Scène VI
Javert eut un nouveau rire. Hystérique. Cela rappela tout à coup à Valjean le rire du Javert du XXIe siècle, dans ce New-York futuriste.
« Je ne sais pas si je pourrais faire cela.
- Laisse-moi faire !
- Je suis saoul et incapable de trouver ma propre bite Jean. Demain peut-être ? »
Valjean secoua la tête.
Il ne releva pas et déshabilla Javert. Le policier se laissait faire en effet. Il était assommé par l’alcool de toute façon.
Valjean était affligé de constater la maigreur maladive de son amant. Où était passé l’imposant inspecteur Javert ? Ses bras, ses muscles, sa force. Il était maigre, fragile, malade.
Valjean le déshabilla et l’étendit sur son lit. Javert ferma aussitôt les yeux et ronfla.
Un dernier baiser sur le front avant de partir.
Non, il ne pouvait pas faire l’amour à son compagnon dans ces conditions mais Valjean se promit de revenir le lendemain.
D’enlever toutes les bouteilles et de les casser de rage.
D’emmener Javert dans un autre appartement, plus propre et mieux entretenu.
De parler à Durand de cette situation inacceptable dans laquelle vivait Javert.
Demain !
M. Madeleine allait tout arranger.
Le lendemain, M. Madeleine, tout maire qu’il soit, ne put rien changer à cette situation.
D’une part, le salaire d’un inspecteur de police était décidé par Paris. Jamais le conseil municipal n’accepterait de payer davantage un policier. Et de surcroît un policier déchu !
D’autre part, le chef de la police de Montreuil se montra suspicieux dés que M. Madeleine prononça le nom de Javert.
Valjean se tut aussitôt. Javert devait être sous l’emprise de l’alcool assez souvent en réalité. Si jamais son chef le serrait de trop près, il pouvait avoir des soupçons et obtenir son renvoi pur et simple pour ivrognerie.
M. Madeleine n’allait pas tout arranger.
Il n’y eut que la chambre. M. Madeleine réussit à trouver un meublé de meilleure qualité dans un quartier plus tranquille. Le prix du loyer était un peu élevé mais le maire marchanda un peu et offrit une compensation.
On accepta.
Le policier emménagea dans la journée.
Javert était fatigué de lutter.
Javert était fatigué de vivre.
Qu’est-ce qu’il foutait là ?
Il avait perdu son honneur de policier. Sa dignité. Le reste, il s’en foutait royalement et laissait les choses dériver.
Il y eut aussi les bouteilles de vin que M. Madeleine brisa une à une dans la cour de l’immeuble. Avec un soin frôlant la rage.
Merde Jean Valjean !
Les choses évoluèrent peu à peu.
Déjà la ville sut enfin que l’inspecteur Javert était de retour. On se moqua de cet homme, si autoritaire, descendu si bas. On n’hésita plus à lui montrer tout le mépris qu’on éprouvait pour lui.
Javert encaissait et saluait poliment.
Cela se réglait le soir entre deux bouteilles de vin.
Un alcoolique fonctionnel ! Voilà ce que devenait tout doucement Javert. On ne remarquait rien. Javert était prudent. Il faisait attention à l’odeur. Il rangeait son logement pour que sa logeuse ne découvre rien.
D’ailleurs, il ne buvait presque plus de vin rouge, c’était trop cher pour sa bourse. L’inspecteur Javert de la police de Montreuil avait conclu un accord tacite avec un de ses mouchards.
Un contrebandier qu’il avait arrêté sur le port. Il transportait de l’alcool frelaté et de l’opium.
En fait, Javert aurait dû l’arrêter.
Il était incorruptible, irréprochable, honorable.
L’homme s’était attendu à porter les poucettes et à être traîné au poste. Mais Javert examinait les bouteilles d’alcool, une vague odeur de fruit et un fort degré. Le contrebandier avait remarqué l’hésitation du policier et il s’était mis à sourire. Charmeur. Tentateur.
