chapitre 20
Nashran ouvrit doucement les yeux et les cligna durant un long moment sans comprendre ce qu’il voyait. Son corps était engourdi. Il n’était pas dans la même position. Ogma avait dû le détacher, se dit-il une seconde avant d’écarquiller les yeux et de chercher le reproducteur autour de lui. Il n’était nulle part, mais il y avait bien quelqu’un. Ce n’était simplement pas Ogma.
- Où ? Où est-il ? Où est Ogma ?
Presque aussitôt, la personne à côté de lui le rejoint et lui attrapa les mains en douceur.
- Nashran ! Tout va bien. Il n’est pas là. Il ne te touchera plus jamais.
- Où est-il ? Il… Il va se fâcher quand… oh non, s’il-vous-plait.
- Nashran !
La voix répéta encore son prénom par deux fois avant que l’homme ne le saisisse et le serre fort contre son buste en lui répétant que plus jamais Ogma ne le toucherait.
- Tu es sorti. Tu ne vas pas y retourner.
- Date ?
- Oui, c’est moi. C’est moi. Tout va bien maintenant Nashran.
Date était bouleversé. Bouleversé de voir son ami aussi perdu et angoissé. Bouleversé de savoir qu’il avait été seulement à quelques mètres de là et qu’il n’avait rien pu faire.
- Où est Ogma ?
- Il est enfermé… Il a… Il a changé de statut. C’est un réceptacle d’entraînement maintenant. Il ne pourra plus jamais te faire quoique ce soit. Tu es libre !
Nashran soupira soudainement et eut l’air de pouvoir de nouveau se mettre à respirer, mais alors qu’il se collait un peu plus contre son ami, il lui demanda encore et encore si la porte était bien fermée ou si Ogma risquait de venir. Date eut beau essayer de le rassurer, lorsqu’il se rendormit se fut d’un sommeil agité.
Les jours qui suivirent ne furent guère plus glorieux. Nashran semblait brisé, renfermé sur lui-même, perpétuellement inquiet. A tel point qu’après presque une semaine, Date décida qu’il était temps de changer de plan.
***
Never était pour le moins morose. Avoir fait ce vœu lui coutait beaucoup. Anatola avait négocié un petit délai de manière à ce qu’il ait le temps de se faire à l’idée, mais au bout du compte, il devrait passer à l’acte. Ejaculer, bien-entendu mais surtout laisser naître un enfant. L’homme pour qui il avait pris cette si grosse décision, il ne l’avait pas encore revu. Nashran allait mal, lui avait-dit Date avant de lui demander de venir le voir. Pourtant Nashran ne l’avait pas réclamé et Graan pensait qu’il valait mieux qu’il ne voit aucun reproducteur pour le moment.
Si Never venait c’était donc plus par égoïsme qu’autre chose. Il avait besoin de voir Nashran, besoin de le voir en sécurité et besoin de se rappeler pourquoi il avait cédé autant. Mais pour lui qui détestait être au centre des attentions, le chemin fut pour le moins difficile.
Entre son quartier et la chambre de Nashran chez les réceptacles, il fallait faire un très long trajet. Au début, c’était presque facile. Ici vivait des reproducteurs et s’il y avait des réceptacles, ils étaient rarement en errance. Ils allaient voir quelqu’un ou faire quelque chose. Bien-sûr, tous le regardaient avec insistance, mais cela s’arrêtait là. Au plus il s’éloigna, au plus il commença à être suivi. Il entendit que l’on parlait de lui, ouvertement, sans même chercher à se cacher puis peu à peu, certains vinrent directement l’aborder.
- Salut toi… On dirait que tu es à ma recherche ? Je suis juste là. Lui glissa un petit blondinet magnifique.
Never ne répondit pas. Il carra un peu plus sa tête dans ses épaules et continua d’avancer sans dire un mot. Le regroupement fut de plus en plus important autour de lui et bientôt, la rumeur avança plus vite que ses pas. On l’attendait. Graan arriva à peu près en même temps que lui, essayant de disperser les groupes, en vain. Le peu d’autorité qu’il pouvait avoir n’avait strictement aucune influence sur eux, pas quand le gros lot s’appelait « Never ».
- Never ! Pourquoi es-tu venu ?
- Je vais voir Nashran.
- Il n’est pas en état. Souffla Graan l’air totalement insatisfait.
- Alors il me mettra dehors. Répondit-il en haussant d’une épaule avant d’ajouter : Tu veux bien me guider jusqu’à lui ?
- … oui. Ca nous évitera au moins une émeute… Les gens comme toi ne viennent jamais ici, tu sais !
- Je sais.
Never suivit le plus âgé d’un pas lent. Il détestait être observé comme ça. Il détestait encore plus leurs regards dégoulinants d’envies comme s’il n’était qu’un bout de nourriture appétissant. Seulement, il était plus que ça. Il était quelqu’un ! Lorsqu’il se retrouva devant la porte close, il hésita néanmoins. Il avait hâte de la franchir, mais il ne voulait vraiment pas prendre le risque de faire peur à Nashran alors il toqua respectueusement. Ce fut Date qui lui ouvrit et lui proposa d’entrer et enfin, il fut à l’abri de tous leurs regards.
