Scène IX

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« Combien pour les pommes ?, grogna l’inspecteur Javert, menaçant.

- Laisse !, fit Rivette, joyeux de sortir sa bourse. Je paye pour lui.

- Et les dépositions ?

- Je me charge de tout, monsieur l’inspecteur de Première Classe. Occupez-vous de la victime. »

Occupez-vous de la victime ?

Javert ne savait pas comment faire cela. Il improvisa donc. Il emmena l’enfant jusqu’à son bureau à la préfecture. Il prit un fiacre pour le trajet, négligeant les regards surpris posés sur lui par les passants et le cocher.

Un policier en uniforme portant un enfant en haillons… Quelle image saisissante cela devait faire !

A son bureau, Javert ordonna à un sergent de lui apporter du pain, du fromage, de l’eau...ce qu’il pouvait trouver comme nourriture et boisson à cette heure tardive. L’enfant était assis sur une chaise, droit, en face de lui et ne regardait personne dans les yeux.

Il attendait l’interrogatoire. N’était-ce pas ainsi que les cognes agissaient ?

N’était-ce pas ainsi que lui, Javert, aurait dû agir ?

Mais voilà, son monde avait été détruit et Javert apprenait...la miséricorde…

Le silence s’éternisait et portait sur les nerfs du policier.

« D’où tu viens le môme ? Tes parents ?

- Sais pas. Le daron doit être crevé et ma mère sur le ruban [le trottoir] quelque part.

- Et toi ?

- A la rue. »

L’enfant ajouta précipitamment « inspecteur ». Il avait peur de Javert et de ce que pouvait lui faire le policier.

Javert allait reprendre ses questions mais on frappa à la porte. Le sergent apportait un plateau couvert de victuailles. Cela surprit Javert qui demanda :

« Tout cela ? Mais il y en a pour la brigade !

- On s’est cotisés, inspecteur et s’il y a des restes, on les partagera. »

On lui souriait, ce fut peut-être ce qui étonna le plus Javert. Il remercia d’un hochement de tête et poussa le plateau vers le garçon.

Le dénommé Pierre ne prit rien, il attendait la contrepartie et n’aimait pas cela.

« Mange ! Je sais que tu es affamé ! On parlera après. »

L’enfant se décida et prit un morceau de pain. Un morceau de pain, puis un deuxième, puis encore un autre, puis du fromage, de l’eau, l’enfant dévorait et Javert le contemplait sans rien dire. Ses mains serrées devant sa bouche cachaient son expression amère.

Il songeait à lui-même à cet âge, il souffrait souvent de la faim et travaillait déjà pour la garde au bagne de Toulon. Le capitaine Thierry l’avait pris sous son aile.

On frappa à nouveau et un café fut déposé devant l’inspecteur.

Javert remercia sans mot dire, les yeux fixés sur ses souvenirs. Il ne se rendait compte de rien. Un café pour lui ? Voilà une autre rareté !

Enfin l’enfant fut rassasié et il reprit sa position d’attente. Rappelant un chat faisant le gros dos, inquiet de se prendre un coup de pied vicieux.

Javert appela le sergent pour que le plateau disparaisse de son bureau, les restes devaient être partagés.

Enfin l’inspecteur se retrouva seul face à son prévenu. Ne sachant trop quoi faire. La loi était claire, c’était un voleur et il devait aller en cellule. Il y avait des bagnes pour enfants…

L’enfant, lui, sembla avoir pris une décision. Il avait mangé, acceptant par avance la suite inéluctable qui devait se passer. Il soupira et se leva. Le garçon s’approcha lentement de Javert, de son pas discret et léger.

Javert s’attendait à des insultes, des prières...il ne s’attendait pas à ça.

L’enfant se mit doucement à genoux devant lui et ses petites mains sales de crasse se posèrent doucement sur ses genoux, remontant sur ses cuisses.

Javert avait compris. Il repoussa l’enfant de ses mains, horrifié.

« NON ! Je ne demande pas ça ! »

L’enfant pensait avoir compris ce qu’attendait le policier. Il ne serait pas le premier homme à offrir de la nourriture en échange d’autres faveurs. A moins qu’il ne souhaite… Mais là le visage juvénile blêmit.

« Je n’ai jamais...je n’ai jamais fait ça, inspecteur. Soyez doux. S’il vous plaît. »

Javert était scandalisé...mais pas surpris… Il avait déjà vu cela durant sa longue carrière. La prostitution était une solution comme une autre de s’en sortir, pas la pire, pas la meilleure.

