Scène V

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Traquer son inspecteur.

Ce fut plus facile à dire qu’à faire. Oui, Javert savait ce qui était bon pour lui. Il évitait le maire soigneusement.

D’ailleurs, la nouvelle de son arrivée était encore peu répandue. Javert faisait profil bas.

Valjean en eut la preuve lorsque le hasard les mit subitement en présence.

Un soir, monsieur le maire vint rendre visite à Fantine au couvent des Bénédictines, la malheureuse allait mieux mais sa vie n’était pas encore sauvée.

Monsieur le maire s’assit quelques minutes en compagnie de la pauvre femme malade, histoire de lui parler de Cosette, de lui donner ses derniers dessins. La petite fille ne pouvait plus passer ses journées avec sa maman, l’école était une prison !

Ceci fait, monsieur le maire quitta les lieux, l’esprit assombri et le cœur en déshérence. Peu concentré sur ses pas, Valjean se retrouva dans un quartier pauvre de la ville, au pied des remparts.

Et il entendit distinctement le bruit d’une dispute, se figeant instantanément.

« Ta gueule le rabouin, tu me poisseras pas !

- Parce que tu crois que tu as le choix le Breton ?, grogna un baryton profond. Javert !

- Approche-toi et tu verras !

- Casse-lui la gueule le Breton, personne ne viendra au secours du rabouin ! Hein Javert ? »

Ces mots et ce ton attirèrent Valjean, monsieur le maire s’approcha lentement des voix qui parlaient ainsi.

Javert était dos à un mur, il se tenait droit mais un de ses bras était collé contre son corps, sa canne de combat était à ses pieds, inutile. Face à lui, deux hommes au visage de brute, chacun avec un gourdin.

« Tu as perdu tes réflexes le cogne !, sourit un des hommes. On va voir si on peut te casser la gueule. Après le bras…

- Viens le Breton ! Mais ne me rate pas ! »

Le dénommé Breton se jeta sur Javert et le gourdin frappa fort le policier. Javert poussa un cri étouffé mais il avait réussi à saisir l’homme à la gorge. Le gourdin tomba à terre tandis que le deuxième malfrat se lançait à son tour dans la bagarre.

« Tu vas le payer Javert !

- CELA SUFFIT !, » ordonna M. Madeleine.

Un mouvement de peur et le type fila sans demander son reste. Javert tenait toujours le Breton dans sa prise. Valjean se précipita à son aide.

« Vos menottes ?, demanda Valjean, d’une voix blanche.

- Poche de gauche. »

Valjean s’approcha de Javert et glissa ses mains dans la poche de gauche de son uniforme, il en sortit une paire de menottes lourdes et solides.

Valjean saisit les poignets du type qui se débattait de moins en moins, étouffé par Javert. Il fut correctement menotté.

« Relâchez-le Javert. »

Un léger décalage avant que Javert obéisse. L’homme tomba sur le sol comme une poupée de chiffon.

Valjean et Javert respiraient fort.

Ils se regardèrent un instant, puis Javert se recula.

« Je vais emmener ce jobard au poste, monsieur. Merci pour votre assistance.

- Javert, attendez ! »

Javert avait relevé le criminel et le tenait fortement contre lui, l’homme était incapable de marcher lui-même. Le policier leva ses yeux gris perçants sur le maire et le regarda.

« Je vais vous aider.

- Pas la peine, monsieur. Je me débrouille.

- Javert ! N’insistez pas ! Vous êtes blessé, tête de mule. »

La colère montait encore maidûss Javert ne répondit pas. Il n’argumenta pas. Il laissa le maire l’aider, portant la majorité du poids de l’homme inconscient.

« Comment va votre bras ?

- Bien, monsieur.

- Vous avez pris un coup de bâton ?

- Je vais bien, monsieur. »

Javert agaçait tellement Valjean.

A croire que tous ces instants passés ensemble n’existaient plus. Avaient-ils seulement existé ? Valjean se posa réellement la question. A force de voyager dans le temps et l’espace, il pouvait mélanger les histoires.

La vue du commissariat soulagea les deux hommes.

Les officiers encore présents à cette heure indue se levèrent à leur entrée et se précipitèrent à leur aide.

On entraîna l’homme menotté encore inconscient dans une cellule. L’inspecteur Durand regardait Javert et Valjean avec stupeur.