« C’est de l’alcool de bonne qualité, inspecteur. Et ceci, cela s’appelle de l’opium.
- Je sais, » grogna Javert.
Il manipulait ses poucettes, jouant avec la chaîne des cabriolets au fond de sa poche. Le vin rouge était cher et sentait fort.
« Nous pourrions peut-être nous entendre inspecteur ? »
Un nouveau mouchard sur le port ?
Javert était incorruptible, irréprochable, honorable… Enfin il l’était. Il avait tout perdu lorsqu’il avait pactisé avec le diable.
« Fais-moi voir ton eau d’affe.
- Avec plaisir inspecteur. »
Un accord tacite. L’homme fournissait des informations sur le port contre sa liberté. L’homme fournissait Javert en alcool.
Il espérait un jour fournir l’inspecteur en opium. Ainsi, Javert n’allait pas mettre longtemps avant d’en crever.
Oui, Javert dissimulait bien et l’eau de vie se cachait à merveille derrière l’odeur de sueur, de cheval… On ne remarquait rien.
Et M. Madeleine ne le voyait pas assez souvent pour déceler quoi que ce soit.
De toute façon, le maire n’arrivait pas à voir son ancien chef de la police.
Après le déménagement, Javert ne rentrait quasiment plus chez lui. Il était toujours sur la brèche, sur une patrouille, dans une ronde… Il travaillait sans repos. Mangeant quand il y pensait et il y pensait rarement.
Durand était agréablement surpris par sa nouvelle recrue. Le dossier n’avait pas menti. Javert était un excellent policier.
D’ailleurs, M. Madeleine le fit nommer aussi à Boulogne sur Mer, comme promis. Et Javert était sur deux postes.
On mit sur le compte du stress et de la fatigue le tremblement devenu visible des mains de l’inspecteur.
Et les semaines passèrent ainsi.
M. Madeleine crevait d’envie de voir son amant. Mais Durand exerçait une surveillance étroite de Javert.
Quelques rares nuits, la patrouille de Javert coïncidait avec les tournées de charité du maire de Montreuil. On se croisait, on se saluait, on se parlait quelques instants.
« Que diriez-vous d’un verre ce soir après votre quart Javert ?
- Je dois encore remplir mes rapports, monsieur le maire. »
Une autre fois.
« Avez-vous déjà dîné Javert ? Le froid est vif et ma gouvernante a prévu un rôti de porc aux choux.
- Je vous remercie, monsieur le maire. J’ai déjà dîné et je dois aller surveiller le quartier nord de la ville.
- Pourquoi donc ?
- On a peur que le choléra ne soit en train de s’y installer. Je dois aller rendre compte de la situation, monsieur.
- Soyez prudent Javert ! »
Soyez prudent…
Quelques fois, M. Madeleine se faisait plus insistant. De rares fois car tout le monde était intéressé par leur relation. On les observait, on les écoutait, on les espionnait. Un vrai calvaire.
Ces soirs-là, M. Madeleine rejoignait le policier dans son meublé. Il se faisait discret, il retrouvait la tenue de Jean Valjean, le forçat. Il se couvrait le visage de crasse et parlait de façon bourrue à la logeuse de Javert.
Mais cela se devait d’être rare. Car Javert n’avait pas une bonne réputation, maintenant.
L’inspecteur Durand interrogea durement Javert sur cet homme qui lui rendait visite nuitamment.
« Un mouchard, monsieur.
- Son nom ?
- Jean, monsieur. Il vient de Boulogne.
- Un mouchard des docks ? Bien, si tu sais ce que tu fais Javert…
- Oui, monsieur. »
Bien sûr, monsieur. Je sais.
Dieu, je sais.
N’est-ce-pas ?
Les rares soirs où Valjean venait voir Javert, les deux hommes ne perdaient pas de temps en conversation. D’ailleurs, Javert ne laissait pas Valjean parler. Il ne voulait pas entendre M. Madeleine et ses admonestations. M. Madeleine et ses inquiétudes.
Il voulait juste entendre M. Madeleine et ses gémissements de plaisir.
