Chapitre 47 - Tu dors de quel côté du lit?
La nuit précédente, Paul n’avait pas beaucoup dormi. Il somnola pendant tout le voyage. Le train réduisit son allure. Il s’étira sur son fauteuil. Il remonta une des manches de son pull pour admirer l’ensemble des bracelets multicolores que Tom lui avait attachés autour du poignet, le matin même. Les gens autour de lui commençaient à se lever, prenaient leurs bagages dans les casiers, mettaient leurs manteaux. Il se frotta les yeux pour se réveiller complètement et regarda défiler le paysage enneigé.
- Regarde toute cette neige. J’en reviens pas, c’est la première fois que je vais skier, ça va être géant.
Tristan, assis à ses côtés, rangea son baladeur à cassettes dans son sac à dos.
- Mon frère nous attend à la gare, il nous emmènera directement à l'hôtel-restaurant.
De retour chez ses parents, Tristan avait demandé à Paul s’il voulait passer un séjour d’une semaine tout frais payés à la montagne. Paul lui avait aussitôt demandé ce qu’il s’était passé avec Marianne. Une énième dispute mais cette fois, il ne s'était pas laissé faire. Durant le week-end où son frère était revenu, Tristan avait expliqué la situation avec honnêteté. Ses parents, ravis de voir leur famille réunie, l’avaient écouté avec attention. Son père, d’abord en retrait, s’était montré surprenant devant son fils désemparé. Ce n’était pas seulement Marianne avec qui ça n’allait plus, c’était ses études, sa vie en général. Sa mère avait essayé de le rassurer. Ce n’était sûrement qu’un orage entre eux. "Tous les couples connaissent des hauts et des bas" avait-elle dit en regardant son mari de biais. Mais Tristan ne les avait pas rassurés. Son frère avait pris son parti et l’avait encouragé à ne pas se laisser marcher sur les pieds, par cette fille qu’il n’avait jamais aimée. Pour ne pas trop les inquiéter, Tristan leur avait aussi annoncé qu’il était content de continuer de travailler le samedi au Microsillon et de mesurer quelque part la réalité du milieu professionnel. Il avait espéré faire plaisir à son père. Cela n’avait pas été vain. Contre toute attente, son père lui proposa, puisque le voyage avait été payé à l’avance, d’en faire profiter quelqu’un d’autre. Pourquoi n’inviterait-il pas son meilleur ami? Après de nombreuses réserves (Marianne allait le détester et il n’avait pas besoin de ça), Paul avait finit par accepter.
Munis de leurs valises, ils s'engagèrent dans le couloir du train, parmi le flot de vacanciers. Emmanuel, le frère de Tristan, leur fit de grands gestes, sur le quai. Il les aida à porter leurs valises et ils marchèrent tous les trois sur les pavés souillés de résidus noirs laissés par la neige fondante. Ils longèrent la gare pour rejoindre la voiture d'Emmanuel stationnée dans une impasse. Arrivée au centre de la station, la voiture les déposa devant un vieil hôtel-restaurant. L’Auberge des Trois Sapins semblait être là depuis toujours. Les photos et les cartes postales, accrochées dans le hall d’entrée, attestaient de la vie de l’établissement et de la bonne humeur qui y régnait. Après avoir stationné sa voiture dans un rue adjacente, Emmanuel leur présenta rapidement la partie restaurant, située à côté du bar du rez-de-chaussée et leur montra leur chambre située à l’étage. Il les informa des horaires du petit déjeuner (entre 7h et 10h), des repas du midi (possibilité de faire des sandwichs à emporter pour la journée) et du dîner (à partir de 19h). La chambre un peu défraîchie et de taille modeste était malgré tout bien agencée, avec un petit cabinet de toilette. Un lit imposant et sur la table de nuit, des brochures touristiques. Il leur recommanda quelques randonnées et un établissement de location de skis qu’il connaissait bien ("adressez-vous à Frédéric et dites que vous venez de ma part, ne vous préoccupez pas du paiement, tout est réglé"). Tristan remercia chaleureusement son frère. Sans perdre de temps, Emmanuel prit congé et retourna travailler. Ils posèrent leurs valises sur la moquette usée et entreprirent de déposer leurs affaires dans une vieille armoire qui grinçait.
- Je vais appeler mes parents pour leur dire que nous sommes bien arrivés, dit Paul.
- J’en profiterai pour appeler les miens.
Paul lui demanda si Marianne savait qu’il était avec lui. Tristan baissa les yeux. Il n’avait pas eu le courage de lui dire. Paul lui lança son bonnet à la figure pour chasser ce regard triste qu’il connaissait si bien.
Après avoir passé leurs appels respectifs dans une cabine téléphonique, ils trouvèrent, dans une rue parallèle à la place centrale, le magasin de location de skis. Au bout d’une heure, ils ressortirent, les bras chargés, de leur combinaison, avec chacun une paire de skis.
- Il faudra aussi qu’on se fasse la randonnée en raquettes, comme nous l’a conseillé Frédéric. Qu’en penses-tu ? demanda Paul, excité par leur séjour.
Tristan leva son pouce, le visage enjoué.
- Mais avant, tu prendras ta première leçon de ski avec un super moniteur.
- Ah oui, lequel ?
Tristan frappa son torse bombé et fit un signe de victoire.
- Ah je vois, bon bah dans ces cas là, il faudra bien repérer le poste de secours, dit-il en riant.
La nuit était déjà tombée. Ils revinrent à l’auberge poser leurs skis dans un petit local dédié. Il était déjà bientôt l’heure du dîner. En attendant, ils remontèrent dans leur chambre.
- Tu dors de quel côté du lit ? demanda Tristan.
- Celui de gauche.
- Parfait, je préfère le droit.
Ils s'affalèrent sur le lit dont les ressorts se mirent à grincer aussitôt. Ils attrapèrent les brochures touristiques et les étudièrent attentivement.
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