Immortalité

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Les causes d’un cancer sont multiples.

Mauvais endroit. Mauvais moment. Comprendre : environnementales, génétiques (mais rarement), exposition aux toxiques, certaines infections… En combo, toujours.

Mais la plus importante de toute : le temps ; qui fait qu’une cellule accumule des erreurs. La machine finit invariablement par déconner en prenant de l’âge. Les freins, les verrous et les amarres cèdent. Rien à foutre des autres tissus, de la bonne entente avec les voisins, de l’homéostasie. Se développe ainsi une voracité monstrueuse qui finit par tout en engloutir.

La vie n’a plus de limite. C’est bien ça, le problème.

Une précieuse propriété mise à profit depuis longtemps afin de pérenniser certaines cellules pour en faire des lignées. Aujourd’hui, un mail, un virements de quelque centaines d’euros et me voilà une semaine plus tard avec une poigné de tubes dans de la carboglace avec le type cellulaire désiré.

Considéré infiniment divisible, Je peux ainsi travailler sur une quantité de matériel quasi inépuisable. Pas de variations inter donneur. Part du hasard réduit. Fond génétique connu. Customs parfois possibles. Les gold standard de la reproductibilité. Pas cher. Pas chiant à entretenir. Et puis, au besoin, je repasse commande. On reprend propre, répète mon directeur.

Regardez une tumeur sous le microscope. Ça n’a plus rien d’humain. Et c’est magnifique. Absolument magnifique.

Longtemps, les sentinelles du soi chasse cette accumulation d’erreurs. Il n’est pas en ce monde, quelque méthode de détection biologique plus fine que l’immunité. Dans sa précision, dans sa flexibilité et son acception de l’inexact – ce paradoxe d’efficacité.

Jusqu’à ce que le petit crabe trouve la parade, se planque et fasse son nid. Une course aux armements. Une vieille histoire de bombe atomique.

La résection chirurgicale n’est pas possible. La chimiothérapie provoque des mutations résistantes. L’immunodrive négocie un ultime sursis. Une lune de miel, comme on dit.

Avant que le corps ne tombe.

Dans le bus qui me conduit à l’hôpital, je refais le plan de mon papier, la liste des manips à prévoir pour le mois qui arrive – et je réprime l'envie d'étranger mon stagiaire qui me contamine tout.

Je me heurte malgré moi à mon propre détachement d’enfant ingrat et ma vie décousue de jeune adulte cloitré, persuadé que je suis capable de tout maitriser dans mes petites plaques de cultures en plastique stériles. A la peur profonde, ce vide délicieux, que j’essaye d’étouffer, de combler, dans le travail. Cette idée un peu mégalo que je pourrais, dans ma vingtaine crépusculaire, peut-être réaliser quelque chose d’utile dans le temps qui m’est imparti – malgré le pognon que coutent mes études à la société (on ne manque de me le rappeler, aux fêtes de famille). Peut-être financer des ronds-points ou augmenter les allocations pour je-ne-sais-qui seraient plus utiles. Certainement, même.

Ouais, ça serait bien que je trouve. Je ne m’y consacrerais pas assez. Ou trop.


Tu pourrais venir la voir plus souvent, hein.


Mille reproche qui ne sont rien contre ceux que je m’inflige moi-même.

Ma thèse est celle de beaucoup d’autres : une mue étrange, douloureuse et formidable. Et comme toute exuvie, l’être qui subit ce processus est aveugle, fragile, nouveau.


Fran… s’il te plait.


Face à la porte pastel, mon sac d’éternel étudiant sur une épaule, je suis seul face à moi-même. A ma décision. Et à toutes les promesses non tenues de la médecine.

Je calcule le volume de pentobarbital par gramme de poids de corps. Même si l’exactitude n’est pas de mise. Ni même le respect de la stérilité. Pas pour un travail en surdosage volontaire. Au pire quoi ? Gaspillage de produit ? Celui-ci ne coûte presque rien. Il en déborde dans l’armoire vétérinaire du laboratoire, autant de neufs que de périmés. On ne jette rien. Surtout pas quand le produit est encore bon. Contraintes budgétaires.

Pourtant, il m’en coûte.


Montre-moi, montre-moi ce tu fais…

Je présente la première chimère qui couve avec l’entrain d’un enfant qui gribouille des batailles épiques.

C’est magnifique. Absolument magnifique.



Lorsque je trouve enfin, sous les aplaudissement de mes pairs, tu n’es pas là pour partager cette réussite avec moi.



Eh bien, docteur, tu t’amuses bien ? Une pieuvre ailée, et pour quoi en foutre ? C’est pas comme ça qu’on va guérir le cancer !

C’est l’immortalité qui nous tue.



Bonne nuit maman.

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