XIXe siècle - Paris - Scène I
Les cloches de Paris n’étaient pas les mêmes que celles de Montreuil. Il y avait une sonorité différente qui réveilla M. Fauchelevent.
Le vieux jardinier se réveilla, seul, dans sa chambre parisienne, rue Plumet.
Il entendait Cosette chantonner dans le jardin.
Il écouta la jolie mélodie avec plaisir avant de se redresser dans son lit. A la recherche de quelqu’un.
Il était à Paris ? En 1830 ? Cosette avait déjà rencontré Marius au Jardin du Luxembourg, elle apprenait la vie à Paris, elle grandissait, elle embellissait. Elle était amoureuse.
Et M. Fauchelevent se cachait derrière les grilles du jardin de la rue Plumet.
Prestement, l’ancien forçat se leva et se dirigea vers le jardin. Etait-il envahi de mauvaises herbes ? Était-ce la vraie histoire ? Ou la suite de ce qu’il avait commencé à vivre ?
Javert et lui avaient-t-ils fait l’amour la veille ?
Valjean ne pouvait pas savoir. Il s’habilla avec soin et descendit dans le salon. Toussaint l’accueillit avec un grand sourire avant de lui servir une tasse de thé avec du pain beurré.
« Cosette est de bonne humeur ce matin ?, demanda Valjean, cherchant comment demander s’il était rentré la nuit dernière du logement de Javert.
- Mademoiselle Cosette a décidé de faire un bouquet de roses, monsieur. L’inspecteur Rivette a dit qu’il passerait aujourd’hui.
- Ce jeune homme est bien sympathique, sourit Valjean.
- Oui, il a le béguin pour mademoiselle. Mais mademoiselle est bien trop prude pour se rendre compte de quelque chose.
- En effet. »
Toussaint était donc aussi aveugle que lui.
Elle n’avait rien remarqué des sourires des deux amants du jardin du Luxembourg.
Cela fit sourire Valjean dans sa tasse de thé.
« Comment va l’inspecteur Javert, monsieur ?, demanda à son tour Toussaint. Vous êtes rentré tard hier soir. »
Donc, Valjean avait fait l’amour avec Javert la veille, il avait du se réveiller en pleine nuit dans les bras du policier et avait du quitter subrepticement le logis du policier, pour ne pas éveiller les soupçons. Il était revenu rue Plumet.
Une nuit d’amour.
Toussaint avait du remarquer son absence.
« L’inspecteur va mieux. Sa blessure est quasiment guérie.
- A la bonne heure ! Il nous a bien fait peur !
- Nous avons un peu abusé de l’alcool hier soir, Toussaint. Avez-vous quelque chose pour la tête ? »
La servante se mit à rire, se moquant gentiment de son maître.
« Vous n’êtes pas raisonnables tous les deux ! Je vais vous faire une tisane. »
Une tisane avec du miel et du thym. Toussaint insista pour lui faire un cataplasme d’argile sur le front.
Valjean se laissa faire. Il devait tenir son rôle.
Cosette le vit ainsi et se mit à rire, les dents brillantes et les yeux étincelant de joie. Quinze ans et un cœur découvrant l’amour. Elle se moqua gentiment de son père en arrangeant les roses dans un vase sur la table.
L’inspecteur Rivette devait les visiter pour l’heure du goûter. Il avait promis de ramener des livres sur la vie dans les bagnes pour la jeune fille. Un peu surpris par cette demande mais Cosette n’était plus une oie blanche, elle se souvenait de la chaîne du bagne et trouvait cela injuste. Inhumain !
Elle avait du en parler avec Marius Pontmercy car son discours ressemblait beaucoup au discours d’Enjolras.
Puis, la petite Alouette courut dans le jardin chercher d’autres fleurs.
Valjean, lui, resta assis à la table, sirotant sa tisane et essayant de se souvenir de cette première nuit avec le Javert du Paris de 1830…
Valjean se mit à rire, un peu fou. Chacun de ses réveils devaient donc forcément suivre une séance de sexe ? Mais le rire s’éteignit. Non, il avait quitté Montreuil de son plein gré après la mort de Javert.
Quel étrange voyage que le sien !
L’inspecteur Rivette visita en effet et apporta les livres demandés. Il bavardait, le jeune homme, en essayant de capturer le regard de Cosette. Mais la jeune fille était bien élevée et jouait la fille de la maison avec soin.