- Salut. Marmonna Never.
La pièce était sombre, mais sur le lit, recroquevillé sur lui-même, Nashran était là. Il tenait la couverture remontée sur son corps et tremblait comme une feuille en le regardant. Never hésita un peu, puis s’approcha et s’accroupit à côté du lit sans pour autant le toucher afin d’être à la hauteur de son ami.
- Comment ça va ?
- Never… C’est… C’est toi qui es venu me chercher ?
- Ouais… Désolé pour l’attente.
- Tu… Tu es venu ?
- Oui.
- Mais comment… Je ne comprends pas… Comment tu as fait ? Est-ce qu’il va… Est-ce que… Je dois m’attendre à une guerre de vœux ? Ogma. Il va revenir c’est ça ?
- Non. Il n’a plus de vœux et il n’en aura plus jamais. Il a changé de statut.
- Mais comment ?
Never soupira, jeta un coup d’œil à Date qui acquiesça et sortit de la pièce en silence. Never détestait parler de ça.
- Lorsqu’on rentre en zone de reproduction, ils calculent un taux de pureté chez les reproducteurs. Ils cherchent les taux les plus hauts.
- Pour éviter les anomalies génétiques. Murmura Nashran en posant une main sur son œil.
- Ouais… Ogma a un taux de 87%, c’est vraiment un très bon taux. En cas de guerre de vœux, le système va prendre en compte le taux au bout d’un moment… Et tu dois comprendre qu’il y a pleins de personnes qui sont à 87. Visu est à 94. C’est beaucoup plus rare, même si on réunissait toutes les zones de reproductions.
- Et toi ?
- 98. Rarissime. Nous sommes deux. Il y a aussi un 99.
- Mais… Ogma… Il peut quand même riposter ?
- Non. J’ai utilisé un gros vœu et j’ai demandé à ce qu’il devienne un réceptacle. La zone perd un 87 et elle gagne… Elle gagne un enfant de moi.
Never hésita. Se frotta violement le cuir chevelu avant d’avancer pour s’asseoir sur le lit juste à côté de Nashran et doucement, d’une voix épuisée, il continua.
- Tu sais… J’utilise la totalité de mes vœux pour ne pas faire d’enfants. Alors… Ils sont toujours très contents quand je change d’avis. Ce sera mon troisième fils. Mon premier enfant s’appelle Adaïa. Il a cinq ans. Il vit sur une autre zone de reproduction. Pour le système c’est juste un 82. Ils se sont un peu loupés à l’époque.
Never déglutit, le regard un peu vide, mais il poursuivit courageusement.
- Enfin, ils pensaient que je ferais beaucoup d’enfants alors je suppose qu’ils ont pris ça un peu à la légère. Pour Nilti, ils ont fait plus attention. Il a quatre ans. Tu le verrais, c’est vraiment un gosse adorable. Il crapahute de partout. Il va leur en faire voir de toutes les couleurs je pense… C’est un 88. Ils s’affinent alors mon troisième enfant devrait passer les 90. Tu comprends ? Le système a sacrifié Ogma, 87, pour gagner un potentiel 90. Il a sacrifié un reproducteur avec un taux haut mais commun contre quelque chose très, très rare : un enfant de moi. Ogma ne peut strictement rien faire contre ça.
Never fit l’un sourire triste qui ne laisse rien monter jusqu’aux yeux, si ce n’est des larmes, puis il ajouta, en retrouvant un peu de vie :
- Et en plus il m’a frappé, le con ! Alors là, il a fini de se condamner.
- Tu as l’air… triste.
- Ouais… Je suis surtout désolé. Quitte à perdre un vœu aussi important que « ne pas faire d’enfant », alors j’aurais aimé que tu ne souffres pas du tout. Si je pouvais remonter en arrière…
- Tu es triste pour moi ?
- Oui.
- Je crois que je suis triste pour toi.
- Merci…
Il y eu un très silence puis Nashran avoua :
- Je… Je le vois tout le temps. J’ai l’impression qu’il va passer la porte d’un instant à l’autre.
- C’est faux. Il ne peut pas.
- La porte, n’importe qui peut l’ouvrir. Un autre… Un autre pourrait recommencer.
Never baissa les yeux. Ce n’était plus Nashran. Il ne se tenait pas à côté de Nashran. Le réceptacle malin qui ne se laissait pas démonter, qui cherchait des solutions innovantes et qui l’inspirait avait disparu. Ce n’était plus que son ombre, une ombre inquiète et traumatisée. Il était intervenu trop tard.
- Je ne peux pas sécuriser tes quartiers… mais si tu veux, tu es le bienvenu chez moi. Personne ne peut passer la porte sans que je ne l’invite. Je pense vraiment que tu es en sécurité ici, mais si ça t’aide… Je t’invite.
Nashran fit « oui » de la tête. Never avait su le défendre, il se sentait plus en sécurité maintenant qu’il était à côté de lui qu’auprès de Date ou de Graan.
- Oui, s’il-te-plait…
- D’accord.
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