9. Entrée en zone de perturbation
- 11 Décembre 2020, 11h36
San Francisco -
Une semaine s’est écoulée depuis que j’ai retrouvé Crystal, ivre sur la plage. Depuis, j’ai le bonheur de fréquenter tous les jours une fille pleine de joie et respectueuse, à des kilomètres de celle qui m’a agressé dès notre rencontre.
Nous avons déposé Lennon et Harper à l’école ensemble tout à l’heure et le chemin du retour s’est fait dans la bonne humeur, la radio à haut volume et nous, chantant à tue-tête des paroles que nous ne connaissions même pas. Depuis cette nuit que j’ai passé dans ses bras, je sens mon coeur accélérer chaque fois que sa peau effleure la mienne.
- Eh, baby, tu veux manger au resto’, ce midi ? me propose Crystal.
Je secoue la tête amusée, depuis quelques jours, un flirt constant s’est installé entre nous à mon plus grand désarroi. Chaque fois qu’elle tente de me charmer, je sens mes défenses diminuer et mon engouement à la repousser quitte peu à peu chaque parcelle de mon corps.
- Ange, tu m’écoutes ? bougonne-t-elle en sautant sur le canapé, abattant ses jambes sur les miennes sans la moindre délicatesse.
- Oui et arrête de faire ça ! grognai-je en la voyant joindre ses deux mains devant ses lèvres tremblantes.
L’arrogance - qui semble faire entièrement partie d’elle - avec laquelle elle me sourit me déstabilise autant que le regard brillant qu’elle pose sur moi.
- C’est bon, on va y aller au resto’, mais je te préviens, c’est toi qui paye ! grognai-je, frustrée d’encore craquer.
- Yes !
Elle se lève et sautille devant moi en me tirant la langue. Je pousse un long soupir découragé. J’ai arrêté de rejeter l’évidence depuis un moment : Crystal m’attire et c’est indéniable. Mes yeux parcourent inlassablement ses formes délicates et son visage rayonnant, provoquant une douce chaleur dans mon bas ventre. Mes joues rougissent violemment lorsque je me mets à imaginer le corps dénudé de la jeune femme, ses mains sur ma peau, sa bouche dans mon cou.
Je me lève pour me servir un verre d’eau, calmant mes ardeurs incorrectes. Alors que je porte le verre à mes lèvres pour me rafraîchir les idées, deux mains se posent sur ma taille me faisant sursauter.
J’avale de travers et commence à m’étouffer en me pliant en deux, mon bassin ancrée contre celui de Crystal.
- Eh ! Meurs pas, Cupidon ! s’exclame-t-elle en me tapotant le dos.
- T’es folle ? l’engueulai-je en me redressant.
Son trouble est visible dans ses iris qui s’agitent. Elle se gratte la nuque en m’offrant une moue désolée, sans retenir son sourire charmeur.
- Imbécile, grommelai-je en me tournant pour bouder.
- Tu fais la gueule, belle gosse ? me demande-t-elle.
- D’après toi ? répliquai-je, le sourire aux lèvres.
Ses bras viennent m’encercler, sa poitrine pressée contre mon dos, elle vient poser son menton sur mon épaule. Je déglutis, subitement gênée par sa présence contre moi. Je me dégage de son étreinte et me tourne pour lui faire face.
- Crystal, arrête.
- Quoi ? J’ai rien fait ! se défend-t-elle.
- Si, tu… tu te comportes bizarrement, soufflai-je.
Elle se renfrogne et quitte la cuisine à grands pas. Je la suis en reprenant haut et fort.
- C’est vrai, quoi ! Il y a une semaine, tu ne pouvais pas me voir, tu me détestais et prenais du plaisir à me blesser en répandant ton venin tout autour de toi et maintenant, tu passes ton temps à me faire des… des avances, déglutis-je alors qu’elle s’est tournée vers moi, me fixant de son regard noir.
- Pourquoi faut-il que tu ramènes ça sur le tapis !? s’emporte-t-elle. Je me suis déjà excusée, qu’est-ce que tu veux de plus ?!
- Je… J’en sais rien, je te comprends pas, c’est tout. Je sais rien de toi, je ne te connais pas.
- Très bien. Au revoir, alors. Je viendrais plus te déranger, Cupidon, crache-t-elle en attrapant son blouson avant de quitter la maison sans manquer de claquer la porte.
La gorge sèche, je me retiens au meuble de l’entrée. Tout allait bien entre nous, qu’est-ce que j’ai fait ? Elle a raison, pourquoi lui ai-je parlé de ça ?
Pourquoi ?
Il aurait fallu le faire à un moment ou un autre. Je ne supporte pas de rester dans l’ignorance et surtout, je ne veux pas que ce côté sombre de sa personnalité ne ressorte sans prévenir, je veux comprendre comment le faire disparaître, comment la libérer de ce passé qui la retient.
Et merde !
J’enfile sweat et manteau, lace mes baskets et enroule une écharpe autour de mon cou en sortant. Elle n’a pas pu aller bien loin. Je quitte la maison en trottinant, baladant mon regard dans les rues alentours, aucune trace de Crystal. Où est-elle ? Je refuse qu’elle disparaisse encore. Qu’elle fuit ses problèmes une nouvelle fois. Qu’elle m’évite.
