Never sirotait un verre, accoudé aux immenses fenêtres, observant le réceptacle endormi dans son lit. Nashran était accroché à la couverture comme si c’était une bouée de sauvetage. Il était là depuis deux jours maintenant et il passait la majorité de son temps à dormir. Ce n’était pas vraiment surprenant, il était encore épuisé de son séjour en enfer. Ce qui inquiétait vraiment le reproducteur, c’étaient davantage ses grandes angoisses.

Lorsqu’il l’avait emmené, Nashran s’était figé devant la porte prit d’une crise de panique terrible. Il tremblait comme une feuille et suffoquait. Never avait beau eu lui assurer que ses quartiers n’étaient jamais verrouillés de l’intérieur et qu’il pourrait toujours sortir, la crise avait pris de plus en plus d’ampleur.

- Je ne peux pas faire un vœu pour te jurer que tu pourras sortir… Je ne peux pas Nashran. Par contre, on peut demander au système ? Est-ce que ça te rassurerait ?

Nashran l’avait observé, de ses grands yeux remplis de larmes et avait lentement hoché de la tête.

- Très bien. Système ? J’aimerai que tu notes une volonté. A partir d’aujourd’hui et jusqu’à ma mort, Nashran ici présent aura toujours le droit de sortir de mes quartiers. La porte lui sera ouverte. Et si jamais quelqu’un l’en empêche, tu interviendras immédiatement. Est-ce possible ?
- Oui, Never.
- Voilà, tu vois ? Tout ira bien. Tu seras en sécurité et tu ne seras pas coincé.

Ils avaient mis presque quinze minutes pour arriver à rentrer, puis Nashran s’était installé sur un fauteuil et presque aussitôt il s’était endormi sous l’épuisement. Oh avant il avait quand même un peu pleuré, sangloté et il s’était excusé, encore et encore, d’avoir peur, jurant que ça ne lui ressemblait pas. Qu’il s’excuse n’avait fait que rendre la situation encore plus triste aux yeux de Never.

Pour le moment, Nashran dormait mais il finirait par se réveiller et comme à chaque fois, il paniquerait. Never n’avait pas la moindre idée de comment l’aider… Il avait tout fait pour que ses quartiers soient considérés comme une zone sûre, même s’il était dedans et cela semblait fonctionner relativement bien. Au moins, il finissait par se détendre. Mais après quoi ? Il n’allait pas vivre enfermé entre ces quatre murs ! Never avait déjà essayé, plusieurs fois, mais ça ne fonctionnait pas. Tôt ou tard, il avait besoin de sortir.

Dès que Nashran remua, Never posa son verre et s’approcha en lui parlant.

- Salut bel endormi…
- Je… Où ? Oh ! Never.
- Oui.
- Je suis chez toi...
- Oui.

Nashran soupira et se détendit doucement. Il fit un pauvre sourire à l’autre homme qui répondit en lui tendant son verre. Jus de fruit, lui appris l’odeur, et Nashran le but sans plus attendre, soupirant d’aise lorsque le liquide vint lécher doucement sa gorge trop sèche.

- Merci…
- Ce n’est rien. Je voulais être là à ton réveil, mais aujourd’hui, je dois m’absenter.
- Quoi ? Pourquoi ? Je… Je peux venir ?

Never posa doucement sa main sur la tête de son ami et se pencha à sa hauteur pour lui rappeler qu’il n’avait rien à craindre.

- Que je sois là ou pas, tu peux sortir et re-rentrer… par contre, personne d’autre ne peut venir en dehors de Visu, Date et Zeyn. Tu ne risques rien.
- Mais… pourquoi tu me laisses ?

Never soupira doucement. Ce n’était pas de gaîté de cœur. Nashran ne se calmait qu’en sa présence et étrangement, ça ne le dérangeait pas. Il aurait pu trouver la situation lourde et se sentir envahi, mais ce n’était pas le cas.

- Je dois respecter mes contraintes… J’ai annulé un vœu qui me permettait de ne pas faire d’enfants. Maintenant il faut que j’aille… et bien…

Il se frotta les cheveux dans un geste gêné et rougit un peu.

- Disons que je dois aller donner de ma personne…
- Tu… Tu as un réceptacle ?
- Non. J’utilise simplement une machine la majorité du temps. C’est moins problématique sur la durée.

Never avait détourné le visage, il était tellement rouge que cela donna envie de sourire à Nashran. Leurs amis le taquinaient de temps à autres sur ce sujet mais il n’avait jamais compris que c’était à ce point-là. Vivre dans une zone où les orgies étaient monnaies courantes ne devaient vraiment pas l’aider.

