Scène III

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Javert eut un rire désespéré en regardant Valjean, il caressa la douce barbe blanche et le contour des yeux, si bleus. John Madeleine avait des yeux marrons, des yeux qui l’avaient regardé avec haine, avec colère, avec douceur… Jean Valjean avait la peau blanche, des poils grisonnants sur le torse… John Madeleine était noir, sa peau était couverte de tatouages venant de la prison de Miami, dont un magnifique tatouage ethnique sur le cou, entourant sa nuque. Il avait eu bien du mal à le cacher à Albuquerque quand il était le maire…

« Mon Valjean… Et ton Javert ?

- Mort. Depuis des années. »

Dix ans ? Deux cents ans ?

Javert hocha la tête. Il était perdu. Madeleine l’avait appelé en panique, Thénardier menaçait sa famille. Il ne pouvait rien contre Madeleine, l’homme était gracié, mais il voulait s’en prendre à Cosette et à Marius.

Il avait découvert l’affiliation de Marius avec les Amis de l’ABC. Cela pouvait coûter sa liberté au jeune étudiant. Cela coûterait sa vie à la jeune Cosette.

Madeleine ne savait pas vers qui se tourner. Il avait cherché désespérément à joindre le lieutenant Javert...mais Javert avait quitté son poste…

Madeleine avait contacté le commissariat avec désespoir et une certaine lieutenant Azelma lui avait répondu. Azelma Thénardier. Elle comprit l’urgence de toute l’affaire, le besoin du secret. Elle était la fille du criminel en cavale.

Sans hésiter, elle avait donné le numéro de téléphone personnel de Javert. Elle savait que les deux hommes avaient un passif. Elle s’était dit que peut-être cela ferait office d’électro-choc pour son ancien collègue et ami. Peut-être que cela le ferait revenir à son poste. Chabouillet l’espérait toujours, Javert n’était pas officiellement rayé des cadres, juste en congé longue durée pour maladie.

Il pouvait revenir dés qu’il le souhaitait.

Mais voilà… Il y avait Jean Valjean…

Les deux hommes ne s’aimaient pas. Il fallait en convenir, il y avait de l’affection, de la camaraderie...mais ce n’était pas de l’amour.

« Putain, répéta encore Javert. Je ne peux pas te quitter comme ça. Encore une fois.

- Tu vas prendre ce putain d’avion ! Tu vas aller sauver John Madeleine et je veux que tu te sortes les yeux du cul ! Tu vas lui dire que tu l’aimes.

- Jean…

- Et si Dieu est un tout petit logique ! Il va te le dire aussi ! Et je veux un faire-part de mariage !

- Un mariage ? Carrément ? Tu exagères Jean ! »

Javert riait, dans les larmes. Valjean n’était pas mieux que lui. Les deux hommes s’approchèrent l’un de l’autre et se saisirent avec force, leurs lèvres se retrouvant pour un baiser désespéré.

« S’il n’y avait pas Madeleine…

- Je sais. Va préparer tes affaires. Je t’emmène à l’aéroport.

- Je te jure, s’il n’y avait pas Madeleine,...je t’aimerais…

- Fraco Javert ! Prends garde à toi !

- C’est prévu ! »

Ils s’embrassèrent encore et encore.

Puis Valjean se recula. Il souriait, incertain. Il fallait prendre des décisions et il les prit. Il espéra que c’était les bonnes !

Valjean se révéla un homme d’action. Il appela Laffitte et réserva un billet d’avion pour New-York.

« Un aller-simple Jean ?

- Oui, un aller.

- C’est fini ?, fit la voix horrifiée de George.

- Oui. D’un commun accord cette fois.

- Merde ! Je suis désolé Jean.

- Ne le sois pas ! Cette histoire n’allait pas bien de toute façon.

- Bon, bon. Je m’occupe du billet. Tu vas le recevoir d’ici peu par mail. »

George Laffitte se révéla efficace et rapide, comme à son habitude.

Javert était toujours perdu.

Cela fit étrange à Valjean d’être l’homme autoritaire pour une fois. Il poussa Javert à faire ses valises, il sortit la voiture du garage. Il programma l’ordinateur de bord et attendit Javert.

