Les températures hivernales s’étaient adoucies. Le froid avait laissé place à une pluie fine et continue. Les premiers examens de l’université eurent lieu dès le lundi matin, à neuf heures. Tous les étudiants de première année d’histoire étaient arrivés, munis de leur convocation pour 8h30 et attendaient dans les couloirs froids et sans vie. Tom arriva un peu en avance, l’esprit concentré. Il surveillait, depuis un coin stratégique, l'arrivée de Paul. Mais aucun signe de lui. Progressivement, la longue file d’étudiants s’installa sur les bancs de l'amphithéâtre. Chaque étudiant attendait docilement sa copie. Mais où était-il bon sang? Neuf heures approchaient, la distribution du sujet était pratiquement terminée, quand Paul arriva, essoufflé, muni de sa convocation. Il s’installa rapidement à sa place, enleva maladroitement son manteau et sortit sa trousse. Tom tenta de lui faire signe mais en vain. Il était trop loin. Le professeur autorisa les étudiants à découvrir leur sujet et leur indiqua les dernières recommandations d’usage.

Les trois heures d’examens s’évanouirent rapidement. Tom remit sa copie, pas mécontent de lui. Il sortit pour aller aux toilettes. Cinq minutes après, il retourna à l’entrée de l'amphithéâtre. Paul avait dû partir entre-temps. Il ne restait que deux professeurs sur l’estrade qui classaient les copies d’examen. Il rentra chez lui, tout penaud. En fin d’après-midi, n’y tenant plus, il décida d’appeler Paul. Le téléphone sonna dans le vide. Il envisagea d’aller lui rendre visite mais finalement, se ravisa.

Le deuxième examen eut lieu le lendemain, en début d’après-midi. Cette fois-ci Paul arriva à l’heure et Tom vint à sa rencontre avec un grand sourire. Paul lui serra la main timidement, avant de sortir de sa poche un bracelet multicolore.

- Tu l’avais oublié chez moi, je te le rends, lui dit-il, avant de se diriger vers la salle d’examen.

Tom resta interdit. Il lui fallut plusieurs secondes avant de se ressaisir et d’entrer à son tour. Trois heures après, il s'aperçut avec déception que cette fois-ci c’était Paul qui était sorti de la salle bien avant lui. Il décida d’aller faire quelques provisions avant de rentrer. Après le dîner, le désir lui vint de prendre son manteau et de courir tout droit chez Paul. Mais une fois encore, ne faisait-il pas preuve d’impatience? Finalement, il décida de rester chez lui.

Il ouvre les yeux mais le soleil de cet après-midi l’aveugle. J’ai du m’assoupir se dit-il en clignant des yeux. Il est allongé sur sa serviette de plage, soulève son buste à l’aide de ses coudes et regarde la mer devant lui. La serviette à ses côtés est vide. Où est Paul ? Sa main au-dessus de sa tête lui fait un peu d’ombre. Il finit par l’apercevoir au bord de l’eau lui faire signe de venir le rejoindre. Tom le trouve beau dans son maillot de bain bleu. Il se met à bander aussitôt. Il regarde de chaque côté, de peur que les personnes autour de lui s’en aperçoive. Mais étrangement la plage est déserte. Paul lui crie des paroles inaudibles et le voit avancer dans l’eau. Il finit par se lever. Son excitation retombe doucement. Il avance en direction de l’eau. Il voit Paul déjà au loin en train de nager. Il court le rejoindre. L’eau l'éclabousse et lui fait un bien fou. Il plonge la tête la première, fait deux trois mouvements de brasse sous l’eau avant de ressortir, pleinement vivant. Où est Paul ? Il ne ne voit plus. Il fait un tour sur lui-même, crie son nom. Mais personne ne répond. Soudain, la peur l’envahit, décide de nager plus loin pour tenter de le rejoindre. Il se met à crier son nom de plus en plus fort. Sa nage est maladroite. Il s’épuise vite. Il perd pied.

Tombé de son canapé, il se réveilla en sursaut. Il s’était endormi près du téléphone. Mais celui-ci ne sonna pas de toute la soirée. Il finit par aller se coucher en espérant refaire son rêve et le modifier à sa guise.

Le dernier examen était fixé le lendemain à dix heures. Tom en sortit exténué mais heureux d’en être débarrassé. Paul sortit peu de temps après lui.

- Alors comment ça s’est passé pour toi ? demanda Tom pour engager la conversation.

- Pas trop mal mais je suis épuisé, et toi ?

Tom répondit que la dernière épreuve avait été laborieuse mais que ses efforts de révision avaient payé. Il lui proposa de venir chez lui pour fêter ça, mais Paul déclina son invitation, prétextant qu’il était vraiment fatigué. Tom ravala sa frustration et le laissa libre de partir.

De retour chez lui, fatigué par la tension de l’examen, une inquiétude sourde vint l’obséder. Pourquoi avait-il l’impression que Paul l’évitait tout à coup ? Que fallait-il faire ? Lui téléphoner dès ce soir ou laisser passer la fin de semaine ? Avait-il été maladroit avec lui ? Paul doutait-il de sa sincérité ? Autant de questions qu'il se répétait en boucle.