Parlant quand son père lui parlait.
Approuvant quand son père exprimait un avis.
Souriant quand son père lui souriait.
Une jolie petite poupée de porcelaine.
Vivement qu’elle devienne l’épouse de Marius Pontmercy et prenne enfin son envol.
Un simple goûter puis le jeune homme repartit. Il salua avec soin M. Fauchevelent.
Il devenait clair pour le vieux jardinier que le policier commençait à échafauder ses plans. Si la fille ne voulait pas de lui, baste !, il suffisait d’avoir l’accord du père.
« Bonne fin de journée M. Fauchelevent.
- Merci de votre visite, inspecteur. C’est gentil de votre part. »
Un sourire. Un regard appuyé.
On se comprenait n’est-ce-pas ?
Valjean eut un sourire candide. Non, le vieux jardinier ne comprenait pas.
Les jours passaient, les semaines…
Javert et Valjean ne se virent plus.
Il fallait être prudent.
Valjean rongeait son frein...jusqu’au drame…
Une nuit, un inspecteur Rivette, échevelé et paniqué, frappa à sa porte. Toussaint était au lit, Cosette dormait déjà profondément, Valjean lisait dans le salon à la lueur de la chandelle.
Il ouvrit, un peu inquiet.
« Inspecteur ? Que se passe-t-il ?
- Fauchelevent, vous devez fuir ! Javert arrive ici !
- Javert ? Mais que se passe-t-il ?
- Il a l’ordre de vous arrêter ! Vidocq l’accompagne.
- M’arrêter ? »
Valjean perdit toutes couleurs. Donc le couperet tombait.
« Sur l’accusation d’être un forçat évadé. Jean Valjean. »
Voilà.
C’était fait.
Bizarrement, Valjean se sentit envahi d’un calme immense.
« Ma fille ?
- Je suis venu vous emmener en sécurité. Vous allez chez ma mère ! »
Brave Rivette ! Mais Valjean secoua la tête.
« Non, emmenez juste ma fille et ma servante. »
Les deux hommes se regardèrent.
« Bien, monsieur Valjean. J’attends là. Réveillez votre fille et votre servante. »
Un hochement de tête.
Tout s’écroulait ce soir.
Il ne fallut pas longtemps à Valjean pour chambouler la maison. Il expliqua à sa fille qu’un malheur était arrivé et qu’elle devait fuir la maison.
Il lui jura de tout lui expliquer plus tard mais elle devait partir, avec Toussaint.
Cosette voulut discuter mais Valjean ne lui en laissa pas le temps.
Toussaint se fit diligente, elle remplit une malle de l’essentiel. Cosette l’imita enfin. Puis les deux femmes se retrouvèrent à la porte de la maison.
Cosette aperçut l’inspecteur Rivette.
Elle fut choquée de voir le jeune homme sans son uniforme. Puis, après un dernier baiser à son père, les deux femmes s’enfuirent dans la nuit.
Est-ce que Cosette se souvenait de la fuite devant Javert la nuit de leur arrivée au couvent ? Car la jeune femme ne traîna pas.
Rivette leur emboîta le pas.
Valjean les vit disparaître avec un long soupir de soulagement. Il referma la porte et retourna s’asseoir dans son fauteuil, prenant machinalement son livre et continuant sa lecture à la lueur de la chandelle.
L’affaire avait pris dix minutes au plus.
Valjean attendit.
Et le tambourinement caractéristique se fit entendre.
Valjean se leva, se sentant si vieux tout à coup. Donc il ne verrait pas les barricades, il ne verrait pas le mariage de Cosette, il ne vieillirait pas en vivant un amour caché avec Javert… Il ouvrit la porte.
Cinq policiers en uniforme se tenaient dans la rue, avec des lampe-sourdes. Javert au-milieu d’eux, imposant dans son uniforme d’inspecteur et portant sa canne à pommeau plombé avec ostentation. A ses côtés, sans sourire, il y avait le chef de la Sûreté en personne, Eugène-François Vidocq.
Tous observaient fixement Jean Valjean.
Ce dernier eut un sourire et lança :
« Il vous en a fallu du temps pour venir m’arrêter.
