prendre ses ordres de Walle, se délectant secrètement du trouble de son ancien officier.

Et les autres policiers étaient dans la même situation face à lui, ne sachant comment interagir avec lui. Il n’y avait que le chef du commissariat pour le tutoyer et le traiter comme il se devait.

« Tu patrouilles sur les quais, Javert, ordonna Durand, et tu te charges de tous les soucis d’ivrognerie que tu vois. Je veux ton rapport pour ce soir.

- Bien, monsieur. »

Merde !

Il avait quarante ans, il était monté si haut dans la hiérarchie. Javert acquiesça et se promit de vider une bouteille ce soir.

Ce soir et tous les autres soirs.

Monsieur Madeleine ne savait pas que Javert était revenu à Montreuil. Il ne le sut que par l’intermédiaire de l’inspecteur Durand.

Un soir, le chef de la police vint faire son rapport habituel à monsieur le maire. Et le fait fut évoqué avec désinvolture par l’inspecteur.

« Tiens, monsieur le maire. L’inspecteur Javert est de retour. »

Il fallut une parfaite maîtrise de soi pour que Valjean reste M. Madeleine, calme et impassible.

« Quand ?

- Cela fait cinq jours, monsieur. »

Durand se méprit sur le visage devenu dur de M. Madeleine. Il lança fermement :

« Ne vous inquiétez pas, monsieur le maire. Si Javert vous harcèle ou s’il ose vous déranger, je le casse sans pitié. Je tiens mes hommes, monsieur !

- C’est tout à votre honneur, inspecteur, mais je crois que vous devriez laisser Javert en paix. Il ne risque pas de devenir un danger. Il…

- Je suis d’accord avec vous, monsieur le maire. Mais il vaut mieux être prudent ! J’ai interdit à Javert d’entrer en contact avec vous. La ville est petite, bien sûr, mais si Javert sait ce qui est bon pour lui, il vous évitera avec soin.

- Merci, inspecteur.

- Je vous suis tout dévoué, monsieur le maire. »

C’était vrai ! L’inspecteur Durand était le symbole du dévouement, obséquieux, respectueux, d’une exquise politesse.

Cinq jours !

Javert n’était pas venu le voir en cinq jours !

M. Madeleine en fut abasourdi et fâché. Il décida de traquer son inspecteur.

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