Tom avait vu Paul pour la première fois à la rentrée universitaire, pendant le cours de Monsieur Durieux. Il l’avait observé à la dérobée, à plusieurs reprises. Il avait été attendri par cet air perdu, mêlé de décontraction, qu’il se donnait. Il l’avait longuement observé à la bibliothèque en train de compiler ses livres, recopiant consciencieusement de longs passages, faisant des pauses réflexives sur ce qu’il venait de lire, jouant avec le capuchon de son stylo entre ses dents, ou aplatissant à plusieurs reprises l’épi indomptable de ses cheveux. Il l’avait croisé dans les couloirs de l’université sans oser l’aborder. Il avait réussi à connaître son prénom grâce aux feuilles d’émargement d’un travail dirigé. De semaine en semaine, il l’observait adopter le rythme soutenu que nécessitaient leurs études. Paul lui paraissait être de nature plutôt souriante avec les autres étudiants mais sans donner l’impression d’appartenir à un groupe. Parfois, il se retrouvait dans son côté solitaire. Il n’avait jamais trouvé le moment propice pour lui parler, car il avait toujours peur de perdre ses moyens. Pourtant, il n’avait pas de problème pour aborder les gens d’habitude. Non pas que Paul l’impressionnait, mais il était persuadé qu’il lui était inaccessible. Ce garçon devait immanquablement préférer les filles.

Penser à Paul lui faisait du bien même s’il n’avait reçu aucun signe de sa part pendant le week-end. Et si Rickie avait encore fait n’importe quoi en se laissant berner par Marc? Il l’imaginait être allé chez Paul lui raconter toute leur histoire. Cela expliquerait tout. Tom passerait pour quelqu’un de malhonnête, celui qui n’avait pas réussi à lui dire la vérité sur son agresseur. Il se sentait une nouvelle fois piégé. Encore quelques jours et toute cette histoire serait derrière lui. Alors il serait soulagé, prêt à tout avouer à Paul. Mais serait-il prêt à l’écouter ? Et s' il s’était trompé sur tout ? Comment avait-il pu croire que Paul puisse tomber amoureux d’un garçon ? Il l’appela plusieurs fois mais en vain. Le fait de ne pouvoir le joindre commençait à gagner son moral. Cela confirmait ses doutes. Paul était resté poli avec lui sans oser lui avouer que ce qui s’était passé entre eux ne ne reproduirait plus jamais.

Le lundi suivant, les premiers cours du second semestre débutèrent. Tom retrouva Paul, déjà assis sur le banc de l'amphithéâtre, à sa place habituelle. Un professeur, qu’ils n’avaient jamais eu auparavant, se présenta et commença son cours sur la révolution française. Tom essaya d’engager la conversation. Avait-il passé un bon week-end? Paul murmura que oui d’un sourire timide. Deux heures après, ils changèrent d'amphithéâtre pour le cours suivant. La matinée s’acheva mais au moment où Tom lui proposa d’aller déjeuner, Paul lui répondit qu’il était désolé, mais qu’il avait quelque chose de prévu, une prochaine fois avec plaisir. Douche froide. Ne rien laisser paraître. Les jours suivants, ils continuaient à s’asseoir l’un à côté de l’autre pendant leurs cours mais Paul lui adressait peu la parole.

Le jeudi matin, Tom luttait contre le sommeil. Encore une nuit d’insomnie à imaginer des scénarios de plus en plus noirs. Mais il ne pouvait se résoudre à ne pas tenter toutes ses chances avec Paul. Il l’attendait, à la fin d’un cours que lui seul avait choisi en option, bien décidé à l’inviter de nouveau. Le cours se terminait dans cinq minutes. Alors qu’il patientait dans le couloir, un étudiant vint à sa rencontre.

Tom, c’est ça ?

Première fois que Tom voyait ce garçon brun, les cheveux courts, au regard aguicheur.

- On se connaît ? ​demanda Tom.

- Non, pas du tout, mais nous avons un ami en commun qui cherche désespérément à te revoir. Il m’a dit que je pourrais sûrement te trouver en venant ici. Il est désolé de ce qui est arrivé. Il serait très heureux de dissiper tout malentendu en t’invitant chez lui ce soir. Je dois te préciser que tu ne peux pas refuser. ​

Le cœur de Tom s’accéléra soudain. Ses mains se crispèrent. Comment ce jeune homme l’avait-il donc trouvé ?

- Je ne comprends rien à tes salades. Et t’es qui toi d’abord ? Les présentations n’ont pas été faites que je sache ! ​répondit-il avec arrogance, comme pour lui montrer qu’il n’accordait aucune importance à son message.

- Peu importe. Écoute, j’ai rien contre toi, mais à mon avis, tu sais très bien de qui on parle tous les deux. Rendez-vous à 20h chez lui, conclut-il avant de tourner les talons, sans laisser le temps à Tom d’ajouter quoi que ce soit.

Il resta devant la porte, les yeux hagards, comme pour mieux assimiler ce que le jeune homme venait de lui dire. Il avait tout de suite compris de qui et de quoi il s’agissait. Il regarda sa montre et décida de ne pas perdre une seule minute pour attraper un bus.