Donc Javert se faisait entreprenant, embrassant Valjean à peine était-il entré dans son appartement. Et il en fallait peu pour faire perdre la tête au vieux forçat.
Un baiser appuyé, des caresses sensuelles. Javert retirait les vêtements du forçat prestement avant de l’enfoncer dans son lit.
L’épingler sur son matelas et se délecter des petits cris de plaisir que poussait son compagnon. Une main glissant sur la cuisse, si ferme de Valjean, parcourant son ventre, ses hanches. Une bouche léchant un mamelon, perdu au-milieu d’une toison grisonnante. Une langue jouant avec une autre.
Javert était pressant, ardent, amoureux.
Et prudent !
Il ne buvait pas les soirs où venait le voir Jean Valjean. Il ne laissait plus traîner les bouteilles vides ou pleines. Il apprenait la dissimulation et était bon à ce jeu, le mouchard. Il était irréprochable sur ce point.
Tandis que les autres soirs, il était saoul bien avant minuit.
Inspecteur de Troisième Classe ! Non, il n’arrivait pas à l’accepter.
La perte de son honneur ! Non, il n’y survivrait pas.
Donc, Valjean était ravi de faire l’amour avec Javert.
Il se laissait sucer avec entrain, ses mains cherchant les longs cheveux de l’inspecteur et ne trouvant que quelques cheveux durs et courts.
Valjean avait demandé un soir pourquoi Javert les avait coupés. Il savait à quel point l’inspecteur tenait à ses cheveux. Une petite pointe de vanité !
« Plus pratique, moins dangereux.
- Tu les laisseras repousser ? »
Un ton plein d’espoir.
« Tu le voudrais Jean ?
- Oui. Par Dieu oui.
- Alors prépare-toi à patienter, je ne les avais pas coupés depuis des années.
- Je veux te revoir avec tes cheveux longs et tes favoris. »
Javert sourit, sans répondre. Il avait tout coupé pour recommencer une nouvelle vie.
Plus de favoris, plus de cheveux longs, plus d’arrogance, plus d’autorité. Javert était devenu un homme obéissant, soumis...brisé ?
Mais cela Valjean ne le voyait pas puisqu’il ne côtoyait pas assez l’inspecteur Javert.
Ils faisaient l’amour irrégulièrement.
Cela se passait un peu toujours de la même façon.
Javert suçait Valjean jusqu’à ce que ce dernier mendie. Javert faisait cela avec habileté maintenant, ses mains caressant ses testicules, cherchant derrière le périnée l’entrée secrète cachée entre les fesses du forçat. Les gémissements devenaient plus forts lorsque la langue du policier se chargeait de l’anus et le léchait avec entrain.
« Javert… Fraco… Mon Dieu… »
Une litanie de prières et de blasphèmes coulait de la bouche de M. Madeleine. Puis, plus rien. Invariablement, Valjean ouvrait les yeux et grognait de frustration.
Il se redressait et coinçait Javert sous sa stature avant de saisir le flacon d’huile laissé négligemment sur la table de chevet. Des doigts pour forcer Javert à s’étirer, pénétrant doucement à l’intérieur de son corps.
Des yeux inquiets ne quittant pas son visage, guettant le moindre signe d’inconfort.
Des paroles douces lui rappelant à quel point il était beau, combien il était aimé.
Enfin, les doigts étaient remplacés par une bite, dure comme du métal et Valjean prenait profondément le policier.
Son inspecteur de police !
« Amour, amour...
- Jean… Putain… »
Un baiser pour les rapprocher.
Invariablement cela se passait ainsi. Valjean prenait Javert, le tenant sur le dos, les cuisses bien écartées pour l’accueillir dans son entier. Et il prenait son plaisir tout en songeant aussi à celui de Javert.
Et Javert essayait de se perdre dans les brumes du plaisir pour ne pas voir sa vie qui partait lentement à la dérive.
Invariablement, il venait et ses cris de plaisir étaient très proches d’être des cris de douleur.
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