« Que s’est-il passé ?, demanda-t-il, abasourdi.

- Une simple dispute entre deux hommes, monsieur, expliqua posément Javert.

- Et monsieur le maire ?

- Il m’a prêté main-forte, monsieur. »

L’inspecteur Durand était dévoué au maire de Montreuil, ses yeux se firent admiratifs lorsqu’ils se tournèrent vers M. Madeleine.

« Monsieur le maire, je ne sais pas comment vous remercier d’avoir aidé un de mes officiers. Vraiment, monsieur… Je…

- Ce n’est pas la peine, coupa un peu brutalement le maire. L’inspecteur Javert a été blessé.

- Blessé ? Javert ! »

Cela empêcha Javert de s’enfuir discrètement du commissariat. L’homme rêvait maintenant d’un verre et d’une nuit de repos.

« Rien de grave, monsieur, lâcha Javert, entre ses dents serrées.

- Tu es sûr ? »

Le tutoiement surprit monsieur le maire et lui déplut fortement.

« Oui, monsieur.

- Bon, si tu es sûr ! Je veux ton rapport demain à la première heure !

- Vous l’aurez monsieur. »

Et Javert quitta le commissariat comme cela. Simplement. On n’insista pas sur la blessure, on ne demanda même pas à la voir. Le maire resta bouche bée.

« Et la blessure ?, murmura M. Madeleine.

- Bah ! Ce n’est pas la première fois, lança Durand, indifférent. Le dossier de l’inspecteur fourmille de blessures. Il a l’habitude de les gérer. Encore merci monsieur Madeleine !

- De rien. »

Il ne savait pas quoi dire d’autre. Le maire prit congé mais avant de partir il vit l’inspecteur Walle qui le regardait intensément. Sans plus aucune aménité.

Le maire fit un geste discret pour attirer le policier.

« Où habite Javert ?

- Monsieur…, fit Walle, la voix lasse. Laissez-le en paix ! C’est déjà assez compliqué pour lui.

- S’il vous plaît Walle. Je veux voir comment il va. »

Et du bout des lèvres, Walle lâcha l’adresse de Javert. Un quartier pauvre de la ville, la partie la plus insalubre. Valjean en fut horrifié.

Il ne fallut que quelques minutes à M. Madeleine pour se rendre chez Javert. Un immeuble vétuste. La logeuse n’était pas à son poste. De toute façon, dans ce genre d’immeubles, on ne devait voir la propriétaire que le jour du loyer.

Valjean frappa doucement à la porte et attendit.

De longues minutes avant qu’on ouvre.

Il se retrouva nez à nez avec les yeux gris, fatigués de Javert.

« Putain !, » fit simplement le policier.

Et Javert se recula, laissant entrer M. Madeleine dans son antre. Ne cherchant pas à cacher la pauvreté et la misère.

Valjean n’avait connu cela qu’à la Maison Gorbeau. Il en fut désolé. Il ne dit rien en apercevant les bouteilles de vin vides dispersées ici et là.

Il se tourna vers Javert pour le regarder.

L’homme avait maigri. Il avait rasé ses favoris et coupé ses cheveux. Il ne se ressemblait pas. Il devait chercher à se fondre dans la masse. Il était propre et se tenait de son mieux. Mais l’alcool faisait trembler ses mains.

Il était dans sa chemise et avait remonté la manche pour dévoiler son bras. Il était rouge et gonflé. Valjean s’approcha, hypnotisé.

« Puis-je regarder ?, demanda-t-il doucement.

- Pourquoi ?, rétorqua Javert, rogue.

- Parce que je m’inquiète pour toi.

- Si Durand apprend que tu es là, je suis bon pour faire ma malle.

- Je me fous de ce que pense Durand. »

Un rire, un peu fou. Javert secoua la tête.

« Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai accepté de revenir.

- Fraco…

- Fous-moi le camp Jean.

- Non. »

Valjean était face au policier. Il nota l’odeur d’alcool forte, Javert avait bu plus que de raison et vu l’état de son logement, ce n’était pas la première fois.

« Laisse-moi voir ton bras.

- Merde Jean ! »

Il suffit d’un seul geste pour capturer le bras. La force de Jean-le-Cric empêcha Javert de s’échapper. Il put l’examiner à loisir.