- Pourquoi moins problématique ?
- Je… Aujourd’hui, je vais faire un enfant mais demain, le mois prochain, le reste de l’année ou l’année prochaine, je n’en ferais pas à moins d’être coincé à nouveau. J’utiliserai encore et encore tous mes vœux pour ne pas en faire. La machine que je vais utiliser… Elle ne va pas croire que… Que je vais changer et l’employer encore et encore. Elle ne va pas me demander de recommencer. Elle ne va pas… Enfin tu vois ?

Never lui fit un pauvre sourire, un peu désabusé.

- Moi, je ne croirais rien de tout ça.
- Mais tu seras le réceptacle pour qui j’ai fais un enfant.
- Oui. C’est vrai.

Nashran s’assit sur le lit, pensif. Effectivement, les gens, le système, les autres réceptacles, les reproducteurs… Pour tout le monde il serait spécial pour plusieurs raisons. Il avait rendu un reproducteur fou, provoqué une guerre de vœux même si ça s’apparentait plus à une seule et unique attaque totalement dévastatrice et amené un reproducteur qui le refusait à faire un enfant. Triste palmarès.

- Je… Tu m’as aidé plus que je n’aurais jamais pu l’espérer et tu continues. Je comprendrais que tu ne veuilles pas. Ce n’est pas pour t’acheter ou pour gagner du pouvoir ou… J’aimerais seulement que tu ne sois pas seul pour faire ça surtout si tu le vis mal. J’aimerais t’aider à mon tour.

Never hésita, puis, il s’installa près de son ami.

- Je ferais tout pour que ce soit mon dernier enfant. Tu comprends ?
- Oui.
- Ca veut dire que pour continuer d’être un réceptacle sur le long terme… il faudra trouver un autre que moi. Ce n’est pas pressé et au pire… Enfin, tu connais Visu.

Nashran émit un petit rire. Effectivement, Visu adorait se répandre en « à peu près tout le monde ». Nashran ne connaissait pas les règles exactes pour rester dans une zone de reproduction pour un réceptacle inactif, ce n’était pas du tout une question qu’il avait eu à se poser jusque-là, mais il ne s’en inquiétait pas. Il n’avait pas peur du sexe en lui-même. Oh, il espérait néanmoins avoir une reprise aussi douce que possible, mais ce n’était pas l’objet de son angoisse. Il avait uniquement peur de retomber entre les mains d’Ogma -ou d’un autre comme lui- et d’être à nouveau déposséder de lui-même.

- Je… Je ne me sens pas encore de sortir dehors sans… Et bien, sans toi. avoua Nashran doucement. Mais je me débrouillerai pour rester ici. Je suppose que se faire mettre dehors ça signifie retourner aux zones collectives avec très peu de droits. Je n’y tiens pas vraiment. Je te jure que jamais je ne te demanderai de faire un enfant. Jamais je n’essaierai de t’y pousser puisque tu ne le veux pas… Je ne comprends pas mais c’est ton choix. Tu fais déjà cet enfant pour moi, en demander plus ce serait… tellement pas correct.
- Tu veux vraiment être mon réceptacle pour aujourd’hui hein ?
- Je ne veux vraiment pas te laisser tout seul.

Never soupira doucement. Il devait se l’avouer, ça le soulageait. L’idée même d’avoir Nashran auprès de lui le détendait, mais cela impliquait une intimité qui était loin de ce qu’ils avaient pour le moment. Ça impliquait aussi qu’il risquait de former un genre de duo, peut-être un peu comme Zeyn et Date. Le rouge monta de nouveau à ses joues sans qu’il n’y puisse rien et il détourna le visage pour le cacher. Être seul n’avait jamais été une volonté. Ses choix de vies le lui avaient simplement imposé.

- Tu es sûr ?
- Certain.

Never baissa un peu la tête et acquiesça. D’accord. Ce serait la troisième fois qu’il ferait un enfant. Il espérait de tout cœur que ce serait également la dernière fois. Et Nashran serait son réceptacle.

- On va devoir le faire dans une pièce spécialisée… et… les machines vont être un peu différentes de ce que tu connais je suppose.
- Ah ? Comment ça se fait ?
- Ils ne voudront pas perdre… quoique ce soit. Même s’il n’en utilise qu’un seul au bout du compte.

Le reproducteur sursauta quand les doigts fins de son ami se posèrent sur ses joues trop chaudes pour attirer son attention.

- Ca va bien se passer. Ne t’inquiète pas. Murmura Nashran.

Et pour la première fois depuis qu’il l’avait sorti de cet enfer, Never eut l’impression de le retrouver réellement. A croire que le réceptacle était fait pour aider les autres et après tout, n’était-ce pas là le véritable rôle d’un réceptacle ? Permettre aux reproducteurs de donner leurs semences en toute confiance et d’apprécier ce qui aurait pu se limiter à être un acte médical…