Le policier arriva bientôt, vêtu de son jean noir et de sa veste de cuir sur son tee-shirt blanc. Un bel homme.

Valjean ne résista pas et le captura pour un long baiser. Le dernier. Il sentait bien que sur un seul mot de lui, Javert resterait.

C’était tellement étrange.

A l’aéroport, Valjean déposa Javert. Les deux hommes se saluèrent et Javert disparut dans les entrailles de l’aéroport de Paris.

Valjean se retrouva seul. Surpris tout à coup de l’être.

Il manœuvra sa voiture et rentra chez lui.

Dans son salon, vidé des quelques affaires de Javert, il regarda son téléphone. Quelques textos l’attendaient.

Cosette… Laffitte… Javert…

Il lut seulement le message de Javert. Il n’y en avait qu’un :

Merci Jean. Tu es un homme exceptionnel. Tu es tellement fou et aussi adorable. Je regrette de ne pas avoir su être l’homme que tu méritais. Je sais que je t’ai dit plusieurs fois que je t’aimais. Je ne suis pas sûr que ce soit un mensonge tu sais. Adieu Jean.

Valjean répondit simplement :

Va sauver ton Madeleine et rend-le heureux ! Ainsi je serai heureux. Tu es aussi un homme exceptionnel. Je le sais ! Je t’ai couru après durant deux cents ans. Adieu Fraco...du moins dans cette vie.

Valjean savait que les dernières phrases allaient faire sourire Javert. Le vieux Frenchie était fou, autant continuer dans ce registre.

Ce ne fut que là que Valjean se permit quelques larmes.

Il se demanda aussi s’il aurait du suivre Javert. Peut-être pour le sauver, une fois encore ? Mais clairement, ce n’était pas la chose à faire. Valjean avait déjà perturbé l’histoire une première fois, il fallait maintenant laisser l’histoire suivre son cours.

De toute façon, ce n’était plus la sienne désormais.

Valjean fut étonné de se réveiller le lendemain dans sa chambre à Paris en 2019. Il pensait vraiment se réveiller ailleurs, à une autre époque. Même si maintenant, il ne savait plus trop quand et où. Il avait épuisé toutes ses vies et visité tous ses territoires. Sauf peut-être Faverolles. Mais il n’avait aucune envie de revivre une vie entière. Il en avait soupé de ces voyages.

En fait, Valjean voulait mourir maintenant. Cela aurait du être le chemin normal après le mariage de Cosette et ses aveux à Marius. Il voulait poursuivre cette vie-là. Achevée !

Puis les jours passèrent et Valjean sentait monter l’inquiétude pour Javert.

Il ne savait pas quoi faire.

Partir à New-York ? Le contacter ?… Il préféra rester silencieux et attendre…

Il attendit une semaine avant de recevoir un nouveau texto de Javert.

Hello le Frenchie ! Je vais bien. Thénardier est sous les verrous et je suis à nouveau le lieutenant Javert de la police de New-York.

Pour ne pas que tu t’inquiètes.

[image transférée]

Valjean sourit, tellement heureux et soulagé, devant la photographie que Javert lui envoyait. Un selfie du policier, en uniforme complet, il s’était enfin rasé, coiffé et ses lunettes de soleil étaient rangées dans la poche avant de sa chemise, derrière lui il y avait la fidèle V-Max, rutilante. Gregson n’avait pas eu le temps de l’envoyer à Paris.

Javert était magnifique. Il souriait gentiment à Valjean.

Valjean répondit simplement avec :

Et John Madeleine ?

Ce à quoi Javert lui répondit :

Nous sommes arrivés à un accord acceptable concernant notre précédent conflit.

Cela fit rire Valjean. Il referma son téléphone et fondit en larmes.

Cosette s’inquiétait pour son père. Jean Valjean s’affaiblissait, il ne mangeait pas assez, il ne dormait pas assez, il se jetait dans le travail et ne comptait plus ses heures. Laffitte avait tiré la sonnette d’alarme.