Un bel hématome mais rien de brisé.

« Comment a-t-il pu t’avoir comme cela ?, demanda Valjean, incrédule.

- Je n’étais pas aussi prudent que je l’aurais du.

- Fraco...…

- Il me faut une réputation. Sinon, je ne survivrai pas Jean. Je n’y arriverai pas.

- Un inspecteur de police ! Efficace, sérieux, dévoué, téméraire.

- Un inspecteur de police de troisième classe ! Putain ! A quarante ans.

- Mon inspecteur de police. »

Valjean caressa doucement le bras avant de se dresser sur la pointe des pieds pour embrasser tendrement Javert sur la bouche. Il le sentit se raidir avant de se laisser aller au baiser.

« Pourquoi n’es-tu pas venu me voir ?

- Je n’ai pas le droit de t’approcher Jean.

- Je me fous de ce que dit Durand. Je me fous de ce que dit le préfet de Paris.

- Il y a de l’embauche à ton usine ? Car je vais bientôt perdre mon emploi si on nous voit ensemble.

- Il y a de la place dans mon lit.

- Jean... »

Un baiser profond. La langue de Valjean força la bouche de Javert à l’accepter et ce fut un délice de danser ainsi, langue contre langue. Mais Valjean n’apprécia pas le goût du vin de basse qualité.

« Ton bras, souffla Valjean.

- Un simple hématome.

- As-tu de l’arnica ?

- Oui. J’ai l’habitude des blessures. »

Valjean trembla de colère en entendant ces mots, prononcés de façon si indifférente.

« Je ne veux plus que tu en aies l’habitude !

- Alors chasse-moi de la police !

- Fraco... »

Un nouveau baiser avant de s’asseoir sur ce qui servait de lit à Javert. Valjean était consterné de voir l’endroit dans lequel vivait son amant.

« Je vais te trouver une chambre mieux que celle-ci. Ce n’est pas sain !

- Je ne peux pas me permettre un plus grand logement, mon salaire est...restreint en ce moment…

- Je vais payer pour toi ! Tu vas déménager le plus tôt possible.

- Impossible Jean ! Si tu souhaites vraiment qu’on se côtoie, il faut se voir le moins possible.

- Je veux que tu sois dans de bonnes conditions. Cet endroit est innommable !

- Il est à la hauteur de ce que je gagne ! J’ai déjà vécu ainsi.

- Oui, quand tu avais vingt ans ! A Toulon ou à Marseille ! Tu as quarante ans et…

- Comment sais-tu que j’ai été à Marseille ? »

Le policier toujours aux aguets, cela fit sourire Valjean qui mentit comme toujours.

« J’ai lu ton dossier ! »

Javert ne dit rien. C’était possible après tout. Et l’alcool l’empêchait de réfléchir avec autant de clarté que d’habitude.

D’ailleurs il avait envie...non besoin...d’un autre verre.

Seulement Valjean était là. Il se chargeait de son bras, le couvrant d’une pommade à l’arnica qu’il avait découvert dans le seul meuble que possédait le policier. Un buffet. Un bandage propre et le bras était correctement bandé.

« Il va falloir patienter avant de retrouver toutes tes capacités, murmura Valjean. Tu as été salement touché.

- Je vais bien, » grogna le policier.

Javert avait la bouche pâteuse, il voulait boire. Valjean lui caressa le front, regrettant l’absence des cheveux, l’absence des favoris. Javert ne se ressemblait pas ainsi, il ressemblait à un forçat.

« As-tu mangé ?

- Certainement.

- Quand ? »

Patient, désolé, Valjean savait que Javert n’avait pas du manger quelque chose de consistant depuis longtemps. On ne se nourrit pas de vin.

« Je ne sais pas, avoua Javert.

- Mon amour, » souffla Valjean.

Ce terme, utilisé pour la première fois entre eux, surprit Javert. Il n’avait été l’amour de personne, même pas de sa mère.

« Je te supplie de me laisser prendre soin de toi. Merde à Durand ! Merde à D’Anglès ! Je t’aime ! Tu peux comprendre cela ?

- Je ne sais pas… Je n’ai jamais… On ne m’a jamais aimé…

- Laisse-moi faire ?! Tu veux bien ?

- Que veux-tu ?

- T’aimer ! »

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