Chapitre 21 - Fonce Alphonse
En toute fin d’après-midi, le bus déposa Tom dans un quartier excentré de la ville, celui de son enfance. Il arriva dans la rue qui menait chez lui. Il pouvait la remonter les yeux fermés. D’un côté de la rue, la maison où il avait grandi et de l’autre, la garage de son père et sa cour gravillonnée. Il ouvrit, de ses deux mains, la longue porte coulissante en fer de son atelier. Toujours aussi lourde celle-ci! Il se revoyait enfant. A la demande de sa mère, il traversait la rue pour prévenir son père que le dîner allait refroidir. Il la poussait alors de toutes ses forces pour la refermer, impatient que son père en finisse avec le moteur de la voiture d'un client. Aujourd'hui, il a son père devant lui, toujours le même dans sa salopette bleue, sa moustache rieuse et son torse bombé de satisfaction. Il se nettoyait les mains, pleines de graisse, dans un vieux chiffon.
- Ça y est elle est enfin prête. Je lui ai passé son dernier coup de polish. Tu en penses quoi ? Comme promis, elle est à toi quand tu veux, mais je te préviens, pas une seule égratignure, entendu ?
La 2CV Citroën bordeaux était rutilante, magnifique. Cela faisait plus de six mois qu’il avait entrepris de la rénover complètement. Il avait même changé les housses en cuir. Tom siffla, impressionné, le félicita longuement. Son père était un génie. Il avait fait du bon boulot.
Ils étaient à table tous les deux, dans la cuisine l’un en face de l’autre. Tom finit sa soupe de légumes et essuya son assiette avec un morceau de pain. Son père faisait de même de manière méticuleuse, en ne perdant pas de vue la tête contrariée de son fils.
- Oh toi, mon fils, tu n’as pas ta tête de d’habitude. Je peux savoir quel est l’heureux élu ?
- Arrête papa !
- Comment ça, arrête ? Plains toi de ton vieux père. Il s’appelle comment ? Il a quel âge ? Il fait quoi dans la vie ?
J’y crois pas, il me fait la totale !
- C’est pas ce que je voulais dire, tu sais bien. Il s’appelle Paul, il a 18 ans et il est à la fac avec moi, mais…
- Mais quoi? Il y a toujours un mais avec toi Thomas !
- Mais non. Y’a pas de mais. C’est ça le problème. Enfin si, mais pas chez lui. C’est moi qui merde. Enfin, je sais pas trop. C’est juste que pour une fois, j’espère juste que je vais pas me ramasser.
- Oh la la, mon fils est amoureux! Et voilà qu’il se pose déjà plein de questions. C’est normal, mais à ton âge, je me souviens, moi... Je t’ai raconté cet été là, c’était quand déjà, ah oui 1965 ! C’était une sacrée rousse qui avait de sacrés...enfin tu vois. Et bah tu me croiras ou pas mais c’est elle qui m’a abordé en m’appelant directement par mon prénom : Et Alphonse, tu me fais faire un tour dans ta voiture, elle monte jusqu’à combien? Alors moi, fiston, je me dis dans ma tête, allez fonce Alphonse, elle est pour toi! Et une fois sur la route...oh la la, oh la la...
Et c’est reparti, mais c’est pas vrai. C’est plus que la totale ce soir! Tom ne put s’empêcher de soupirer gentiment tandis qu’il écoutait son père lui raconter ses conquêtes de jeunesse. Il les connaissait par cœur. Mais aujourd’hui, il était prêt à l’écouter patiemment. Il était si heureux de la nuit passée avec Paul, qu’il se surprit même à rire lorsque son père ajouta un détail inédit à son récit.
Tom revint chez lui, le dimanche en fin d'après-midi. Il s'effondra sur son lit, contempla le plafond. Repensa encore à Paul. Il céda à une légère somnolence, reprenant de temps en temps conscience. Il attendit toute la soirée son appel en vain. Il n’osait pas le contacter, pourtant ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Surtout qu’il s’en voulait de n’avoir pas réussi à lui avouer ses véritables rapports avec Rickie. Quant à Marc. Il n’était même pas envisageable de lui en parler. Le lendemain de la poursuite dans le parc, Rickie avait sonné chez lui pour s’excuser platement. En apercevant sa lèvre tuméfiée, il lui avait proposé un café. Ils avaient mis carte sur table. Tom avait écouté attentivement le récit de Rickie. Il n’arrivait pas à croire tout ce qu’il avait entendu. Même s’ils ne se fréquentaient plus, il était loin d’imaginer ce que vivait Rickie depuis des mois. Il avait eu de la peine pour lui. Il s’était senti impuissant et honteux de n’avoir rien vu. Rickie l’avait aussitôt coupé dans sa culpabilité. Il n’avait rien à se reprocher, c’était son histoire. Quant à l’agression de Paul, que pouvaient-ils faire ? Ils n’avaient aucune preuve de ce que Rickie avançait. Ils étaient arrivés à la conclusion qu’il fallait que cette histoire se termine une bonne fois pour toutes. Tom avait encore besoin de réfléchir, car cette histoire lui faisait peur. Il avait réussi à convaincre Rickie d’attendre la fin de ses examens avant de passer l’acte.
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