« Je ne veux pas ça. Rassure-toi !

- Que voulez-vous alors ?

- Je ne sais pas, avoua le policier, mais j’ai un ami qui saura quoi faire. »

Nouvel éclair de peur. Le jeune garçon s’était relevé, sachant qu’on ne souhaitait pas de sa bouche ou de ses mains ici. Mais ailleurs ?

« Vous allez me vendre ?

- Mon Dieu ! Mais sur quel genre de gonzes tu es tombé petit ? Je ne veux pas de ça et mon ami non plus, mais il a l’habitude des enfants et saura quoi faire de toi.

- Quoi faire de moi ?

- Le connaissant comme je le connais, il va vouloir t’envoyer à l’école et devenir savant. Ou peut-être un couvent ?

- L’école ? »

Ces mots surprenaient autant l’enfant que si Javert lui avait parlé de la Lune ou de la Chine. Mais le policier avait pris son parti.

L’inspecteur se releva et tendit la main au garçon.

« Viens je t’emmène voir un vieux monsieur. Il sera jouasse de t’avoir avec lui. »

Pierre ne dit rien et se laissa emmener.

Javert et Valjean s’embrassaient, perdus dans leur petit monde. Les bouches se cherchaient et les langues se trouvaient. Javert se sentait dériver, ce devait être ainsi la noyade, la sensation de perdre pied et de ne plus pouvoir respirer.

Il désirait tellement l’homme assis à califourchon sur ses cuisses que sa bite était une douleur lancinante. Chaque mouvement de Valjean était accablant. Javert posa ses mains sur les fesses de Valjean pour le rapprocher encore plus près de lui.

« Mhmm, j’ai envie de toi, souffla l’inspecteur dans le creux de l’oreille.

- Fraco… Dieu que tu m’as manqué…

- A ce point ?, sourit le policier.

- Je ne t’ai pas vu depuis des jours.

- Je ne veux pas m’imposer.

- Imbécile ! »

Un sourire amusé et suffisant. Javert frotta ses favoris contre les joues de Valjean, comme un chat se frotte contre son maître.

« Comment va Pierre ?, » demanda Javert.

Valjean savait ce que c’était. Une futile tentative de détourner la conversation. La preuve que Javert ne voulait toujours pas sauter le pas. Même si son excitation était dure et nettement visible dans les plis de son uniforme. Même si elle faisait le pendant de celle du forçat.

Il fallait du temps pour apprivoiser l’inspecteur… Valjean était prêt à lui en laisser, autant qu’il le faudra.

Lentement, il se recula et répondit à la question posément :

« Il va bien. Il a du mal avec les lettres mais il apprend. Il est dur à la tâche. »

On dirait moi au bagne, pensait Valjean, mais il ne le dit pas. Personne ne méritait d’être comparé à la bête qu’était Jean-le-Cric.

« Je ne te remercierai jamais assez de l’avoir pris sous ton aile… M. Madeleine… »

Un sourire.

Plein de tristesse.

Javert était arrivé en plein milieu du jour, accompagné d’un enfant. Valjean n’avait pas encore déménagé mais les paquets s’amoncelaient. Il avait mis en vente l’appartement et s’était décidé pour la rue Plumet. Cosette était contente de cet arrangement. On ne partait plus en Angleterre et l’adresse était plus proche de celle de Marius.

Valjean fut surpris de voir cet enfant, malingre, accroché à la main de Javert, comme si sa vie en dépendait. Et par Dieu ! Peut-être était-ce le cas ?

« Voilà une jolie surprise, fit le vieil homme, souriant.

- Jean, je te présente Pierre. Pierre, voici Jean. »

L’enfant hocha la tête et regarda enfin Jean Valjean dans les yeux. Une terreur sans nom illuminait les yeux marrons de l’enfant. Valjean en fut choqué.

Les yeux de Cosette ! Elle aussi avait eu si peur lorsqu’il la sauva des Thénardier.

« Entrez ! Toussaint a fait du thé et du gâteau.

- Les femmes sont-elles là ?, demanda Javert en pénétrant dans le salon, en plein déménagement de Valjean.

- Elles sont rue Plumet. Elles préparent la place. Ce soir nous serons installés. »

Javert acquiesça.

Il n’avait rien dit mais cela lui avait semblé futile de déménager dans une autre adresse au nom de Fauchelevent mais Valjean avait l’air sûr de lui.

