Prologue
Reid
En toute honnêteté, je ne pensais pas que me retrouver dans ce bureau deux fois par semaine allait être la solution à tous mes problèmes.
— Tu as fait les exercices dont je t’ai parlé ?
Je ricanai sans entrain. Mes yeux alternèrent entre le papier peint vert forêt qui nous entourait, les masques africains accrochés au mur et les tableaux remplis d’atroces motifs ethniques.
Une bougie à l’odeur horriblement sucrée embaumait la pièce.
Quand la séance démarrait, je mesurais le temps qui passait au niveau de la cire qui descendait à vue d’œil au fil des minutes.
Diane ne voulait pas d’horloge dans son bureau. Elle disait que ça déconcentrait ses patients et qu’ils étaient trop focalisés sur le temps pour avoir une discussion productive. J’aurais trouvé que la logique n’était pas bête si je ne faisais pas partie des patients en question.
— Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai essayé.
Elle retint un sourire et réajusta ses lunettes.
— Qu’est-ce que tu peux me dire sur les émotions que tu as éprouvé dernièrement ?
Je restai muet, le regard rivé au mur. Ces tableaux ornés de phrases positives n’étaient pas si nazes, finalement.
— Rien.
Diane joua avec une de ses bagues et posa son bloc-notes sur ses genoux. Quand son regard chercha le mien, j’abandonnai ma tentative de l’éviter.
— Tu sais, Reid… La guérison commence toujours par la volonté de guérir.
— Vous croyez que je ne veux pas guérir ? répondis-je un peu plus agressivement que je ne l’aurais voulu.
— Je crois que tu ne sais pas comment extérioriser ce que tu ressens sans que cela se transforme en sentiment négatif et destructeur… mais c’est pour ça que nous sommes là : non pas pour te faire oublier ton passé, mais pour que tu apprennes à vivre avec. C’est ce en quoi la guérison consiste.
Ses mots entrèrent par une oreille pour en ressortir par l’autre. J'avais souvent l'impression désagréable que cette psychologue prenait l'argent de mes parents pour me délivrer de parfaites évidences.
Un moment de silence passa.
— Est-ce que tu étais violent, quand tu étais petit ?
Je relevai la tête et jouai avec mes doigts. Ma jambe tressauta pendant une bonne dizaine de secondes avant que je ne pose ma main sur ma cuisse pour lui faire cesser tout mouvement.
— Non, jamais.
Je passai la main sur ma bouche pour étouffer un sanglot et tentai de garder les yeux ouverts par tous les moyens, passant outre la brûlure que ça provoquait.
— Est-ce que tu as le sentiment d’avoir été manipulé ?
Je soupirai profondément, fis abstraction de son regard expectatif et me mordis l’intérieur de la joue.
— Ce n’est pas un sentiment, c’est ce qui s’est passé, répliquai-je évasivement.
— Dans quelle mesure, à ton avis ?
— Dans la mesure où je n’aurais jamais fait un centième de ce qu’on m’a demandé. Jamais de la vie. Jamais, répétais-je.
Diane hocha la tête, les lèvres pincées.
— Et qu’est-ce que tu ressens quand tu repenses à tout ça ?
Je regardai au plafond, comme si je pouvais voir le ciel à travers. Un ciel orageux digne du jugement dernier.
— Une insupportable injustice.
Diane pencha la tête sur le côté et m’invita silencieusement à continuer.
— Ce sont toujours les petits subalternes comme nous qui trinquent et passent leurs vies à tenter d’essuyer le sang qu’ils ont sur les mains quitte à s’écorcher la peau… alors que les vrais responsables dorment sur leurs deux oreilles dans leurs draps immaculés.
Je frottai mes yeux à l’aide de mon pouce et de mon index, essuyant une larme au passage.
— Ils n’avaient pas le droit…
Je retins à nouveau un sanglot alors que ma vision se brouillait.
— Peut-être que nous tenions les armes, mais ce sont eux qui ont pris les vies de tous ces gens, et ils ont gâché les nôtres par la même occasion, débitai-je.
Je pris ma tête entre mes mains et me murai dans le silence. Mon coeur battait à tout rompre dans ma poitrine.
— Tu n’es pas responsable de ce qui s'est passé, Reid. Et si tu te sens coupable, c’est que tu as su conserver ton empathie. Tous les soldats n’ont pas cette force de caractère.
Je savais qu’elle voyait d’autres cas similaires dans le secteur, mais je me foutais royalement de savoir qui ils étaient ou comment ils géraient la situation.
Ce n’était pas comme si on allait fonder le Joyeux Comité des Estropiés du Vietnam, avec un Syndrome Post-Traumatique en prime.
— Franchement Diane, j’aurais préféré devenir fou.
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