Scène XIII

8 minutes de lecture

Dix mois à vivre en secret.

Il y eut un hiver, un printemps, un été, un automne et un nouvel hiver commençait.

Javert menait sa vie d’agent de la Sûreté avec soin, prouvant à tous que l’opinion de Vidocq à son propos était bonne. Un excellent policier, le meilleur des mouchards.

Javert vivait toujours sous couverture. Il était toujours sur la piste de l’ABC. Il était aussi sur la piste d’autres comploteurs. Des noms échappaient à Javert, malgré lui. Auguste Blanqui, Considère, le comte Raoul de La Sayette... On craignait un attentat contre le roi. Ce ne serait pas le premier complot déjoué par le mouchard.

Javert suivait d’autres activistes que les Amis de l’ABC, Javert était de plusieurs complots, Javert était l’homme du préfet de police et du chef de la Sûreté…

Et une année passa ainsi. Quelques soirées, quelques nuits, quelques heures d’amour dans un océan d’angoisse et de vide.

Valjean était horrifié d’apprendre à quel point la vie de l’inspecteur était dangereuse. Il n’oubliait pas ses blessures mais il découvrait d’autres aspects. Bien plus terribles.

« Mais tu pourrais être capturé ?

- Oui, Jean, répondit placidement Javert.

- Tu pourrais être torturé ?

- C’est en effet une éventualité à ne pas négliger. »

Ces mots, ce calme, avaient le don de faire sortir Valjean de ses gonds.

« Tu pourrais…

- Suffit !, claqua le policier, agacé. On dirait que tu n’as pas confiance en moi ?!

- Si, mais le danger...

- Existe et je ne le néglige pas.

- Tu n’es pas invincible. Fraco…

- Dis-le encore !

- Fraco… Dieu… Continue… »

Javert souriait, tellement suffisant, tellement fier de lui, et il continua, bien entendu.

« Dis encore mon nom !

- Fracoooo. »

Valjean perdait pied sous la douceur de Javert. Sous ses caresses amoureuses. Sous sa bouche, ses lèvres, ses doigts…, sa bite…

La première fois que Javert rejoignit officiellement Valjean pour une soirée rue Plumet, Cosette et Marius étaient mariés depuis une semaine.

Les deux hommes ne s’étaient pas vus depuis une semaine.

Javert pénétra dans la maison avec circonspection, cherchant partout du regard la jeune fille blonde et bavarde.

« Personne au logis ?

- Ma servante !, répondit Valjean, amusé de voir l’imposant inspecteur Javert marcher comme un fauve arrivant sur un nouveau territoire. Prudence, précaution, beauté.

- Peut-elle nous entendre ?

- Non. Sa chambre est loin.

- Alors, viens m’embrasser ! »

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Un baiser profond, enivrant. Javert caressa doucement les cheveux de Valjean, avec tendresse. Puis le policier, bien plus grand que le voleur, glissa ses doigts sous le menton de ce dernier pour bien examiner ses yeux.

« Dis-moi comment s’est passée ta première semaine sans elle ? »

Javert connaissait très bien Valjean maintenant. Sa tristesse de perdre sa fille, son amour inconditionnel pour elle, il craignait de ne pas pouvoir remplacer sa perte dans le cœur du vieux forçat.

« Je vais mieux maintenant que tu es là.

- Jean Valjean. Je suis là. Pour toi. Cette semaine infernale m’a rendu fou sans toi. »

Un rire un peu désespéré.

Plus tard, lorsque Javert sera à la retraite, lorsqu’il aura accepté de quitter ce métier qui lui tient tant à cœur, peut-être acceptera-t-il de vivre en compagnie de Valjean ?

« Qu’as-tu prévu pour le dîner ?

- Un poulet avec des pommes de terre. Cela te va-t-il ?

- Parfait ! »

Deux bras saisirent Valjean à la taille et le serrèrent fort, l’enveloppant d’un parfum masculin enivrant. Javert sentait le cuir, l’encre...parfois la sueur lorsque c’était la fin du jour et que la journée avait été dure. Valjean se tenait tout contre Javert, son dos contre la poitrine du policier.

« Et pour le dessert ?, susurra une voix profonde dans l’oreille de Valjean. Soyeuse et douce.