La maison rue Plumet n’était plus au nom de Fauchelevent mais sous celui d’Urbain Fabre. Mais ça, Javert ne le savait pas.

Bien entendu, si Vidocq tenait vraiment à chasser Fauchelevent dans tout Paris, il le trouverait mais dans quel but ?

Valjean profitait de l’inquiétude de Javert pour s’installer dans la maison où il avait passé les mois les plus heureux de sa vie.

Et voici le policier avec un enfant ?

Pierre s’assit dans le salon et attendit. Il ne se faisait pas d’illusions. Les discours de ce cogne étaient des mensonges, il allait devoir se mettre à quatre pattes et sucer des bites. Ce n’était pas nouveau.

Peut-être allait-il pouvoir voler un peu d’argent avant de s’évader ?

Les deux vieux s’installèrent sur le canapé face à lui et l’examinèrent en silence.

« D’où vient ce chat perdu ?, demanda le dénommé Jean.

- La rue. Il volait des pommes lorsque j’ai mis la main dessus. Il a été copieusement rossé. »

Quelque part, Valjean était soulagé. Il s’était demandé si les hématomes décorant la face de l’enfant venait...de l’inspecteur en personne… Une arrestation difficile. Cela ne serait pas la première fois.

« Et maintenant ? Il lui faut un abri ? »

Valjean était intelligent et regardait l’enfant en souriant.

« Un abri et un avenir, répondit le policier.

- Malheureusement je ne connais pas de couvent pour hommes. »

L’enfant leva la tête et contempla les deux hommes. Le dénommé Jean souriait, il réfléchissait en se frottant la barbe. L’inspecteur Javert avait baissé la tête et croisait ses mains devant lui.

« Je vais envoyer un message à la Mère Supérieure du Petit Picpus, lança Valjean. Elle aura des conseils à me donner. Pour l’instant, Pierre va rester ici. S’il le désire. Nous avons une chambre d’ami rue Plumet. Il pourra y dormir en paix. »

Le garçon ne savait pas s’il devait parler. Il ne comprenait pas. L’inspecteur leva les yeux sur lui et lui parla clairement :

« Tu veux vivre dans une maison, manger à ta faim, aller à l’école et ne plus traîner dans la rue ?

- Oui, inspecteur.

- C’est ce que M. Jean te propose. »

Sachant fort bien ce que pensait l’enfant à cet instant précis, Javert ajouta :

« Sans rien attendre en retour. »

Pierre hocha la tête et retrouva son mutisme. Le policier se leva et retourna à son poste. Il capta la peur qui ternissait le regard de l’enfant. Il posa sa main sur son épaule en passant. L’enfant avait grandi trop vite et n’était plus vraiment un enfant. Il en avait trop vu.

« Je passerai voir comme tu t’en sors le môme.

- Oui, inspecteur. »

Un regard aussi pour Valjean et Javert disparut.

La Mère Supérieure donna des adresses dans Paris et l’enfant se retrouva bientôt dans une école qui faisait internat. Il côtoyait d’autres enfants dans la même situation que lui. Ce n’était pas la prison, ce n’était pas la rue.

Il avait le droit de rendre visite à M. Valjean autant de fois qu’il le voulait. La liberté était importante pour ces enfants de Paris.

Gavroche n’aurait pas dépareillé parmi eux mais il était totalement seul dans la vie. Là, il fallait payer pour l’éducation, la pension et M. Valjean payait.

Régulièrement, Pierre venait voir M. Valjean et demandait des nouvelles de l’inspecteur Javert.

Une amitié naissait entre le forçat et le voleur.

Valjean ne serait plus seul après le mariage de Cosette.

Le contrat de mariage avait été signé. Les 600 000 francs offerts en dot. Valjean gardait un petit pécule pour vivre correctement, il avait charge de famille maintenant.

Il avait Pierre avec lui.

Il avait Javert qui lui rendait visite de temps en temps.

Il avait une vie à terminer.

Le mariage fut une redite de la première fois. M. Fauchelevent était blessé à la main, il ne put signer le registre de mariage. M. Gillenormand signa pour lui.

Et puis, il y avait les changements.

Le forçat ne fuit pas le repas de noce cette fois, il resta, mais il avait à ses côtés un Pierre, fringant dans son nouveau costume, et impressionné par la richesse des Gillenormand-Pontmercy.

« Ce sont des pêches, monsieur Jean ?

- Oui et je t’ai dit de m’appeler juste Jean.

- Je peux en manger une ?

- Mais oui Pierre ! »

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