- Silence Valjean !, rétorqua durement Javert. Les poucettes ! »
Soumis, Valjean tendit ses mains et les poucettes encerclèrent ses pouces avec soin.
« A la Force ! »
On le poussa jusqu’à une voiture grillagée stationnée dans un coin. Un des policiers demanda au chef de la Sûreté :
« Il a une fille ! On l’arrête aussi ?
- Ma fille et ma servante sont absentes, répondit doucement Valjean.
- Vérifiez !, » ordonna Javert.
Valjean essayait de capter les yeux de son amant.
Il voulait lire ses yeux mais Javert tournait la tête vers la maison. Il ne regardait personne, il serrait les dents.
Deux policiers étaient partis vérifier. Cela prit cinq minutes avant qu’ils ne reviennent, désolés.
« Le nid est vide.
- Posez des scellés sur la maison. Nous chercherons ces dames plus tard, » reprit Vidocq.
Claquement de doigts. On embarqua le fagot et Valjean se retrouva transporté comme dans un rêve dans une cellule de prison.
Il cherchait dans sa mémoire le moment où tout avait dérapé…
A partir de là, les jours se ressemblèrent.
Peu de lumière, peu de nourriture, peu d’espoir...
Valjean s’abîmait dans la prière. Espérant pour sa fille. Espérant qu’elle ignorait ce qui se passait. Il mangeait très peu, laissant repartir les plateaux presque pleins.
Il aurait voulu avoir confiance en Javert. Il aurait voulu parler à Rivette.
Valjean souffrait et Jean-le-Cric réapparut. Cherchant la faille, comment s’évader de cette prison. Il avait réussi à fuir le bagne de Toulon. Une prison restait une prison.
Il y eut de temps en temps les visites de l’aumônier de la prison. L’homme fut surpris de rencontrer un esprit rempli de piété. On l’avait envoyé visiter l’ancien forçat car sa grève de la faim ennuyait le directeur.
Les deux hommes se virent assez souvent. Le prêtre parlait de charité et de prière, d’espérance et de pardon. Valjean acquiesçait et racontait ses doutes.
Il y eut aussi l’avocat de Valjean.
Que dire ?
Il s’agissait de Marius Pontmercy, venu sur les instances d’un inspecteur de police. Un certain Javert du poste de Pontoise.
Marius Pontmercy connaissait Fauchelevent de vue, le père de Cosette. Il découvrit Jean Valjean. C’était étonnant comme la vie les rapprochait tout à coup ?
Et les barricades alors ?
La première fois, Valjean ne sut pas quoi dire en voyant son futur gendre dans sa cellule.
« Comment va Cosette ? »
Marius n’hésita qu’une seconde.
« Elle va bien. Elle et Toussaint sont en sécurité.
- Dieu soit loué.
- Parlons de vous, M. Valjean. Votre dossier n’est pas bon.
- Alors parlons de moi... »
Et Jean Valjean se raconta encore. Encore. Encore. Marius prenait des notes. Un jeune avocat sans le sou mais dévoué à son métier.
« Avez-vous besoin d’argent ?, demanda tout à coup Valjean.
- Vous voulez corrompre le juge ?, fit Marius horrifié.
- Mais non ! Je veux vous aider ! »
Un silence. Une hésitation. Encore. Marius baissa la tête et lâcha du bout des lèvres.
« Vous en aurez peut-être plus besoin que moi, M. Valjean. »
Et Marius disparut.
La prochaine visite fut un peu plus organisée. On entra dans sa cellule, on le menotta avec soin. Les mains, les pieds. Il était impuissant. Un instant, Valjean eut peur d’être frappé, voire pire.
Des souvenirs du bagne. Certains gardes, sadiques, faisaient subir les pires outrages aux forçats.
On ouvrit la porte à nouveau pour laisser entrer un homme. L’inspecteur Javert se tenait là, il chassa d’un geste les deux policiers qui l’accompagnaient.
« Je saurai m’en débrouiller.
- Mais inspecteur !
- LA PAIX ! »
On les laissa seuls, la porte soigneusement refermée.
Valjean était impuissant. Puis Javert fut sur lui, la bouche sur la sienne. Il l’embrassait avec passion.
« Je te l’avais dit, putain ! Je te l’avais dit !!!!
- Calme-toi Fraco ! »
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