Le C24

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Je viens de prendre le bus aujourd'hui. Celui qui va à Craponne. Le C24. Un monde de dingue. 18h30, l'heure qui fait chier. On était tous empilés devant l'arrêt là, comme des cons. Serrés comme des sardines. Le chauffeur arrive. L'une de ses portes s'ouvre sur ma pomme. J'ai à peine le temps d'entrer et de composter mon ticket à quasi deux balles qu'un raz de marée humain me pousse presque jusqu'à la porte de devant. J'ai pas l'habitude faut dire. J'suis un de ces connards de la cambrousse qui balance des "vindiou" pour tout et n'importe quoi. Bref, les pressés du mardi se bouscule encore et encore jusqu'à qu'ils soient tous bien parqués. Me voilà au milieu de l'accordéon chelou qui t'écartes les guibolles au moindre virage. J'me pose là, en face de mon pote. Juste avant on faisait les cons dans la rue ; on s'envoyait des rounds de battles de rap pinés du cul à s'en tordre les boyaux. Puis il m'avait accompagné prendre une revue trimestrielle américaine que j'attendais depuis un bon bout de temps.
J'étais donc là au milieu de tout ce beau monde, ma revue sous le bras, frotté de part et autre par les manteaux de mes congénères. J'allais y rester vingt bonnes minutes alors je me suis permis de regarder les gones du C24.

Le premier mec à droite sort son tel, met ses écouteurs et lance une série. OK, pas le premier ni le dernier.
La vieille peau qui a pris place à côté de mon pote l'imite et scrolle les tronches de son cercle social. Beh, elle est moderne, c'est cool.
La jeune femme à gauche parle toute seule. Pas besoin de réfléchir, les Airpods je connais maintenant.
Derrière elle, un gars est en appel visio avec ce qui semble être un pote. Ils ont pas l'air de se dire grand chose mais soit.
Netflix plus loin, combo musique écouteurs à quelques mètres, un Podcast à l'autre bout, sur un siège un autre regarde son tel sans rien qui s'y passe de particulier, un clip là bas, une vidéo YouTube, un p'tit porno (sans doute) pour l'alcoolo du fond...

Personne n'avait son putain de nez ailleurs que sur son téléphone.

Je passe à la fois pour le vieux con et le petit merdeux du coin. Je sais.
Mais que les singes du bus aient besoin de s'aérer la tête je le conçois. Leur journée a sûrement été comme la mienne : pas toujours rose. Si ce n'est pire.

C'est en essayant de capter ce qu'ils avaient dans le regard que je me suis pris la claque que mon ex aurait dû me foutre deux ans plus tôt.

Il n'y avait rien. Ou si, le vide. L'inexpression. Le fond. Le néant. Merde, t'as compris.

Tous unique qu'ils sont, ils ont tous la même gueule. Ils semblent endormis, ailleurs, loin. Pas un seul ne réagit. A tel point qu'il était logique pour moi de me demander ce qu'ils pouvaient regarder. Ils scrollent bien des images non ? Ils écoutent bien des musiques ? C'est une photo d'un mur noir sans charme en discontinu ? La même note de solfège qui passe en boucle ? Bordel, aucun haussement de sourcil, pas un petit pet de nerf sur le front, pas une petite lueur dans le regard si ce n'est celle qui provient de leur merde.

Et le son. Rien. Pas un chouille de conversation. Pas une petite rigolade de chenapans. Pas même le bruit d'un pet qui aurait eu au moins le mérite de faire rire les invités de ce spectacle glaçant.

Je n'ai alors pas pu m'empêcher de lâcher une petite larme. Ta gueule je suis un fragile. Mais merde j'ai essayé de ne serait ce que regarder quelqu'un dans les yeux. En 20 minutes j'ai tenté de capter un humain,au milieu de ce troupeau de robots. R. Pas un zeste d'émotions.

Alors si tu as lu ce pavé au milieu de tous les autres, je sais ce que tu penses. Le démago, ferme ton clapet. On en lit des millions de post comme ta crotte, arrête. Après tout on aura toujours de l'humain, du vrai, du sincère. Le soir certain passe la soirée avec leur conjoint(e), d'autre vont boire une binouze avec leur bro,... Puis ça aide à se parler, à se rapprocher ces applis, ces sites, ces vidéos... T'es juste un vieux con en désaccord avec ce monde que tu chéris tant le reste du temps. Et flûte c'est un bus ! Lyonnais ! Y'a rien de bien intéressant dans un bus citadin. La route est moche. Les gens puent. Ils ont la gueule masquée, les paluches pleines de nouveaux virus encore inconnus... On a d'autre moment pour se parler. Laisse nous p'tite frappe. On a besoin de souffler. Comme tout le monde.

Même toi tu y passes beaucoup de temps sur Whatsapp. La dernière fois que tu y es allé c'était pour dire à une meuf que tu kiffais y a un an qu'elle avait été une belle rencontre. Alors qu'elle avait été que virtuelle. C'était une chouette nana. Tu as répondu il y a peu à un message de ta dernière rencontre OkCupid. Tu lui disais que tu était désolé d'avoir bousillé la soirée de la veille et elle t'avait ensuite rassuré avec des mots que peu de femme t'ont balancé. Une super rencontre la aussi... Tu regardais enfin des photos de ton dernier tournage ou tu as encore rencontré des guss passionnés et sympathoches.
Alors la ferme.

Et là ? Je viens de bousiller mes empreintes de doigts à écrire cette cochonnerie. Une heure les yeux fixés sur mon écran alors que le chat de mon pote s'impatiente sur mes genoux à quémander mes caresses.

Demain je reprendrai ce fameux C24 et je ferai comme les autres. Il n'y aura aucune distraction, que des écrans. Alors je brancherai mon casque, lancerai Deezer et me couperai de mes semblables.

Puis j'aime pas les gens de toute façon. J'aime pas être dérangé.

Laissez moi tranquille.

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