Je me prends la tête entre les mains avant de regarder l’heure sur mon téléphone. Ahurie, je découvre qu’il est passé presque une demi-heure depuis que je lui ai crié dessus dans la cuisine.
Je me laisse tomber sur les marches du perron, la tête posée sur mes genoux.
- Cupidon, tu vas tomber malade.
La douceur dans sa voix me tend, j’ai l’impression que je pourrais me mettre à sangloter dans les prochaines secondes si elle se comporte de la sorte alors que je l’ai envoyé bouler pour rien.
- Ange, qu’est-ce que tu fais dehors ? répète-t-elle en se baissant à mon niveau.
Je garde la tête cachée, honteuse, mais elle a visiblement une autre vision de la situation. Ses doigts passent sous mon menton et me force à la regarder. Je me plonge à nouveau dans son regard perçant, détaillant chaque teinte de bleu, chaque émotion que je ne peux nommer.
- Eh, réponds-moi, susurre-t-elle alors qu’une bourrasque balaye ses cheveux.
- Je croyais que t’étais repartie, avouai-je, les lèvres pincées.
Elle sourit, moqueuse et se relève en me tendant sa main.
- Qu’est-ce que tu caches derrière ton dos ? la questionnai-je, intriguée.
Elle se mord la lèvre, les yeux rieurs et tire sa main jusqu’à présent cachée. Mes yeux se remplissent de larmes lorsque je découvre le bouquet de roses blanches qu’elle tend vers moi.
- Pardon ? esquisse-t-elle en haussant les épaules, les joues rosies.
- Oh, Crys, pleurai-je en me serrant contre elle, la gorge nouée par les mêmes larmes qui obstruent ma vue.
Elle est parfaite, adorable et prête à tout. Et si, finalement, c’était moi, le monstre sans coeur ? Je sanglote contre le cuir de sa veste, rattrapée par mes émotions.
- Ah non, tu vas pas pleurer, Cupidon ! Je voulais te faire sourire, moi, s’amuse-t-elle en frottant mon dos.
- Pourquoi tu fais ça ? demandai-je, alors qu’elle sèche mes larmes de sa main libre.
- Faire quoi ?
- Revenir vers moi, tout le temps, malgré mes rejets. Te comporter comme si soudain, tu m’aimais bien, pourquoi tu agis comme ça ?
- Parce que comme tu l’as si bien dit, je t’aime bien, Cupidon et aussi parce que… euh...
Crystal bégaie. C’est nouveau ça. Je pose la paume de ma main contre sa joue, l’incitant à terminer.
- Tu fais disparaître la pire version de moi, Ange, avoue-t-elle. Quand je suis avec toi, j’ai plus envie d’être méchante, je veux plus de cette haine qui me dévore, c’est comme respirer à nouveau après être restée en apnée trop longtemps.
J’en ai le souffle coupé, mes yeux me piquent alors je me contente de laisser un petit rire sincère passer mes lèvres avant de venir embrasser la commissure des siennes. Son front contre le mien, je prends conscience de notre proximité, de mes doigts qui caressent toujours sa pommette, de ma bouche à quelques millimètres de ses lèvres pulpeuses et entrouvertes.
- Je peux t’emmener au restaurant maintenant que je t’ai apporté des fleurs ? sourit-elle en se reculant.
Je hoche la tête en lui rendant son sourire, encore toute retournée par ses confessions. Les sensations qu’elle provoque en moi sont nouvelles, inconnues, inoubliables. Je ressens ces frissons incontrôlés parcourir mon corps tout entier, je sais que c’est elle qui est la cause du rouge qui colore mes joues, je me sens happée dans un océan de douceur chaque fois que je me plonge dans ses orbes claires.
Ses doigts se lient aux miens et elle m’entraîne à l’intérieur, dépose un baiser sur ma tempe et me pousse à prendre le bouquet en s’écartant.
- Mets ça dans un vase, je vais prévenir Maggie qu’on sort, m’informe-t-elle avec un clin d’oeil amusé.
Je m’applique à découper légèrement la tige de chacune des fleurs avant de les glisser dans un vase à demi-rempli d’eau. Je hume leur douce senteur en laissant un rire m’échapper. Heureuse. Je suis heureuse, bien plus que je n’ai pu l’être ces derniers mois.
- Cupidon ? T’es prête ? s’exclame Crystal de l’autre bout du couloir.
- J’arrive, répondis-je en déboulant devant l’entrée pour la rejoindre.
- T’a retrouvé la parole, tiens, se moque-t-elle en passant son bras autour de mes épaules.
Je lui tire la langue en la poussant légèrement puis me laisse entraîner à travers les rues. Nous parvenons devant un charmant petit restaurant et Crystal, dans sa grande galanterie, me tient la porte en m’invitant à entrer, se courbant en une petit révérence. Nos rires se mélangent aux bruits des discussions et l’ambiance me paraît encore plus accueillante.
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