- Une tarte aux pommes…

- Mhmmmm. Non. Je souhaiterais un autre dessert… »

La bouche qui mordillait son lobe d’oreille faisait fermer les yeux de Valjean. Automatiquement.

« Que souhaites-tu ? Je peux peut-être envoyer le chercher.

- Je n’aime que les madeleines. Trempées dans mon café.

- Fraco.

- M. Madeleine. »

La bouche se perdit dans la nuque, embrassant la peau douce de l’ancien maire de Montreuil.

Oui, la première fois fut parfaite à tous points de vue. Javert et Valjean mangèrent un bon repas en ne se quittant pas des yeux. Valjean s’amusa à jouer les serviteurs tout le long du dîner. Il se retrouva souvent assis sur les genoux du policier, à l’embrasser tandis que ses vêtements disparaissaient. Le policier, canaille, se tenait avachi sur sa chaise, l’uniforme ouvert, dévoilant une chemise blanche, d’assez bonne qualité, les yeux brillants de luxure. Une image digne d’un bordel.

La chemise s’ouvrit également et les poils sombres du torse de Javert apparurent.

« Je trouve que tu es encore trop vêtu. »

Un sourire libertin. M. Madeleine retira sa veste, sa cravate puis s’arrêta. Contemplant le regard assombri de désir du policier avec amusement.

« Voulez-vous du dessert inspecteur ?

- La peste soit de cette tarte aux pommes ! Mène-moi à ta chambre ! »

Un rire, pas trop fort. Toussaint avait beau être sourde, aveugle, muette, elle ne méritait pas d’être le témoin involontaire d’une nuit de débauche.

On rangea du mieux qu’on put.

On récupéra les vêtements tombés sur le sol et on abandonna la table avec toute sa vaisselle. Le plat était encore en place et la tarte intacte.

Mais les deux hommes avaient assez joué.

Javert bloqua Valjean contre la porte de sa chambre, il ferma la porte à clé et prit sa bouche en conquérant. Forçant son ancien supérieur à accepter sa langue.

« Tu es un putassier [séducteur], Jean. Maintenant que tu m’as bien chauffé, il va falloir passer à l’acte !

- Je croyais que tu aimais les madeleines.

- Tu vas voir à quel point je les aime. »

Jean Valjean sentit en effet à quel point Javert aimait les madeleines. Javert le prit profondément, après l’avoir consciencieusement léché et caressé. Valjean ne se connaissait plus lorsque la bite de Javert le pilonnait, encore, encore et encore.

« Monsieur Madeleine ! Si on m’avait dit qu’un jour je t’aurais sous ma bite...

- Fraco. Plus fort ! »

Et d’obéir aux ordres de son supérieur. Comme toujours. Comme de juste.

Dévoué inspecteur Javert !

La première fois qu’ils couchèrent ensemble rue Plumet fut aussi la première fois qu’ils dormirent ensemble.

Valjean fuyait toujours le meublé de Javert après leurs jeux amoureux. Il y avait sa fille à l’attendre.

Mais là… Il n’y avait personne… Et ce fut un bonheur de s’endormir l’un contre l’autre. Valjean se colla contre Javert et le bras, possessif, du policier glissa sur sa taille.

Cela amusa Valjean.

Le Javert du XIXe siècle dormait comme le Javert du XXIe siècle. Possessif et protecteur.

Ils se réveillèrent aux petites lueurs de l’aube et Valjean montra le secret de la rue Plumet à l’inspecteur.

« Cela ne m’étonne plus de toi ! Comment veux-tu que je puisse capturer un homme aussi habile ?!

- Tu es pourtant un policier habile.

- Tu parles ! M. Fauchevelent, frère du Père Fauchevelent, réfugié au couvent du Petit Picpus devant le mur duquel j’ai perdu ta trace. Je suis un jobard.

- Je t’aime. »

Un dernier baiser et les deux hommes se quittèrent.

Oui, la première fois fut magique et elle fut suivie de nombreuses autres fois. L’inspecteur Javert venait visiter officiellement deux fois par semaine Jean Valjean pour un repas, une conversation et une partie de cartes…

Officieusement, en passant par la rue Babylone, il y eut d’autres visites. Plus rares, moins régulières mais Javert avait besoin de voir Valjean.

