Scène X

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L’enfant dévorait et souriait. Cosette l’adorait, elle avait été surprise de découvrir ce petit garçon recueilli par son père. Il lui restait des souvenirs de forêt et de maltraitance avant d’avoir été sauvée par son père...adoptif… Manifestement, son père avait découvert un nouvel enfant à sauver. Elle en était tellement heureuse et désignait l’enfant comme son frère, elle l’emmenait avec elle dans toutes ses courses. Marius le connaissait comme le petit protégé de M. Jean.

Marius Pontmercy connaissait M. Ultime Fauchelevent… Après le repas de noce, il apprit à connaître M. Jean Valjean…

Seulement, Marius Pontmercy apprit aussi la vérité sur la nuit des barricades car l’inspecteur Javert accompagna le vieux forçat pour être certain que Jean Valjean allait dire LA vérité et pas la légende noire du bagne.

Donc Valjean ne dut pas renoncer à voir sa fille et il ne fut pas question de mourir de faim et de chagrin. Pas dans cette vie !

Les changements...

On comprit et on acquiesça. Marius Pontmercy fut rassuré de savoir que le père de Cosette n’était pas un meurtrier. Un forçat, oui, mais pas un meurtrier. Revoir l’inspecteur Javert du poste de Pontoise en vie soulagea la conscience de l’étudiant révolté.

Marius s’en voulait tellement de n’avoir rien dit pour sauver le policier lorsque M. Fauchevelent l’avait pris pour le tuer.

Le coup de pistolet qu’il entendit dans le lointain lui fit l’effet d’un coup au cœur. La voix désolée de Courfeyrac résonnait encore dans son oreille.

« Le cas du mouchard est réglé. »

Enjolras ne dit rien, il haussa les épaules, indifférent. La Révolution était en marche et aucun sacrifice n’était trop dur pour assurer sa victoire.

Ses amis, morts à la barricade. Ses amis, si confiants dans l’avenir. Tous morts ! Des tables vides et des bouteilles vides…

Les cauchemars étaient difficiles à supporter. La présence de Cosette chassait les mauvais rêves.

Et puis, lui-même était mal venu de critiquer, n’était-il pas un insurgé ? Si la police mettait la main sur lui, il était bon pour le bagne ou la déportation en Guyane.

On contemplait l’imposant inspecteur Javert avec crainte…

Mais très vite, l’inspecteur Javert fut considéré comme le protecteur de la famille. N’avait-il pas aidé le forçat à amener le révolutionnaire à bon port cette nuit-là ?

Alors que tous les amis de Marius Pontmercy mouraient des balles de l’armée…

L’inspecteur tut pour l’éternité la présence du jeune avocat à la barricade de Saint-Merry… Ce fut comme si les Amis de l’ABC n’avaient jamais existé dans la vie de Marius Pontmercy.

Cosette adorait son père. Elle venait le visiter rue Plumet le plus possible. Elle y rencontrait parfois l’inspecteur Javert.

Une silhouette sombre qui lui rappelait de mauvais souvenirs…

Javert venait plus régulièrement. Les jours passaient mais la patrouille du policier coïncidait souvent avec la rue Plumet.

Sachant Valjean en sûreté, Javert se détendait.

D’ailleurs Vidocq le moqua mais cessa ses recherches pour cette raison, comme l’avait prévu et espéré Javert.

« Dis donc Javert, le 7, rue de l’Homme-Armé est en vente. Sais-tu où est parti M. Fauchelevent ?

- Qu’est-ce que cela peut te foutre ?

- Je ne le retrouve plus dans les registres. Évanoui le Fauchelevent ! Retour aux oubliettes ! Tu as réussi un exploit Javert.

- Plaît-il ?, grogna Javert, en continuant à remplir un rapport sur un tire-laine fraîchement arrêté, ignorant ostensiblement l’imposant chef de la Sûreté.

- Effacer un forçat de la surface du globe ! Tu avais si peur que je le retrouve ton fagot ?

- VA-TE-FAIRE-FOUTRE ! »

Un rire amusé. Mais Vidocq ne parla plus de Fauchelevent. Il avait d’autres chats à fouetter. On voulait se débarrasser de lui en haut lieu, même après les barricades et son action héroïque. Vidocq dérangeait, gênait et agaçait.

« Et tes rapports Javert ? Des améliorations dans le système judiciaire ?

- J’ai été convoqué par le ministère de la justice.

