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Reid


— Je vais revoir mes amis aujourd'hui.

Diane prit des notes et posa ses yeux doux sur moi, m'intimant de continuer si je m'en sentais à l'aise.

— Est-ce que c'est une bonne chose ?

Je soupirai.

Moi-même je n'en étais pas sûr.

— Ça fait trop longtemps. Et s'ils ne veulent plus de moi ?

Diane se repositionna dans son fauteuil tandis que je fixai la bougie devant moi. Elle sembla réfléchir, même si j'étais persuadé qu'elle savait déjà ce qu'elle allait me dire.

— Dans ce cas-là... Tu n'auras rien perdu, je me trompe ?

Je restai terré dans mon silence, faisant tourner ses mots en boucle dans ma tête.

— J'ai envie d'être seul... mais je n'aime pas me sentir seul. Je n'aime pas plus que ça la compagnie des autres, mais je me retrouve toujours triste quand personne ne me tient compagnie. C'est débile ce que je dis, soufflai-je.

Ma psy se hissa sur ses jambes et parcourut la pièce jusqu'à sa bibliothèque. Elle avait maintenant l'habitude de me prêter des livres quand elle pensait que le contexte de nos séances s'y prêtait.

La plupart du temps, je ne les lisais pas.

Le livre en question était une pièce de théâtre par un certain Jean-Paul Sartre. Un philosophe français, d'après Diane.

— L'Enfer, c'est les autres.

J'écarquillai les yeux, ne sachant quoi répondre à ça. Peut-être était-elle entrain de débloquer complètement ?

— Je vous aime bien hein, mais pourquoi vous me sortez toujours des phrases énigmatiques à coucher dehors ?

Diane s'autorisa à rire aux éclats, avant de reprendre son sérieux. Ses yeux, toujours rieurs, captèrent mon regard.

— C'est une phrase du livre. Ce que veut dire l'auteur, c'est que c'est souvent l'Autre qui nous fait du mal, qui nous fait découvrir des choses à propos de nous-mêmes que nous aurions préféré ne jamais déterrer, qui nous met face à la réalité du monde et de la nature humaine... mais à la fin, bien que ce soit l'Autre qui nous fasse du mal, on ne peut pas vivre sans lui. Vivre avec l'autre est nécessaire pour avancer.

Je méditais rapidement sur ces belles paroles, peinant à en voir pleinement le sens.

Diane me tendit le livre, que je gardais sur mes genoux.

— Vous pensez que si mes amis ne veulent plus de moi dans leur vie, c'est qu'ils n'ont jamais été mes amis en premier lieu ?

— Je ne peux pas répondre à leur place, ni te dire si leurs sentiments sont sincères, Reid.

Je pinçai les lèvres, le regard dans le vide. Penser à eux était à la fois exaltant et angoissant. Je me repassais en boucle le futur moment de nos retrouvailles. Allaient-ils m'accueillir à bras ouverts ? Me snobber ? Me sermonner de n'avoir pas donné de nouvelles depuis mon retour ?

J'étais resté alité pendant des semaines avant de retrouver une forme physique digne de ce nom. Et pour ce qui était de ma santé mentale... eh bien je voyais ma psy deux fois par semaine et je peinais à sortir de chez moi sans faire une crise de panique au moindre élément perturbateur.

— Est-ce que toi, tu as envie que cette relation dure ? Est-ce que tu es prêt à te battre pour garder leur amitié ?

Je hochai timidement la tête.

Je prenais des bains avec Joyce quand nous étions petits. Nos mères étaient meilleurs amies du monde. Paul et moi avions appris le surf ensemble au début de l'adolescence. Quant à Shirley, elle avait toujours été ma muse, en quelque sorte. Je m'inspirais beaucoup d'elle pour peindre. Nous nous étions rencontrés au club d'arts du collège.

Tous les quatre, nous étions rapidement devenus inséparables au fil des années. Nous savions déjà quels cursus nous voulions suivre une fois à l'université.

Tout était prévu dans les moindres détails : Joyce voulait faire médecine, Shirley avait pour projet de faire des études d'histoire de l'art afin d'ouvrir une gallerie, et Paul voulait tenter sa chance avec un programme d'athlétisme pour passer en pro.

Puis j'avais été tiré au sort.

Et mes rêves de journalisme et de vie étudiante avaient été au mieux repoussés de plusieurs années, et au pire, complètement détruits.

— Tu devrais garder confiance en tes amis. Je pense que si ce sont de vrais amis, ils comprendront pourquoi tu n'as pas donné signe de vie pendant un certain temps. Ils sauront se mettre à ta place et avancer à ton rythme. S'ils n'en sont pas capables, c'est qu'en effet... Il sera peut-être temps de refermer ce chapitre de ta vie avec eux.

Je savais qu'elle avait raison, et ça me terrifiait de devoir me préparer à l'éventualité de leur dire au revoir.

***

Sur le chemin du retour, je fis un détour par le parc pour réquisitionner une crème glacée à Swanson, et une fois à l'entrée de mon quartier, mes pieds ne voulurent plus me laisser avancer. Je restai figé sur le trottoir. Il y avait une voiture garée dans notre allée, au loin.

Ils étaient déjà arrivés ? Je regardai ma montre.

Ils étaient en avance. Ce n'était pas ce qui était prévu.

Un petit garçon faisait du vélo sur la route du lotissement pavillonaire. Il me jetait des regards envieux. C'était peut-être dû à la glace.