Le médecin fut appelé par Cosette et Valjean fut sommé d’accepter une auscultation.

« Votre cœur ne va pas bien, M. Valjean. Vous l’avez trop fatigué. Je ne réponds plus de rien si vous ne vous reposez pas davantage. Après votre AVC, un malaise cardiaque pourrait se révéler fatal.

- PAPA ! Tu vas arrêter tes bêtises !

- Oui, mon ange. »

Mais Valjean ne s’arrêta pas, bien au contraire.

Il voulait partir. Au XIXe siècle, il se serait couché pour attendre la mort dans le dénuement le plus total. Au XXIe siècle, c’était plus compliqué. Cosette le surveillait, Marius passait à l’improviste visiter son beau-père et George Laffitte l’examinait d’un œil inquisiteur.

Donc, il se fatiguait, s’épuisait. Il travaillait à domicile.

Franchement, il ne comprenait pas ce qu’il faisait encore dans cette vie !

Valjean essaya de retrouver des informations sur François Jimenez.

Il retourna à Montreuil, mais ne chercha pas à rencontrer la mère du policier. Il vint juste prier sur la tombe de l’inspecteur.

Il essaya de trouver des coupures de journaux parlant de cet événement caritatif durant lequel il était censé avoir rencontré le policier.

Et en être tombé amoureux.

Mais aucun souvenir ne lui revenait.

Ce n’était pas son Javert.

Jean Valjean, redevenu M. Madeleine, se promena dans la campagne entourant Montreuil, il retrouva la Canche, il retrouva l’Abbatiale…

Il reconnaissait les remparts de sa ville.

Et il voulait mourir.

Valjean alla aussi à Paris.

Il retourna sur la tombe de l’inspecteur Javert et pria longtemps devant la pierre couverte de mousse.

Le vieux forçat interrogeait l’ancien policier.

« Pourquoi avez-vous fait cela Javert ?, murmura Valjean. Je m’étais constitué prisonnier. Je vous ai donné mon adresse. J’étais prêt à retourner en prison. »

Les larmes coulaient sur les joues amaigries du riche industriel français et éminent philanthrope.

On ne comprenait pas cette tristesse qui prenait un homme du XXIe siècle pour un homme du XIXe siècle.

« Merde Javert ! Je ne souhaitais pas votre mort, » jeta amèrement le forçat.

Valjean secoua la tête et répéta les mêmes mots qu’il avait eu autrefois à l’encontre du policier lorsqu’il apprit son suicide :

« Vous étiez réellement fou... »

Un soir, il était invité à un dîner chez Cosette. Tout le monde était là. C’était bientôt Noël. Presque un an passé en 2019…

Valjean essayait de sourire, mais le cœur n’y était pas. On le plaignait, on mettait son état dépressif sur le compte de ce maudit flic américain.

Personne n’osait prononcer son nom de peur d’attrister Valjean.

Ce soir-là, Valjean était assis sur le canapé dans le salon joliment décoré de sa chère Cosette, cherchant à s’intéresser à la conversation lorsque son téléphone le prévint d’un message. Valjean s’excusa et regarda. Il recevait souvent des appels nocturnes pour des tournées de charité…

C’était Javert. Ce n’était pas un texto, c’était juste une image.

Un selfie montrant le policier vêtu de son plus bel uniforme posant, radieux, un de ses bras entourait les épaules d’un homme noir, souriant largement, habillé d’un magnifique costume vert bouteille, John Madeleine.

La légende indiquait laconiquement : Le faire-part.

Valjean se leva, choqué, heureux.

« COSETTE ! Regarde ! C’est Fraco. Il est... »

Valjean ne comprit pas tout de suite ce qui se passait.

Une sourde douleur dans la poitrine l’empêcha de finir sa phrase. Il y eut des cris, le bruit d’un verre se brisant sur le sol et il reconnut Cosette l’appelant désespérément.

« PAPA ! MON DIEU ! Réponds-moi ! PAPA ! MARIUS ! »

Un bruit qui se faisait de plus en plus lointain tandis que la douleur régressait. Valjean se sentait de mieux en mieux et de plus en plus lointain...

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