- NON ?! N’oublie pas de leur parler de la boustifaille [nourriture] du pré [bagne] ! C’est une honte à quel point c’est une ripopée de merde [un repas infect] ! »

Cela fit rire Javert. Un large rire. Un peu canaille. Qui attira le même chez Vidocq. Des souvenirs de haricots secs et de pain noir revenaient du bagne. Les gardes n’étaient pas mieux lotis que les forçats.

« Gy le fagot [Oui, le forçat] ! Une venne [honte] !, s’exclama l’argousin.

- T’en jacqueteras [parleras] ?

- Je tope [je suis d’accord].

- Je savais que t’étais pas un salopard complet, l’argousin. Tu vaux quelque chose en fait ?

- Je te remercie Vautrin. Je me souviendrai de cela le jour où je viendrai te poisser sur ordre du daron de la raille [le préfet de police].

- On en reparlera Javert. On en reparlera. »

Deux ennemis, deux collègues, deux amis...peut-être…mais il ne fallait pas faire confiance à Vidocq...

Javert venait visiter plus régulièrement Valjean et cela commençait à ressembler à ce qu’espérait retrouver Valjean.

Les sourires au-dessus d’un repas chaud, les mains se caressant en se disant au revoir et les bouches s’embrassant à en perdre haleine.

Pierre dormait à son internat. Toussaint était dans une chambre à l’étage, sourde, aveugle, muette.

Les jours étaient passés.

Javert était venu apporter la grâce et ce jour-là, Valjean et Javert s’embrassaient, ne voulant pas se quitter. L’alcool leur faisait perdre la tête.

« Reste cette nuit, murmura Valjean.

- Est-ce prudent ?

- Je ne veux plus te laisser partir ainsi.

- Mène-moi à ta chambre, » souffla Javert, abandonnant les armes et se rendant enfin.

Valjean se redressa, quittant sa position à califourchon sur les cuisses du policier. Il grimaça à la douleur dans les articulations. Il était vieux et le temps passait.

Il fallait s’aimer sans perdre de temps. Car le temps allait bientôt commencer à leur manquer.

Le forçat quitta le canapé et tendit la main au policier. Javert se laissa guider. Il se retrouva derrière lui dans l’escalier.

Il ne fallait pas se poser de questions.

Le monde avait sombré.

Il n’était plus l’homme droit et intègre qu’il était.

Il était damné ? Pourquoi ne pas poursuivre le jeu ?

Suicidaire, meurtrier, menteur, orgueilleux, coléreux, inverti...et maintenant sodomite… Quel péché lui restait-il à faire ?

La paresse ? La gourmandise ? Patience ! La vie n’était pas encore terminée… Il pouvait tomber plus bas.

La chambre de M. Madeleine était d’une pauvreté extrême. La modestie poussée dans ses moindres retranchements. L’inspecteur Javert en avait été tellement agacé ! L’humilité de M. Madeleine l’irritait. Cela lui semblait tellement suspect ! Et il avait eu raison d’être suspicieux.

Jean Valjean en faisait trop !

Et là, il rejouait la même scène, encore et encore. Une chambre d’une simplicité monacale. Un lit, une cheminée, une simple armoire…pas de rideaux, une seule couverture, un matelas dur comme une planche de bois…et posés bien en évidence sur le manteau deux chandeliers d’argent étincelaient de mille feux.

Javert se retourna et foudroya Valjean d’un regard aussi scintillant que l’argent de ces derniers.

« Monseigneur Myriel ?

- Il m’a sauvé avec ces chandeliers, » expliqua Valjean.

Valjean s’approcha de Javert et glissa ses mains sur la taille du policier. L’homme était resté fin, il avait passé une vie...des vies...à ne pas manger à sa faim.

« Tu les as volés ?

- Non. Il me les a offerts. En échange, je devais devenir un homme bien.

- D’où M. Madeleine… Je comprends… »

Javert les regardait puis doucement une de ses mains caressa le fin métal.

« Il t’a sauvé ?

- J’étais devenu une bête. Grâce à Monseigneur Myriel je suis devenu un homme.

- Les hommes ne changent pas… Tu étais déjà un homme au bagne ! Sinon, tu n’aurais pas sauvé ce forçat coincé sous cette cariatide.

- C’était un Atlante, le contredit Valjean.

- Un Atlante ? Je n’y connais rien en architecture. »

Cela fit sourire Valjean, il avait appris avec Maxime Du Florens. Tout à coup, Valjean se demanda ce que la vie avait offert au jeune architecte.

« Bref, fit Javert, agacé. Tu étais un homme au bagne, tu l’avais simplement oublié. »

Le policier se tourna vers Valjean et lui fit lever le menton pour bien examiner ses yeux.