Cette absurdité me fit relâcher une inspiration que je n'avais même pas conscience de tenir.

Ça allait bien se passer.

S'ils étaient fâchés, ils ne seraient pas venus, de toute manière.

Si ?

Je me mis une petit claque mentale et forçai mes muscles à se remettre en état de marche.

Une fois sur le porche, j'entendis des éclats de rire venant de l'intérieur.

J'étais censé faire quoi, là ? Sonner ?

Cela me prit quelques instants, mais je fis taire cette saloperie de petite voix et entrai dans ma propre demeure sans sonner, cela allait sans dire.

Les rires s'interrompirent.

— C'est toi, Reid ?

Qui d'autre cela aurait-il pu être ? Je n'avais même pas sonné !

M'avançant dans le vestibule, je pris mon courage à deux mains et me laissai apparaître dans l'arche qui menait au salon.

Les cheveux roux de Joyce tombaient en cascade sur ses épaules, alors qu'elle m'observait, assise dans un fauteuil.

Paul était affalé dans le canapé, les jambes écartées, toujours fidèle à lui-même.

Shirley tenait une tasse de thé à ses côtés, à la différence que ses jambes à elle étaient bien fermées et que le thé reposait sur ses genoux.

Je sentis quelque chose changer dans l'atmosphère, sans savoir dire si c'était positif ou non.

J'espérais secrètement que mes parents aient tâté le terrain pour moi. Ma mère m'offrit un sourire chaleureux et mon père hocha la tête dans un geste rassurant.

Mes épaules s'affaissèrent.

— Salut, dis-je dans un souffle à peine audible.

Les yeux de Joyce s'illuminèrent. Le sourire de Paul remonta jusqu'à ses oreilles. La bouche de Shirley s'entrouvrit de stupeur.

Les voir réunis dans mon salon provoqua un flot d'émotions que je n'étais pas sûr de pouvoir gérer. Ma vision se flouta à mesure que mes joues se mouillèrent.

Ils sautèrent tous de leur emplacement en me voyant pleurer, prêts à me mitrailler d'affection. Sans pour autant me toucher, ils s'avancèrent vers moi.

— Tu nous a tellement manqué, Red, sanglota Joyce à son tour.

Elle utilisait toujours ce vieux surnom qu'elle m'avait trouvé en primaire. J'étais devenu rouge de colère après qu'un camarade ait piétiné un de mes jouets.

Paul, pour préserver son image de Don Juan insensible, détourna le regard par moments, dans l'idée de se retenir de pleurer.

Shirley, un peu moins dans la démonstration, laissait néanmoins les larmes couler en silence, en me couvant d'un regard doux, presque maternel.

— J'ai cru qu'on se reverrait jamais, lâchai-je, la voix brisée.

Ma mère pleurait aussi, de l'autre côté de la pièce, nichée dans les bras de mon père qui gardait la face.

— C'est fini maintenant, me consola Joyce.

— On va pas te laisser repartir de sitôt, affirma Paul.

Shirley resta silencieuse, mais je savais qu'elle n'en pensait pas moins.

Les retrouvailles durèrent de longues minutes, durant lesquelles nous laissâmes nos émotions affluer sans aucun jugement.

Une fois que tout le monde fût un peu calmé, nous prîmes place dans les canapés du salon pour reprendre le thé où il s'était arrêté.

— Tes parents ont dit que tu allais t'inscrire à l'université pour la rentrée, s'enthousiasma Paul en se frottant les mains.

Quand il faisait ça, c'est qu'il avait une idée foireuse derrière la tête. Après tout, c'était lui qui m'avait convaincu d'apprendre à surfer avec lui pour impressionner les filles du lycée.

J'acquiesçai.

— En études de communication et journalisme.

— C'est génial. Tu verras, on te dira tout ce qu'il y a à savoir sur le campus ! assura Joyce.

Shirley la rejoint dans ses encouragements :

— C'est vraiment un super endroit, tu sera bien là-bas.

— Ouais, et en plus, les dortoirs sont hyper confortables ! s'enjoua Paul.

Je m'interrompis dans la dégustation de mon thé, une moue nerveuse sur le visage.

— Euh...

Mes trois amis se regardèrent comme s'ils avaient dit quelque chose qui ne fallait pas.

— Quoi ? osa demander Joyce d'une petite voix.

Je reposai ma tasse et cherchai mes mots. La culpabilité s'insinua lentement en moi.

— Je suis pas encore prêt à partager un espace avec d'autres personnes... Pour cette année du moins. Je comptais faire le trajet quotidiennement, en fait, avouai-je, me grattant le bras par dessus le haut à manches longues qui me tenait horriblement chaud.

Paul fronça les sourcils. Je savais qu'il s'en voulait de ne pas y avoir pensé.

— Désolé, mec.

Je secouai la tête, baissant les yeux.

— T'inquiète. On se verra souvent à la fac de toute façon, et si c'est autorisé, je pourrai venir dans ton dortoir de temps en temps, le rassurai-je.

Il me sourit et accepta, soulageant mon esprit torturé.

— Tu comptes tenter ta chance à la gazette de la fac ? m'interrogea Shirley.

Je haussai les épaules, un demi sourire sur les lèvres.

— Il faut déjà que je me penche sur le texte que je dois leur fournir pour me faire admettre.

— Ça rigole pas ton truc, là. J'aurais déjà abandonné, moi, se lamenta Paul.

Je ris légèrement en repensant aux mots de Courtney.

— C'est normal, le but c'est de repousser les feignasses comme toi.

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