La IX° Légion. Neuf. Un chiffre qui condamne d’avance. Si vous l’inversez, vous savez ce que ça fait ? 6. Six. Le chiffre de Heyliel, sixième archange, qui, selon la légende de l’antiquité pré-atomique, céda le premier aux sirènes de l'Abîme. On le connaît aussi sous le nom de Lucii Foros, le « Porteur de Lumière »… C’était, paraît-il, le plus beau des anges, et soit-disant le plus aimé de Dieu. Quoi ? Les anges ? Qu’est-ce que c’est, les anges ? Des êtres supérieurs, de nature céleste, façonnés par le Créateur à partir de la lumière primordiale, avant les humains. La version bêta, si vous préférez. Mais en mieux. Sauf que le mieux est l’ennemi du Bien. Les anges trahirent, les anges faillirent. Et le Créateur se détourna d’eux. C’est ce que dit la légende. Comment je sais ça ? Attendez… Vous êtes incultes à ce point, dans l’Infanterie Mobile ? Je m’intéresse à la culture vieille-terrienne, moi. Et oui, monsieur. Je pense même que ça devrait être obligatoire. Oui, obligatoire, comme le yoga républicain ou le kooldon. Que je reprenne le fil de mon histoire ? Hein ? Ah, oui. La Neuvième Légion. Hispana. C’est d’elle dont on parlait.

La Neuvième, donc. Moi je vous dit que c’était prévisible, ce qui lui arriva. Que c’était écrit, même. C’te Légion, son emblème, c’était un soleil noir aux rayons comme des lames, qui brûle et qui tue. Et oui, elle a bien disparu dans les parages de Sibalba. Aspirée par le Trou Noir. Un autre soleil noir, tiens ! Tout est lié, j’vous dit. Tout. Quand elle en est revenue… Mais attendez. Je ne vous ai pas tout dit. Regardez son nom. Regardez-le bien. Dites-le, même. Hispana… Hispana. Quoi, c’est le nom d’une ancienne division administrative vieille-terrienne ? J’t’en foutre, moi ! Ce que je vous dit, c’est que si on le prononce à l’envers, ça fait anapsih. Anapsin, même. Ana, comme anathème. Psin… En graphie Commune, sur les claviers les plus répandus, ça peut se lire pain. Pain, c’est un vieux mot terrien antique qui veut dire douleur… Car ceux qui sont contaminés par le chaos perdent tout sens de survie mammifère élémentaire et recherchent la douleur, qu’ils s’infligent à eux-même et aux autres. C’est ce qui arrivé à la Neuvième… Lorsqu’elle est ressortie du Trou Noir, elle avait changé irrémédiablement. Contaminée par une force maléfique… La même qui s’étend sur les serveurs du Crypterium actuellement. Cette flotte, avec son vaisseau-amiral, est revenue morcelée, en demi-vie. Comme la demi-vie nucléaire : ni morte, ni vivante. Et toute aussi menaçante. Rares sont les nautes qui l’ont croisée… Plus rares encore sont ceux qui sont revenus pour le raconter. Aucun de ces types n’a pu l’aborder et vivre pour le dire : ils l’ont tous vus de loin, avant de sauter immédiatement en hyper-espace, pour les plus chanceux. Pour certains, les effets se sont faits sentir des décennies plus tard. C’était un ancien capitaine de navire de commerce qu’on retrouvait mort dans sa cabine, les yeux révulsés et la bave aux lèvres… Un timonier qui se jette dans le vide sidéral sans combinaison alors que l’instant d’avant il riait avec les autres… Un navigateur qui s’ouvre le ventre et se bouffe les boyaux, sans raison aucune… Ou un officier scientifique qui devient fou et tue tout le monde sur la station sur laquelle il avait trouvé une affectation des années plus tard. Je parle pas des autres… Pas de ceux qui ont disparu corps et âmes et qu’on a jamais retrouvé, dont on a jamais entendu les récits. Mais vous pouvez me croire, cher monsieur, que ces malheureux ont vu des choses inimaginables avant de s’évanouir dans l’espace. Des horreurs qui ne sont pas de ce monde, et qu’on devrait bien se garder de concevoir, même en pensée. Surtout tout seul dans sa cabine, le soir, alors qu’on croise au large d’une étoile effondrée.

Propos tenus par un vieux naute à un jeune aspirant légionnaire, 17° millénaire.