« Je le sais ! Je t’ai assez surveillé pour cela. Tu étais un homme. Je regrette juste que le bagne ne t’ait pas mieux traité que cela. »

C’était le plus proche des excuses que Javert pouvait lui faire. Il ne voulait pas dire « le bagne », il voulait dire « moi ». « Je regrette juste ne pas t’avoir mieux traité que cela. »

Valjean saisit les mains de Javert et embrassa les doigts du policier. Avec tendresse.

« Je sais. Dans d’autres circonstances…

- Dans d’autres circonstances, oui. »

Nous aurions pu nous aimer…

Leurs bouches se chargèrent de terminer la phrase. L’heure était à l’amour, pas à la tristesse et aux remords.

Valjean força la bouche de Javert à s’ouvrir pour lui et le besoin devint plus puissant. Besoin de plus, plus fort, plus profond.

Puis les bouches ne suffirent plus, les mains caressaient et touchaient. Ils avaient déjà exploré jusque là.

Les doigts cherchaient des boutons et finalement le premier bouton s’ouvrit. L’uniforme de policier de Javert et la veste d’intérieur de Valjean.

Un bouton, puis un autre. Javert ne voulait pas s’arrêter. Il savait que s’il reprenait son souffle, si son cerveau se remettait en marche, il allait fuir la maison. Peut-être retourner dans la Seine ?

Il était encore tellement perdu…

Valjean perçut l’affolement de Javert, dans les battements trop rapides du cœur, dans le souffle trop court, dans le tremblement nerveux des doigts glissés sur sa chemise.

« Calme-toi Fraco. Rien de ce que tu ne veuilles... »

Un rire désespéré.

Que voulait-il ? Sinon tomber de ce foutu pont ?

« Vous allez bien inspecteur ? »

Les yeux noisettes de son sergent posés sur lui avec inquiétude. Javert se secoua et tenta de revenir au présent. Qu’avait-il raté ?

Il avait tellement de mal à rester concentré aujourd’hui. Une séquelle des maudites barricades.

Javert se perdait dans ses pensées et cela commençait à se voir.

« Pardon Gembrel. Veux-tu bien répéter ?

- On a retrouvé la piste de Patron-Minette, inspecteur. Le dénommé Montparnasse.

- Montparnasse ? Où ?

- Le chef de la Sûreté vous demande au siège de la Sûreté.

- J’y vais. »

Vidocq l’attendait avec impatience. La position de l’inspecteur Javert devenait étrange au sein de la police. Le préfet de police Gisquet se débarrassait de plus en plus de ce policier devenu trop gênant pour ses services. M. Chabouillet se battait régulièrement pour conserver son protégé à sa dextre.

Et Vidocq utilisait sans vergogne les capacités de Javert, un excellent cogne ! Un élément de choix dans sa batterie d’escarpes et de fagots !

Patron-Minette !

Si on pouvait mettre la main sur Montparnasse, on pouvait espérer retrouver toute la bande. Ces messieurs n’avaient pas daigné rester à la Force. Javert était le plus à même de mener l’enquête…

Les jours passaient, Javert venait régulièrement visiter Valjean rue Plumet...et tout aussi régulièrement les estaminets des bas-fonds de Paris…

Le mouchard était sur la brèche.

Montparnasse était un beau jeune homme, il savait jouer du surin [couteau] avec brio et ne reculait pas devant un meurtre...même celui d’un cogne s’il le fallait.

Au café Momus se retrouvaient les escarpes [assassins] et les charons [voleurs] de la Grande Vergne [Paris], au café Momus se retrouvaient Montparnasse et ses nouveaux poteaux [amis], au café Momus se retrouvait Javert, déguisé en gitan à la recherche d’emploi, les cheveux tressés et les favoris rasés à la militaire.

Au café Momus, on discutait du prochain fric-frac [cambriolage] et du picton [vin] trop cher, au café Momus, on prévoyait les détails d’un chauffage et d’un nouveau travail [assassinat] à accomplir vite fait bien fait, au café Momus, Javert ne regardait personne dans les yeux sauf d’un air si froid et mauvais qu’on préférait lui foutre la paix.

Le lendemain, l’inspecteur Javert faisait son rapport détaillé à Vidocq et le chef de la Sûreté acquiesçait. Il lui fallait des noms, des adresses, des complices, des détails.

A Javert de les lui fournir.

Et Javert les lui fournissait. D’une témérité extrême, le policier essayait d’entrer en contact avec un membre de la bande de Montparnasse. Se faire accepter dans l’équipe pour mieux accéder au chef de la bande.

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