Les temps étaient durs et sa vie de mouchard était éprouvante.

Dix mois de vie heureuse.

On arrivait en novembre 1831… La colère grondait parmi le peuple, on fustigeait ce roi né d’une révolution, Louis-Philippe Ier commençait à provoquer l’ire des foules. Bientôt les barricades seraient construites et l’armée allait tirer sur la foule.

Il suffisait d’attendre encore quelques mois pour le voir.

Valjean commença à compter les semaines et à chercher un moyen de détourner Javert de son travail.

Mais les admonestations du vieux forçat, les inquiétudes qu’il avait pour le policier ne changèrent rien au dévouement de ce dernier. Javert était un policier et il avait retrouvé son poste à la Préfecture.

Il l’annonça avec plaisir et fierté à Valjean. Enfin, on oubliait l’affaire Valjean pour se souvenir de l’inspecteur Javert.

« Je retravaille pour le Premier Bureau !, annonça Javert en montrant une bouteille de vin de prix qu’il avait achetée pour l’occasion.

- C’est merveilleux !, » lança Valjean, mais le cœur n’y était pas.

De retour aux ordres de M. Chabouillet et du nouveau préfet Gisquet, Javert allait être envoyé à la barricade de Saint-Merri et il allait y mourir !

Novembre, décembre 1831, puis janvier, février 1832. Les semaines et les mois passaient et Valjean sentait monter l’angoisse pour son amant.

Même Cosette s’inquiéta pour son père.

« Dors-tu assez papa ?

- Oui, mon ange.

- C’est l’inspecteur qui t’inquiète ?

- Non, non. Un policier risque sa vie, c’est tout naturel.

- Bien sûr, bien sûr. Mais c’est ton ami ! Il est normal que tu t’inquiètes pour lui. »

Gentille Cosette, adorable Cosette, elle caressait la joue de son père et essayait de lui rendre le sourire.

Mais les mois passaient si vite et Javert était plus un espion qu’un policier.

Février 1832.

Le complot dit « de la rue des Prouvaires » fit grands bruits. Javert participa à un bal donné aux Tuileries sous le déguisement d’un membre du personnel. On arraisonna des conjurés légitimistes qui avaient prévu de capturer, peut-être même de tuer le roi et la famille royale. Afin de proclamer roi Henri d’Artois, le petit-fils de Charles X.

Javert avait infiltré le réseau avec d’autres policiers.

Cela redora son blason et le préfet adoucit sa sentence. L’inspecteur appartenait de nouveau pleinement à la préfecture de police.

Un an était passé maintenant, depuis le mariage de Cosette, depuis le procès de Valjean...les barricades devenaient un présage de mort. Et Valjean ne savait pas comment arrêter le temps.

Février fut un mois difficile. Il y eut un attentat manqué contre le roi Louis-Philippe Ier par Bertier de Sauvigny. Il y eut la première victime du choléra à Paris…

Cependant, Frédéric Chopin donnait son premier concert dans les salons Pleyel de la rue Cadet à Paris…

Ces faits faisaient hurler de rage les Amis de l’ABC, d’un côté le peuple misérable victime d’une malade due à la pauvreté et de l’autre les bourgeois bien nantis écoutant de la musique de chambre alors que le souffle de la liberté emplit les cœurs.

Do you hear the people sing...

Et en première ligne, le général Lamarque, figure de l’épopée napoléonienne, devenu fervent républicain et député de la gauche populaire, s’opposait bruyamment au gouvernement et au roi en personne en plein hémicycle parlementaire.

Valjean lisait les journaux et sentait monter la vieille angoisse au fond de lui.

Les mois de mars et d’avril virent la colère du peuple s’accroître au fur et à mesure des scandales politiques et sociétales.

On citait avec indignation la loi relative à la liste civile qui fixait à douze millions de livres par an, plus un million pour le prince royal, la fortune de la famille royale.

On parlait de la loi Soult imposant un service militaire de sept années.

Le peuple murmurait de plus en plus fort contre le roi.

Et le choléra devenait une véritable épidémie…

On compta plus de dix mille morts du choléra rien que pour avril.

D’autres faits scandalisèrent le peuple et cristallisèrent sa haine.

Annotations

Vous aimez lire Gabrielle du Plessis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0